ISLAMABAD CORRESPONDANTE
Deux cent cinquante civils, combattants islamistes et soldats pakistanais ont été tués, depuis dimanche, dans des combats – les plus violents depuis la chute des talibans à Kaboul en 2001 – dans la zone tribale du Nord-Waziristan, frontalière de l’Afghanistan.
L’incident le plus meurtrier s’est produit, mardi 9 octobre, quand des chasseurs de l’armée de l’air ont largué des bombes sur le village d’Ipi – village d’origine du Faqir d’Ipi, célèbre pour avoir mené un soulèvement contre les troupes britanniques – à quelques kilomètres de la deuxième ville du Nord-Waziristan, Mir Ali.
Selon un habitant du bazar, Sattar Gul, « 70 personnes ont été tuées et environ 200 blessées alors qu’une vingtaine de boutiques sont en ruines ». Le porte-parole de l’armée, le général Waheed Arshad, a confirmé ces frappes aériennes, précisant que les bombardements avaient visé des repères des islamistes. Il a toutefois admis que des civils vivant à proximité avaient pu être atteints. Les journaux pakistanais publient, mercredi, des photos des habitants de Mir Ali fuyant leurs habitations avec ce qu’ils peuvent emporter sur leur dos.
« 80 à 90% des familles sont parties. Juste une ou deux personnes restent dans les maisons pour les garder », a affirmé à l’agence de presse britannique Reuters, Sher Khan, un résident de la ville de 50 000 habitants. Signe de la défiance vis-à-vis de l’armée, des résidents de Mir Ali ont utilisé les haut-parleurs de la mosquée pour supplier les soldats de ne pas incendier leurs logements. Selon des habitants, des corps de soldats avec la gorge tranchée gisent abandonnés le long de la route entre Miranshar, capitale du Nord-Waziristan, et Mir Ali.
Les combats qui opposent, dans cette région, l’armée aux islamistes endurcis et bien équipés, soutenus par plusieurs centaines de combattants ouzbeks appartenant au Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO) dirigé par Tahir Yaldash, avaient repris sur une grande échelle après l’attaque, samedi, d’un convoi militaire. Les forces de sécurité – armée et forces frontalières –, qui ont perdu depuis juillet près de 300 hommes, ont, semble-t-il, décidé de réagir devant les attaques de plus en plus téméraires des insurgés. Ces derniers détiennent, depuis le 30 août, plus de 200 soldats en otages. Le renouveau de la lutte armée est lié à l’assaut par les commandos pakistanais, le 11 juillet, de la mosquée Rouge d’Islamabad qui a fait plus de 100 morts.
LE RÔLE DE WASHINGTON CRITIQUÉ
La plupart des étudiants des madrasas liées à la mosquée Rouge étaient originaires de la province frontalière du nord-ouest et des appels à la vengeance ont immédiatement été lancés. L’assaut contre la mosquée a définitivement enterré les deux accords de paix signés avec les islamistes du Sud-Waziristan en 2005 et du Nord-Waziristan en 2006.
L’armée, sous la pression des Etats-Unis qui accusent périodiquement le Pakistan de ne pas en faire assez contre les talibans et les fidèles d’Al-Qaida, a alors repris des positions abandonnées depuis les accords de paix, déclenchant des accrochages quotidiens qui n’ont cessé d’augmenter en nombre et en ampleur. La férocité des combattants, qui ont mutilé des soldats, brûlé leurs corps, exécuté des otages, a poussé l’armée qui se contentait de se défendre à passer à l’offensive. Toutefois, elle le fait dans des conditions défavorables. Selon de nombreux témoignages, les soldats sont réticents à aller au combat contre leurs frères musulmans.
La plupart d’entre eux et beaucoup d’officiers sont convaincus que ce conflit n’est pas le leur et qu’il est mené au nom de la guerre des Etats-Unis contre le terrorisme. Les critiques incessantes de Washington, qui exige davantage de détermination de la part d’Islamabad, irritent aussi les officiers supérieurs sur le terrain alors que l’armée pakistanaise paie le prix le plus lourd de cette guerre. Plus de 1000 soldats ont été tués dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan depuis la chute des talibans en 2001.
Ces combats se déroulent alors que la classe politique et l’état-major de l’armée manœuvrent pour perpétuer le régime du général-président Pervez Musharraf. Aucune stratégie n’a vraiment été mise en place pour contrer les islamistes dont l’influence s’étend désormais au-delà des seules zones tribales. Prise en tenaille entre le gouvernement qui ne fait rien pour la protéger et les islamistes qui la menacent, la population tente de fuir tout en accusant le gouvernement de jouer le jeu des Etats-Unis.
Dans les zones tribales à la frontière afghane, les talibans et Al-Qaida reconstituent leurs forces
ISLAMABAD CORRESPONDANTE
Depuis 2004, les zones tribales du Sud-Waziristan puis du Nord-Waziristan, frontalières de l’Afghanistan, qui avaient accueilli, en 2001, la plupart des talibans et leurs alliés étrangers d’Al-Qaida refluant devant les bombardements américains, connaissent des troubles quasi incessants. Ces zones qui, dans les années 1980, lors du djihad (guerre sainte) antisoviétique en Afghanistan, avaient servi de base de départ des attaques contre l’Armée rouge et de dépôt d’armes pour des groupes de djihadistes pachtounes, ont petit à petit regagné ce rôle, mais, cette fois, contre les troupes occidentales en Afghanistan.
Les djihadistes sont essentiellement des activistes pakistanais qui, pour les plus anciens, ont participé à la lutte contre les Soviétiques et, pour les autres, fait le coup de feu aux côtés des talibans afghans. Ces islamistes ont joué un rôle majeur dans l’accueil des combattants étrangers parmi lesquels se trouvaient de nombreux fidèles d’Al-Qaida.
Depuis trois ans, les combattants arabes sont pour la plupart retournés combattre en Afghanistan ou ont quitté la région. Selon plusieurs sources, ils se comptent aujourd’hui, dans cette région, par dizaines seulement. Les insurgés étrangers les plus nombreux sont les Ouzbeks du Mouvement islamique d’Ouzbékistan de Tahir Yaldash (MIO). Le MIO disposait, dès la fin des années 1980, d’une base importante au Sud-Waziristan, et de nombreux activistes du mouvement sont restés dans la région à l’issue du djihad antisoviétique. Ils se sont mariés et ont fondé des familles.
CAMPS D’ENTRAÎNEMENT
Toutefois, en mars, des combats violents entre tribus, fortement soutenus par les services de renseignements pakistanais qui tentaient de diviser les islamistes locaux, ont poussé les Ouzbeks à fuir vers le Nord-Waziristan, où ils sont aujourd’hui en nombre significatif. Selon des témoignages, de jeunes Ouzbeks arrivent régulièrement au Waziristan traversant, sans doute, l’Afghanistan.
L’armée pakistanaise, qui n’a pénétré au Waziristan qu’en 2003, pour la première fois de son histoire, n’a jamais réussi, même avec l’aide des Etats-Unis, à venir à bout des activistes. Elle a dû signer dans les deux territoires, Sud-Waziristan d’abord et Nord-Waziristan ensuite, des accords de paix, qui ont certes ramené le calme mais ont permis aux extrémistes de renforcer leur assise.
Des fidèles d’Al-Qaida ont aussi profité du vide du pouvoir pour accroître l’entraînement des recrues envoyées en Afghanistan et l’endoctrinement de jeunes candidats aux attentats-suicides. Parmi les fidèles d’Al-Qaida qui seraient au Waziristan se trouvent notamment Abou Yahia Al-Libi, Abou Laith Al-Libi, Khalid Habib, le taliban américain Adam Gadahn ou encore Tahir Yaldash. Selon des sources proches des insurgés, les Etats-Unis ont demandé au gouvernement pakistanais de fermer cinq « camps d’entraînement » au Nord-Waziristan, situés dans les villages frontaliers de Degan, Sidgaï, Shawal et Lawara. Ces camps seraient dirigés par un Syrien, cheikh Mohammad Ihsan.
Côté Afghan, les districts qui font face au Waziristan sont quasiment tous aux mains des talibans. Ils sont commandés par Serajudin Haqqani, fils de Jalaludin Haqqani, célèbre chef djihadiste lors de la guerre antisoviétique et ensuite rallié aux talibans, et mollah Sangeen, un fidèle de Jalaludin Haqqani.
Françoise Chipaux
Articles parus dans l’édition du 11.10.07
LE MONDE | 10.10.07 | 10h54 • Mis à jour le 10.10.07 | 15h35
Chronologie
NOVEMBRE 2001 :
l’Alliance du Nord afghane, soutenue par les Etats-Unis, chasse de Kaboul les talibans afghans et les miliciens d’Al-Qaida, qui se replient notamment dans les zones tribales frontalières du Nord-Waziristan et du Sud-Waziristan, au Pakistan.
16 MARS 2004 :
à la suite d’accrochages avec les insurgés islamistes, l’armée pakistanaise lance une offensive qualifiée de « succès » au Sud-Waziristan.
AVRIL :
le fiasco de cette offensive oblige Islamabad à conclure un accord de paix avec les islamistes du Sud-Waziristan.
FÉVRIER 2005 :
nouvel accord de paix au Sud-Waziristan.
5 SEPTEMBRE 2006 :
les autorités pakistanaises annoncent la conclusion d’un accord « pour une paix permanente » avec les miliciens islamistes de la zone tribale du Nord-Waziristan.
15 JUILLET 2007 :
cet accord est rompu.
Lourd bilan dans les combats à la frontière pakistano-afghane
Environ cinquante militaires pakistanais sont portés disparus après des combats contre des rebelles islamistes dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan, a indiqué, lundi 8 octobre, le porte-parole de l’armée, le général Waheed Arshad. Les soldats n’ont plus donné signe de vie depuis lundi matin après des combats près de Mir Ali, la deuxième ville du district du Waziristan du Nord, au cœur des zones tribales frontalières avec l’Afghanistan. Selon un dernier bilan, ces accrochages ont fait quelque cent trente morts parmi les combattants islamistes et quarante-cinq dans les rangs de l’armée.
D’après un officiel de la sécurité intérieure à Miran Shah, la principale ville de la région, des hélicoptères de l’armée ont bombardé des positions de rebelles dans certains villages. D’après des habitants, quatre civils, dont trois femmes, ont été tués mais l’armée n’a pas confirmé. Une douzaine de civils auraient péri à cause d’un obus de mortier d’une origine non identifiée, selon une source proche de l’armée, qui a requis l’anonymat.
Le réseau Al-Qaida et les talibans afghans ont reconstitué leurs forces dans cette région, malgré la présence de quatre-vingt-dix mille militaires pakistanais, selon les Etats-Unis. Les enlèvements de soldats sont très fréquents dans cette zone frontalière avec l’Afghanistan où certaines tribus pachtounes sont proches des extrémistes islamistes. Plus de deux cent quarante militaires avaient été capturés fin août, dans le district voisin du Waziristan du Sud.
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 08.10.07 | 17h13 • Mis à jour le 09.10.07 | 11h22
Un hélicoptère escortant le général Musharraf s’écrase au Pakistan
Un hélicoptère qui escortait Pervez Musharraf s’est écrasé dans l’est du pays, lundi 8 octobre, tuant quatre militaires et en blessant trois autres, dont le porte-parole du président pakistanais, selon le général Waheed Arshad. Il s’agit, d’après l’armée, d’un « incident technique ». L’appareil transportant M. Musharraf a atterri, lui, sans incident, à Muzaffarabad, la capitale du Cachemire pakistanais, où le chef de l’Etat devait présider une cérémonie en hommage aux personnes mortes lors du séisme qui a touché la région, en octobre 2005.
TROIS TENTATIVES D’ASSASSINAT
« L’hélicoptère faisait partie des appareils qui accompagnaient le président », a précisé le général Arshad. « Un incident technique est survenu, l’appareil s’est écrasé à l’atterrissage et a pris feu » dans la vallée de la rivière Jhelum, a-t-il ajouté. Les autorités pakistanaises ont formellement démenti la possibilité d’une attaque terroriste. Le général Musharraf a déjà survécu à au moins trois tentatives d’assassinat par des activistes islamistes. En juillet, des hommes avaient tenté d’abattre son avion peu après son décollage, manquant leur cible.
Comme prévu, Pervez Musharraf a facilement remporté l’élection présidentielle au suffrage indirect qui s’est déroulée samedi au Pakistan. Mais la légalité de sa réélection reste en suspens pendant au moins encore dix jours, la Cour suprême reprenant, le 17 octobre, l’examen d’un recours déposé par l’opposition.
Une des conséquences indirectes de cette incertitude politique a été le redoublement des combats entre armée et insurgés dans la zone tribale de l’ouest du Pakistan, où Washington affirme qu’Al-Qaida et les talibans ont reconstitué leurs forces, malgré la présence de près de 90 000 militaires pakistanais. Selon un dernier bilan établi de source militaire, ces affrontements ont fait au moins 80 morts, dont 60 combattants islamistes, depuis dimanche matin.
LEMONDE.FR avec AFP et AP | 08.10.07 | 11h40 • Mis à jour le 08.10.07 | 13h49
Editorial
Gâchis au Pakistan
Le Monde
L’Occident a toutes les raisons d’observer avec la plus grande attention, et même avec la plus vive inquiétude, le simulacre de démocratie qui est en train de se jouer au Pakistan, Etat situé au cœur d’une géopolitique instable. Résolu à s’accrocher au pouvoir, le général Musharraf, qui dirige le pays depuis son coup d’Etat de 1999, est en train d’infliger au processus constitutionnel pakistanais un dévoiement si grossier que le risque de retour de flamme est évident. Alors qu’il vient de remporter haut la main l’élection présidentielle (tenue au suffrage indirect), la Cour suprême ne validera son élection qu’après le 17 octobre, le temps d’examiner des requêtes en invalidation déposées par l’opposition.
Mais quel que soit le verdict final, la légitimité de M. Musharraf est gravement entachée. S’il est finalement proclamé nouveau président du Pakistan, la population gardera un souvenir amer de toutes les manipulations juridiques qui ont précédé le scrutin. Si, au contraire, la Cour suprême invalide son élection, le général n’a jamais fait mystère de la riposte qu’il a concoctée : la proclamation de la loi martiale. Dans les deux cas de figure, il apparaît comme un autocrate arrogant, infligeant à la Constitution des contorsions à sa guise, au mépris de l’aspiration au changement de la population.
Si M. Musharraf s’autorise un tel dédain de l’Etat de droit, c’est qu’il se sait soutenu par les Américains. Washington a lourdement investi sur le général, son prétendu allié dans la « guerre contre la terreur ». Alors que le danger taliban resurgit brutalement en Afghanistan, et même dans les zones tribales à la frontière occidentale du Pakistan, Washington pense être condamné à miser sur un homme fort à Islamabad, tenant les rênes de l’armée. Aussi l’administration de George Bush n’a-t-elle que très timidement protesté contre les atteintes à la démocratie dont s’est rendu coupable M. Musharraf. Ce silence complice a profondément peiné l’opposition démocrate pakistanaise, qui se sent trahie. Il a renforcé l’impression que la rhétorique américaine sur la démocratie est hypocrite et que la défense des grands principes ne pèse pas lourd face aux intérêts stratégiques de l’Occident. Déjà très enraciné dans la population, qui tient la « guerre contre la terreur » conduite par M. Musharraf pour une « guerre américaine », l’antiaméricanisme progresse au sein de la classe moyenne de sensibilité libérale.
Washington pense pouvoir minimiser le danger en tentant d’imposer un partage du pouvoir entre M. Musharraf et Benazir Bhutto, héroïne du camp démocrate des années 1980. Mais l’attelage annoncé est éminemment bancal, et son probable échec ne pourra qu’ouvrir de nouveaux espaces politiques aux islamistes. Un triste gâchis.
Article paru dans l’édition du 09.10.07.
LE MONDE | 08.10.07 | 16h34 • Mis à jour le 08.10.07 | 16h34