Blair et Sarko dans le même bateau
Éloquent... Le conseil national de l’UMP, ce 12 janvier, aura eu pour invité vedette la figure de proue du New Labour britannique, Tony Blair en personne. S’affichant aux côtés de Nicolas Sarkozy, le porte-voix autoproclamé de la « gauche moderne » européenne sera venu apporter son soutien à notre droite « décomplexée ». L’« ami Tony », comme aime à l’appeler l’hôte de l’Élysée, aura d’une seule phrase résumé toute sa pensée politique : « Une chose est aussi importante que la distinction traditionnelle entre la gauche et la droite : la différence entre une politique qui se tourne vers l’avenir et une autre qui s’accroche au passé. »
En d’autres termes, le blairisme se confond totalement avec le libéralisme destructeur des principales conquêtes sociales… du « passé ».
Sans doute, cette proximité affichée est-elle dans la nature des choses, rien ne différenciant vraiment les politiques antisociales mises en œuvre à Londres et à Paris. Peut-être vaudra-t-elle à l’intéressé, lorsque la France prendra à son tour la tête de l’Union européenne dans quelques mois, sa désignation à la future présidence du Conseil européen, en vertu de l’architecture institutionnelle définie par le nouveau traité de Lisbonne.
Évidemment, cet avatar de l’« ouverture » sarkozyenne approfondira encore la crise rue de Solferino, au moment où Ségolène Royal se réfère à l’expérience britannique pour dessiner son projet de « nouveau PS ». Il est toutefois peu probable qu’elle contribue à endiguer l’impopularité croissante de Sarkozy auprès de la fraction de l’électorat populaire qui s’était laissée abuser par ses promesses…
Rouge
Il y a urgence
Patronat et directions syndicales ont mis la dernière main à un projet d’accord sur la « modernisation du marché du travail », que la présidente du Medef, Laurence Parisot, a qualifié de « réforme historique ». D’ores et déjà, FO et la CFTC ont annoncé qu’elles le signeraient. Avec cette réforme en cours sur le contrat de travail, le patronat est en voie d’obtenir la possibilité de licencier comme bon lui semble et la disparition, à terme, de toute garantie actuellement attachée au contrat à durée indéterminée comme la fin de ce CDI lui-même.
Dans le même temps, Sarkozy renouvelait, à Lille, le 11 janvier, ses provocations contre les fonctionnaires. Avec la réforme de l’État, il veut en finir avec toutes les garanties attachées au statut de la fonction publique, avant de privatiser tout ce qui reste de rentable dans les services publics.
Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de rendre les plus précaires possibles les conditions d’embauche et de rémunération des travailleurs, afin de faire baisser le coût du travail. De quoi permettre, dans le privé, l’augmentation directe des profits des grandes entreprises – 100 milliards d’euros l’an dernier pour celles cotées au CAC 40 –, et assurer, par la diminution des dépenses publiques « improductives », qu’une part toujours plus importante des ressources de l’État soit reversée sous la forme de mille et une subventions dans les poches du patronat – 65 milliards d’euros en 2006.
Ces prétendues « réformes », génératrices de reculs sociaux considérables, comme également celle des retraites ou la disparition programmée de la durée légale du travail, les représentants du Medef et du gouvernement ont le cynisme de nous les présenter comme une promesse d’amélioration de notre situation. L’économie « libérée » de ses « contraintes » créerait, nous disent-ils, sans rire, le plein-emploi de demain et une revalorisation de notre pouvoir d’achat. La faible diminution des chiffres du chômage, assurée en grande partie par un nombre de radiations de plus en plus important, leur sert d’argument.
Sarkozy croit pouvoir continuer à jouer le rôle de marchand d’illusions, servi qu’il est par l’absence d’opposition réelle à sa politique du côté d’une gauche institutionnelle qui s’est coulée dans le système, à force de s’y adapter, et qui ne jure, à l’image d’un Strauss-Kahn devenu directeur du FMI, que par les contraintes de la mondialisation capitaliste, voire de ses prétendus bienfaits.
Dupe de ses succès, aveuglé par les flagorneurs, Sarkozy pense pouvoir afficher un train de vie de star de la politique, vacances de millionnaire, bijoux de grand luxe, et subjuguer une opinion qui ne jurerait que par les magazines people, là où il ne fait que mettre en lumière ses liens avec les grands de la finance et leur parasitisme, leur égoïsme cynique.
Le « gagner plus en travaillant plus » se révèle être une formidable escroquerie, quand les médecins urgentistes dénoncent les millions d’heures supplémentaires qui ne sont pas payées dans des hôpitaux où le personnel, nettement insuffisant, ne peut plus faire face à la demande de soins. Face à la flambée des prix des produits les plus indispensables comme des loyers ou des carburants, l’urgence est à l’augmentation des salaires, des pensions de retraite comme des minima sociaux.
Plus généralement, il s’agit d’inverser le rapport de force, qui fait qu’une part toujours plus importante des richesses produites est accaparée par le capital au détriment de ce qui revient au monde du travail. Selon une récente enquête de la Banque des règlements internationaux, « la part des profits dans la valeur ajoutée des pays riches n’a jamais été aussi élevée depuis 45 ans ».
Alors oui, l’heure est à la préparation de la contre-offensive. Pour mettre un coup d’arrêt aux contre-réformes, comme pour imposer l’augmentation des salaires, l’interdiction des licenciements et l’embauche massive de tous les chômeurs en diminuant le temps de travail. Mais le monde du travail manque cruellement, pour engager la lutte, d’une perspective claire et d’une direction.
Le 22 janvier prochain, les cheminots manifesteront contre la réforme des régimes spéciaux et la restructuration du fret. Le 24, ce sont les salariés de la fonction publique d’État, des collectivités territoriales et des hôpitaux qui sont appelés à faire grève contre les 23 000 suppressions de postes et pour l’augmentation des salaires, de même que les étudiants par l’Unef. La CGT envisage également une journée de mobilisation pour l’augmentation des salaires dans le privé et dans le public, début février.
Même s’il y a de quoi être plus que sceptique sur l’efficacité de ces journées sans lendemain, il serait souhaitable que le mécontentement s’y exprime massivement, que les salariés, les jeunes, les chômeurs fassent connaître dans la rue leur opinion, manifestent leur opposition aux réformes gouvernementales et patronales, exercent leur pression sur les directions syndicales pour leur imposer de quitter le jeu de dupes dans lequel elles sont engluées, de claquer la porte de négociations dans lesquelles leur seul rôle est de légitimer les mauvais coups contre la population.
Galia Trépère
35 heures : les aveux du président
Nicolas Sarkozy a assuré qu’il voulait mettre fin aux 35 heures. Cette attaque invalide, une fois de plus, sa posture de « président du pouvoir d’achat ».
« Souhaitez-vous que 2008 soit la fin, au moins réelle, des 35 heures ? » À cette question que lui posait un journaliste, lors de ses vœux à la presse, Sarkozy répondait : « Pour dire les choses comme je le pense, oui. » La clarté du propos ne peut laisser de doute sur les intentions. Sauf que les choses sont un peu plus compliquées pour le prétendu président du pouvoir d’achat, du « travailler plus pour gagner plus », le champion des heures sup’ et de la monétisation des RTT… En finir avec la durée légale du temps de travail, c’est dire, brutalement : « Le “travailler plus, pour gagner plus, c’est du baratin, un leurre, je me suis payé votre tête !” »
La durée légale du travail, fixée à 35 heures hebdomadaires depuis les lois Aubry de 1998 et de 2000, constitue le seuil du déclenchement des heures supplémentaires. Le seuil qui fixe aussi les RTT, les jours de repos attribués en compensation d’une durée du travail supérieure à 35 heures par semaine. S’il n’y a plus de durée légale du temps de travail, finies les heures sup’, finis les jours de RTT. Et Sarkozy a été contraint, dès le lendemain de sa conférence de presse, de corriger son propos, en déclarant que le gouvernement n’avait pas « l’intention de supprimer la durée légale du temps de travail ». Le conseiller spécial du président, Henri Guaino, s’est empressé de moduler : « La durée légale du travail demeure, les textes en vigueur demeurent sauf quand, dans une entreprise, par un accord majoritaire, on déroge aux dispositions de la loi des 35 heures. »
Fillon a insisté. Déjà, le 26 décembre, dans une lettre adressée aux directions des confédérations syndicales et aux organisations patronales, il avait souhaité que la discussion sur la durée légale du temps de travail soit mise à l’ordre du jour des négociations qui s’ouvrent fin janvier sur la représentativité. Il se fait lui aussi l’avocat des exigences du Medef, demandant à ce que la durée légale du travail puisse être négociée par branche ou par entreprise, « au plus près des réalités vécues par les entreprises et les salariés », selon ses mots pour le moins hypocrites. Il propose de discuter les « conditions de validité d’un accord d’entreprise pour qu’il puisse librement déterminer les règles applicables : seuil de déclenchement des heures supplémentaires, taux de majoration »… Gouvernement et patronat voudraient réduire les 35 heures à une référence virtuelle, la durée légale réelle s’étalant entre 35 et 48 heures, durée légale maximum fixée par l’Union européenne. Fillon a fixé aux négociations la date limite du 31 mars. Une loi sera ensuite soumise au vote de l’Assemblée nationale.
Sarkozy, pour une fois, a dit la vérité. Il entend bien réaliser les exigences du patronat. Il souligne ainsi le véritable contenu de sa politique, faire travailler plus pour gagner moins. Encourager les heures sup’, c’est à l’opposé d’une politique qui viserait à s’attaquer au chômage. C’est permettre au patronat de faire face aux besoins de la production sans avoir à embaucher, c’est exacerber la concurrence entre salariés, c’est faire pression sur les salaires par le bas. Augmenter dans les faits la durée légale du travail, c’est diminuer le nombre d’heures majorées comme heures supplémentaires, c’est encore baisser les salaires.
C’est l’inverse qu’il faut faire : répartir, partager le travail entre tous pour éliminer le chômage, diminuer le temps de travail en garantissant à chacun un salaire décent qui ne saurait être inférieur à 1 500 euros net. Les gains de productivité le permettent et toute la société aurait à y gagner. C’est la seule voie qui permette un développement et un progrès social, démocratique. « Une politique de la civilisation, c’est une politique de la vie. C’est une politique de l’Homme », prétend Sarkozy. Ces mots creux prendraient un sens si le gouvernement donnait, à chacun, le temps et les moyens de vivre humainement. Les larbins du patronat font l’inverse, ils baratinent pour essayer de faire accepter une politique inhumaine et rétrograde.
Yvan Lemaitre
ARNAQUE. Dans son édition du vendredi 11 janvier, DirectSoir titrait en « une » : « Sondage exclusif CSA/”Direct Soir” : 83 % des Français jugent Nicolas Sarkozy dynamique ». En haut de page 2, nouveau titre de la même veine : « Sondage exclusif : Nicolas Sarkozy toujours très largement jugé dynamique, moderne, courageux et clair. » Suit un article « d’analyse » et le tableau des résultats, où la dernière question est : « Estimez vous que, lors de cette conférence de presse, il a été proche des préoccupations des Français ? » Les réponses ? Oui (38 %), non (52 %), ne se prononcent pas (10 %). Pas mal la manip’, non ?