Berlin, correspondante
Le scénario tant redouté par les grands partis traditionnels allemands est devenu réalité : jusqu’à présent essentiellement cantonnée en Allemagne de l’Est, la gauche radicale s’établit à l’Ouest. En entrant dans les Parlements de Hesse et de Basse-Saxe, le parti Die Linke (La Gauche), issu de la fusion en juin 2007 entre l’Alternative électorale pour le travail et la justice sociale (WASG) – composée d’altermondialistes et de déçus du SPD – et le Linkspartei PDS, hérité de l’ancien Parti communiste de la RDA, s’implante, pour la première fois, dans deux grandes régions ouest-allemandes.
La percée de Die Linke reflète un glissement à gauche de l’opinion allemande. Alors que la croissance est de retour depuis 2006, les débats sur le pouvoir d’achat et les inégalités sociales n’ont cessé de prendre de l’ampleur. Le parti profite de la notoriété de ses leaders, le controversé Oskar Lafontaine, ancien président du Parti social-démocrate et éphémère ministre des finances, ou l’avocat Gregor Gysi, l’ancien refondateur du Parti communiste de l’ex-Allemagne de l’Est en 1989, très populaire à l’Est.
L’idée de créer ce parti remonte à 2005. Les résultats décevants obtenus par le WASG et le PDS aux élections régionales du 22 mai 2005 en Rhénanie-du- Nord-Westphalie avaient montré la nécessité d’un rapprochement. Lors des élections législatives fédérales de septembre 2005, les deux partis avaient présenté des listes communes leur permettant d’obtenir 8,7 % des voix et 53 députés, devenant la quatrième formation politique au Bundestag. Pour la première fois Die Linke était entré dans un Parlement régional de l’Ouest en 2007, dans la ville-Etat de Brême.
COALITION EN PERSPECTIVE
La participation à des gouvernements régionaux – à Berlin depuis 2001 ou dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale jusqu’en 2006 – a obligé les anciens communistes de l’Est à revenir sur un certain nombre de leurs principes, en acceptant notamment la suppression d’emplois dans le service public. Sur le plan social, le parti se prononce pour une suppression des réformes du marché du travail mises en place par l’ancien chancelier Gerhard Schröder, l’instauration d’un salaire minimum à 8 euros de l’heure et une réduction du temps de travail.
Le Parti social-démocrate est concerné en première ligne par cette évolution. C’est dans sa clientèle que Die Linke vient d’abord recruter. En Basse-Saxe, Die Linke a rassemblé 7,1 % des suffrages, alors que le SPD affiche son plus mauvais score avec 30,3 % des voix.
Désormais, la perspective d’une coalition entre le SPD, les Verts et Die Linke devient une option à l’échelon fédéral en 2009. Même s’ils gouvernent avec la gauche radicale à Berlin depuis 2001, les sociaux-démocrates ont, à nouveau, rejeté dimanche soir cette éventualité. Mais pour de nombreux experts, cette évolution ne saurait tarder. « Nous avons désormais cinq partis à l’échelon fédéral. Il sera de plus en plus difficile pour deux partis de former une coalition », explique Eckhard Jesse, de l’université technique de Chemnitz.
Cécile Calla
* LE MONDE | 28.01.08 | 10h59 • Mis à jour le 28.01.08 | 10h59.
ALLEMAGNE
Die Linke marque des points
Rouge
Les élections régionales en Hesse (Francfort) et en Basse-Saxe (Hanovre) sont riches d’enseignements. En Hesse, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), qui a mené une campagne très à droite, a perdu plus de douze points, alors que le Parti social-démocrate (SPD) en gagnait sept. En revanche, en Basse Saxe, une CDU, plus modérée et « sociale », recueillait 42,5 % des suffrages alors que le SPD, dirigé par la droite du parti, obtenait le plus mauvais score de son histoire avec 30,3 % des voix. Mais le plus important est la percée de la gauche radicale. Die Linke (La Gauche) fait son entrée dans les deux parlements régionaux, avec 7,1 % en Basse-Saxe et 5,1 % en Hesse, sur la base d’une campagne pour la suppression des réformes du marché du travail mises en place ces dernières années, pour un salaire minimum de 8 euros de l’heure et pour une diminution du temps de travail.
Ces résultats mettent en cause les cadres d’alliance traditionnels. Pour gouverner, le SPD ne peut plus se contenter d’envisager de gouverner soit avec les Verts, soit avec les libéraux, faute de majorité, et certains de ses dirigeants commencent à envisager une alliance avec Die Linke. Cette dernière peut ainsi être confrontée à un choix décisif : soit construire une organisation indépendante de la sociale-démocratie sur la base d’une orientation en rupture avec le libéralisme et sa variante sociale-libérale, soit accepter d’entrer dans des coalitions gouvernementales à l’échelle nationale ou régionale avec la social-démocratie, comme cela est déjà le cas à Berlin, et connaître alors la même dérive que Refondation communiste en Italie.
* Paru dans Rouge n° 2237, 31/01/2008.