ISLAMABAD CORRESPONDANTE EN ASIE DU SUD
Son visage, inconnu du grand public jusqu’à son renvoi de la Cour suprême, le 9 mars, a fait quasi quotidiennement la une de la presse jusqu’à sa réinstallation, par décision de ses pairs, le 20 juillet. Héros malgré lui, par la grâce de son principal accusateur, le président pakistanais, Pervez Musharraf, Iftikhar Mohammad Chaudhry a, depuis, replongé dans l’anonymat de sa charge, mais la Cour suprême, qu’il préside, fait chaque jour parler d’elle.
En refusant de plier devant les injonctions officielles et les menaces et accusations pour « inconduite et abus d’autorité », le magistrat est devenu un double symbole : celui du rejet d’un régime militaire cherchant à s’éterniser au pouvoir ; et celui de l’indépendance de la justice. Couvert de fleurs - au sens propre -, acclamé par des milliers de Pakistanais ordinaires, il a suscité, lors de toutes ses sorties avant sa réinstallation, d’immenses manifestations comme le Pakistan n’en avait pas connues depuis longtemps.
Rien ne prédestinait Iftikhar Chaudhry à la célébrité qu’il connaît aujourd’hui. A 59 ans, ce fils de policier né à Quetta, capitale du Baloutchistan, la province la plus délaissée du pays, avait son avenir assuré après avoir été nommé par le général Musharraf le 30 juin 2005, président de la Cour suprême jusqu’en 2013. Jusqu’à ce 9 mars fatidique, l’homme n’était pas connu pour son opposition au pouvoir et, contrairement à quinze de ses pairs, il avait prêté serment en 2001 sur l’amendement constitutionnel justifiant le coup d’Etat militaire d’octobre 1999 et interdisant toute action contre le chef de l’exécutif, M. Musharraf.
Nul n’avance d’explication définitive à la soudaine rébellion du juge Chaudhry. « Il a défié Musharraf parce qu’il n’acceptait pas l’humiliation. A la Cour, il s’est toujours comporté de manière digne », avance Asma Jahangir, éminente avocate et présidente de la commission indépendante des droits de l’homme.
LE DOSSIER DES « DISPARUS »
Compétent, honnête dans un pays où la corruption des juges est largement répandue, insensible aux faveurs, le juge Chaudhry irritait toutefois nombre d’avocats par ses attitudes hautaines et son amour prononcé du protocole. « Il était abrupt, il voulait toujours aller très vite », affirme un avocat à la Cour suprême qui souligne : « C’était un bon juge qui expédiait un grand nombre de cas chaque jour. »
Après avoir fait quasiment toute sa carrière dans la province du Baloutchistan et avoir été nommé en 2000 à la plus haute juridiction du pays par le jeu de l’ancienneté, Iftikhar Chaudhry s’est, selon l’un de ses proches, « redécouvert en devenant président de la Cour suprême ».
Il a mis à profit l’autorité de sa charge pour se saisir de nombreux cas d’injustice qu’il découvrait à travers la presse ou par des lettres qui lui étaient envoyées. « Il a fait preuve d’un activisme dont peu de présidents de la Cour peuvent se prévaloir, en particulier en faveur des pauvres et des plus vulnérables », affirme le docteur Faqir Hussain, membre de la commission loi et justice à la Cour suprême.
La manière dont il a traité le cas des personnes « disparues » aux mains des agences de sécurité a été citée comme l’une des raisons qui ont conduit à son éviction. Il a, depuis sa réinstallation, poursuivi dans cette voie, exigeant des comptes des chefs des puissantes agences de sécurité, peu habituées à devoir justifier leurs actions.
Premier magistrat du Pakistan, M. Chaudhry a déjà réussi l’impossible : redonner aux Pakistanais une certaine confiance dans les instances supérieures de la justice. « Il a élevé la capacité des juges à convaincre la population de faire confiance à la Cour suprême », affirme M. Hussain. « Il a donné de la force à ses collègues », renchérit Asma Jahangir. A travers lui, la justice a retrouvé son honneur et les Pakistanais ont redécouvert l’espoir de vaincre les puissants et la volonté de se battre pour faire triompher la loi.
Françoise Chipaux
Article paru dans le Monde, édition du 28.08.07. LE MONDE | 27.08.07 | 14h50 • Mis à jour le 27.08.07 | 14h50.
Au Pakistan, la Cour suprême défie à nouveau le président
La Cour suprême pakistanaise a infligé jeudi 23 août un nouveau camouflet au président Pervez Musharraf en autorisant le retour de l’ex-premier ministre, Nawaz Sharif. Renversé en 1999 par un coup d’Etat sans effusion de sang par le général Musharraf lui-même, à l’époque chef d’état-major, Nawaz Sharif vit en exil entre l’Arabie saoudite et la Grande-Bretagne. Avec Benazir Bhutto, elle aussi réfugiée à l’étranger, M. Sharif incarne l’opposition politique au régime d’Islamabad, dont la dérive autoritaire a déclenché un vigoureux mouvement en faveur des droits civiques. Le juge Mohammad Iftikar Chaudry, président de la Cour suprême, que le pouvoir a vainement tenté d’écarter de ses fonctions, est devenu le porte-drapeau d’une société civile en plein réveil. La Cour suprême a multiplié ces dernières semaines les défis à M. Musharraf, en décidant notamment de libérer des prisonniers arbitrairement détenus.
Article paru dans l’édition du 25.08.07
La justice pakistanaise multiplie les défis au président Musharraf
CHRONOLOGIE
MARS : Iftikhar Mohammed Chaudhry, président de la Cour suprême, est suspendu pour « inconduite et abus d’autorité ». Les avocats réagissent et décrètent une grève générale qui dure plusieurs jours.
5 MAI : le juge Chaudhry, devenu le symbole de la résistance au régime militaire, reçoit, d’Islamabad à Lahore, l’hommage de milliers de Pakistanais. « Les nations qui n’apprennent pas les leçons de l’histoire et répètent leurs fautes en paient les conséquences », déclare-t-il.
12 MAI : violentes émeutes à Karachi entre partisans et adversaires du général Musharraf à propos de M. Chaudhry, faisant 41 morts et 150 blessés.
20 JUILLET : la Cour suprême juge « illégale » la suspension de son président et annule toutes les charges de « mauvaises conduites » portées contre lui.
* Article paru dans l’édition du 25.08.07.
Pakistan : l’ancien premier ministre Nawaz Sharif autorisé à rentrer
La Cour suprême pakistanaise a autorisé, jeudi 23 août, l’ancien premier ministre Nawaz Sharif à rentrer d’un exil de sept ans. M. Sharif, renversé à la faveur du coup d’Etat mené en 1999 par le général Pervez Musharraf, a annoncé son intention de se présenter à l’élection présidentielle contre lui.
« Ils ont le droit inaliénable de revenir et de résider dans le pays », a déclaré le juge Iftikhar Chaudhry à propos de M. Sharif et de son frère, Shahbaz, homme politique qui l’a rejoint en exil en 2000. Nawaz Sharif doit rencontrer des membres de son parti, la Ligue musulmane du Pakistan (PML), à Londres, où ils vivent, son frère et lui. Il décidera ensuite de la date de son retour au Pakistan, où il doit toujours répondre d’accusations de corruption.
BENAZIR BHUTTO POURRAIT ÉGALEMENT RENTRER
Après son renversement, Nawaz Sharif a été condamné à la prison à vie pour détournements de fonds, fraude fiscale et trahison. Il est ensuite parti en Arabie saoudite avec sa famille après avoir conclu, selon le gouvernement, un accord sur une période d’exil de dix ans. Nawaz Sharif a démenti avoir conclu un tel accord et a introduit une requête devant la Cour suprême, lui demandant de confirmer son droit à rentrer au Pakistan avec sa famille.
Le verdict de la Cour tombe plutôt mal pour Pervez Musharraf : l’élection des assemblées nationale et provinciales doit avoir lieu entre la mi-septembre et la mi-octobre. Mme Benazir Bhutto, autre ex-premier ministre en exil, espère elle aussi revenir au Pakistan pour participer aux élections. Elle aurait commencé à négocier en ce sens avec le président pakistanais.
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 23.08.07 | 16h10 • Mis à jour le 23.08.07 | 16h27.