TOKYO CORRESPONDANT
Elle reçoit, dit-elle, des centaines de messages d’encouragement. A 32 ans, Kanako Otsuji défie une classe politique largement masculine et, derrière elle, une société souvent conformiste. C’est la première fois dans l’histoire politique du Japon qu’une lesbienne déclarée brigue un siège de parlementaire et que sa candidature dans les élections sénatoriales du 29 juillet a été endossée par la principale formation d’opposition, le Parti démocrate.
Son petit bureau électoral est situé dans une ruelle au cœur du quartier de Nichome dans l’arrondissement de Shinjuku, à Tokyo, où se concentrent quantité de bars gays, dont une dizaine fréquentés par les lesbiennes. Kanako Otsuji entend être la « voix de toutes les minorités sexuelles ». Championne de karaté et de taekwondo, elle apparaît sur ses affiches électorales en tenue de combat. « Les gays, hommes ou femmes, hésitent à se déclarer comme tels », dit-elle. L’union civile homosexuelle n’est pas reconnue par la loi au Japon. A l’absence de droits pour les couples homosexuels s’ajoute une discrimination rampante.
Bien qu’elle trouve cela « un peu ridicule », Kanako Otsuji s’est toutefois « mariée » avec sa compagne afin de donner du poids à sa revendication de tolérance vis-à-vis de la différence et du « courage à ceux qui hésitent à se déclarer ». En 2005, jeune élue du conseil départementale d’Osaka, elle publiait un livre : Coming out : mon itinéraire. A l’occasion de sa campagne, la traduction de La Vie, passionnément, du maire de Paris, Bertrand Delanoë, vient d’être publiée.
ESPACES DE LIBERTÉ
« La famille - un couple et des enfants - reste le modèle idéal du »noble Japon« prôné par le premier ministre, Shinzo Abe, explique-t-elle. Or, aujourd’hui, au Japon comme ailleurs, existent différents types de familles, et ceux qui ne veulent pas se conformer au modèle admis sont discriminés. On doit pouvoir être gay sans devoir se cacher à la nuit tombée dans les bars. »
Formaliste, la société japonaise n’en ménage pas moins des espaces de liberté : à condition que l’ordre social ne soit pas troublé et que l’affirmation d’une différence ne soit ni trop apparente ni revendiquée. La Gay Pride n’a pas connu au Japon le retentissement qu’elle a en Occident. Mais aucun interdit religieux, ou anathème moral ne frappe l’homosexualité.
La situation des homosexuels dans la société japonaise moderne est l’envers d’une permissivité de fait, plus que millénaire, qui s’est traduite par une grande tradition homosexuelle chez les hommes, dont la littérature est un reflet. Le lesbianisme, fréquent dans les gynécées des shoguns, a toujours été plus discret. Il est représenté dans les estampes érotiques, mais il n’a été nommé spécifiquement et problématisé qu’au début du XXe siècle. Aujourd’hui, Internet facilite les rencontres des lesbiennes, dont l’activisme identitaire a débuté dans les années 1970.