Depuis près de deux mois, en protestation contre l’assassinat de la jeune étudiante kurde Mahsa Amini, la jeunesse étudiante et lycéenne s’est levée en masse, au premier rang desquels les femmes, entraînant d’autres couches de la population. Ce mouvement dépasse aujourd’hui les mouvements de 1999 et 2009 (voir sur mon blog, « un mouvement qui vient de loin » en durée, en détermination, comme si malgré une dure répression la peur était en train de changer de camp.
On s’attendait à ce que les organisations étudiantes françaises soient également en première ligne pour manifester leur solidarité. En Iran ce sont bien les étudiantes et les étudiants qui ont été les premiers interdits de manifestations, matraqués et bastonnés, emprisonnés, assassinés par dizaines, ce sont bien des universités qui sont investies par les forces de répression, que ce soient les milices des gardiens de la révolution, la police, les militaires. C’est bien encore une fois, comme le proclamait la charte de Grenoble, refondatrice du syndicalisme étudiant français, charte dont se réclament la plupart des organisations étudiantes aujourd’hui, de l’UNEF à la FAGE, que les étudiants « déclarent vouloir se placer, comme ils l’ont fait si souvent au cours de notre histoire, à l’avant-garde de la jeunesse ».
Que peut-on constater sinon un grand silence, encore plus étonnant que sur l’Ukraine, puisqu’en Iran ce sont les universités qui sont en première ligne de la contestation et de la répression. Où est « l’avant-garde de la jeunesse française » ? Depuis plusieurs semaines – c’est mon domaine – j’examine les sites internet, les réseaux sociaux, essentiellement twitter et facebook – et à ma grande surprise j’y vois beaucoup de choses : revendications syndicales, participation aux mobilisations sur le climat, protestation contre les menaces qui pèsent sur l’IVG aux USA, mais sur l’Iran, rien, en tous cas au niveau national. Ici ou là, desassociations ou sections locales des diverses organisations, font des communiqués, se joignent aux rassemblements, on pourrait dire qu’elles sauvent l’honneur. L’Association des anciens de l’UNEF a également manifesté sa solidarité dans un communiqué, qui n’a d’ailleurs pas été repris ailleurs. J’ai évoqué la question lors de la rencontre nationale de l’Alternative (une des organisations représentatives) le 2 novembre, où j’étais invité avec Dominique Wallon (président de l’UNEF en 1961/1962, pendant la guerre d’Algérie) à intervenir dans la table ronde sur le syndicalisme étudiant et la transformation sociale.
Il faut savoir que dans l’Université, des laboratoires, des conseils d’université, à l’EHESS, des équipes enseignantes, jusqu’à « France université » (ancienne Conférence des présidents d’université) votent des motions. Les étudiants présents dans ces conseils votent pour sans doute, mais nous ne le savons pas, puisque leurs organisations ne communiquent pas.
Nous savons qu’il y a bien d’autres soucis pour le monde étudiant de l’hexagone et que le militantisme syndical et représentatif se heurte à nombre d’obstacles, et ce n’est pas la première fois, est-ce une raison pour oublier qu’il se passe des choses hors des frontières du pays ? Nous approchons des 11 et 17 novembre, pour la première date anniversaire de la manifestation étudiante et lycéenne de 1940, premier acte de résistance contre l’occupation ; pour l’autre date de la « journée internationale de l’étudiant », qui nous évoque l’internationalisme étudiant, de la lutte contre la guerre d’Algérie aux manifestations anti-guerre du Vietnam, exemples parmi de nombreux autres de luttes émancipatrices pour la liberté – d’expression, de conscience, d’organisation, l’égalité, l’indépendance vis-à-vis des tutelles politiques, religieuses ou autres.
Il ne suffit pas de commémorer, cette histoire disparaîtra des mémoires, s’éteindra, par non usage alors qu’il y a encore des motifs de raviver la flamme de la solidarité internationaliste dans tous les secteurs de la société.
Robi Morder