“Les élections nationales palestiniennes, qui devaient avoir lieu à partir du 22 mai, avaient suscité un inhabituel élan de mobilisation et ravivé des espoirs que l’on pensait appartenir à un autre temps”, rappelle Stéphanie Khouri, analyste au quotidien libanais L’Orient-Le Jour. Mais ces élections n’auront finalement pas lieu. C’est le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui l’a annoncé à la télévision, dans la nuit de jeudi à vendredi 30 avril.
Officiellement, Mahmoud Abbas justifie le report sine die par le fait qu’Israël a refusé de permettre l’organisation du scrutin à Jérusalem-Est. Cette raison ne convainc toutefois pas grand monde, souligne L’Orient-Le Jour.
En réalité, Abbas cherchait un prétexte pour faire avorter le scrutin dès l’instant où il n’était plus sûr des résultats, explique Khalil Shakiki, directeur du Centre palestinien pour la recherche et les sondages (PCPSR), cité par le journal. Aux élections législatives, qui étaient prévues pour le 22 mai, Abbas craignait une défaite en raison de la “fragmentation continue du Fatah”, le parti auquel il appartient, selon Alaa Tartir, conseiller au centre d’analyse politique Al-Shabaka.
Trente-six listes concurrentes ont émergé entre janvier et mars en vue du scrutin, souligne le journal : “L’apparition de listes dissidentes comportant d’anciens ténors du Fatah, par exemple celle menée par Nasser Al-Qidoua, est la face visible de ces fractures, qui sont politiques et idéologiques mais aussi générationnelles.”
Qui plus est, pour l’élection présidentielle, qui était prévue quant à elle pour le 31 juillet, c’est Marwan Barghouti qui semblait de plus en plus décidé à se présenter contre Mahmoud Abbas.
“L’annulation du scrutin a produit un état de démoralisation généralisée”, selon l’expression de Shibley Telhami, professeur de sciences politiques et membre non résident au Brookings Institution. Car l’échéance électorale avait contre toute attente créé un espoir :
“Il s’agissait pour beaucoup d’une occasion de (re)prendre part à la vie nationale. […] Malgré des limites connues, le scrutin était attendu par une majorité de Palestiniens. Le meilleur indicateur de cette adhésion est le fort taux d’inscription sur les listes électorales.”
En effet, 92 % des électeurs éligibles se sont inscrits pour participer aux élections, et dans certaines régions, particulièrement à Gaza, ce taux a frôlé les 100 %, rappelle le journal en citant Nour Odeh, candidate et porte-parole au sein de la liste Liberté et membre cofondateur de l’Assemblée démocratique nationale, qui rappelle que “vingt-deux des trente-six listes qui concourraient au scrutin ont appelé à manifester jeudi dernier après l’annonce du report des élections”.
Au départ, le Fatah de Mahmoud Abbas, installé à Ramallah en Cisjordanie, et le Hamas, qui gouverne dans la bande de Gaza, s’étaient mis d’accord pour organiser le scrutin afin de “renouveler le statu quo” et de se redonner un semblant de légitimité démocratique quinze ans après les dernières élections.
Aujourd’hui, l’annonce du report “prive Abbas de toute légitimité”, conclut Khalil Shakiki, qui souligne que “le désarroi, la désillusion et la colère sont à un niveau très élevé”. Mais peut-être pas suffisamment pour créer une dynamique durable de manifestations. “Les manifestations sont insuffisantes : il ne suffit pas de dire aux gens de descendre dans la rue dans l’espoir que ceux qui sont aux commandes les écoutent, il nous faut construire un élan politique”, conclut le journal en citant encore Nour Odeh.
L’Orient-Le Jour
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