Moins d’un tiers des citoyens ayant le droit de vote ont répondu de manière favorable à la question posée par les autorités espagnoles. Cette abstention bat tous les records depuis la chute de la dictature franquiste.
Le « non » a obtenu 17,3 %, à l’échelle de l’État. Dans une série de régions, il a cependant obtenu des résultats significatifs : 33,7 % en Euskadi, 28 % en Catalogne, 29 % en Navarre. Le vote blanc a aussi obtenu des résultats inhabituels, plus de 6 % au niveau de l’État.
Le « oui » aura obtenu une nette majorité des votes exprimés... mais ce référendum restera marqué par cette impressionnante abstention. Le gouvernement et les forces politiques favorables au « oui » équivalaient à presque 90 % de la représentation parlementaire. En obtenant le « oui » de seulement un tiers des inscrits, ils n’ont pas réussi à mobiliser leurs électorats traditionnels. Pourtant, les moyens d’information, mis au service du « oui », ont été démesurés. Une débauche médiatique, présentant les enjeux de manière totalement déformée, aura empêché le débat démocratique. Le « non », présenté comme un réflexe passéiste, archaïque, refusant la modernité, a été diabolisé dans tous les médias. Pour le PSOE et le gouvernement Zapatero, voter « non » ne pouvait signifier que le rejet de toute idée de l’Europe ; voter « non » ne pouvait que s’opposer au développement économique et à la démocratie.
Le gouvernement a ainsi surfé sur la cote positive du projet européen en Espagne. L’Espagne comme le Portugal ont bénéficié, de la fin des années 1970 au milieu des années 1990, des aides liées aux « fonds structurels européens », aides qui ont incontestablement favorisé le développement économique de ces pays.
Mais cet argument tend à se retourner. Les effets « positifs » de l’intégration européenne s’épuisent. Les aides se font plus rare, et, surtout, les conséquences, en termes de déréglementation et de privatisations, des normes économiques et sociales de l’Europe libérale se font sentir dans la précarisation et la dégradation des conditions de vie des classes populaires.
Ce qui explique toutefois cette explosion de l’abstention, c’est fondamentalement la carence de démocratie de la construction européenne libérale. Les Constitutions se font avec les peuples, pas entre gouvernements. Ce référendum confirme la tendance exprimée lors des dernières élections européennes. La perte de toute illusion des citoyens sur la construction européenne actuelle montre une fois de plus que nous sommes confrontés à une grave crise politique. Dans ces conditions, le succès du « oui » au référendum permet une opération politique à courte vue, mais aggrave la distance entre les peuples et les institutions.
En France, la droite et le PS auraient tort de se réjouir des 77 % de « oui ». Ils devraient s’inquiéter de cette abstention massive au référendum espagnol. Abstention qui se reproduira sans doute, mais conjuguée ici à un camp du « non » plus important et à une montée du mécontentement qui pousse les électeurs à rejeter ce gouvernement.
* Paru dans Rouge n° 2100 du 24/02/2005.
Référendum le 20 février
’est l’Espagne qui donnera le coup d’envoi d’une série de consultations, soit par la voie du référendum, soit par la voie du débat parlementaire, dans les 25 pays de l’Union européenne. C’est un des pays qui, dans les années 1980-1990, a le plus bénéficié des fonds structurels européens pour le développement... Le Portugal, la Grèce et l’Espagne ont reçu des aides substantielles, qui ont contribué à leur développement.
Jusqu’à ce jour, l’opinion espagnole est considérée comme une des opinions les plus favorables à l’idée européenne, même si dans la dernière période, des secteurs populaires ont commencé à voir les effets de la politique libérale, dans des domaines comme ceux des services publics ou de l’austérité budgétaire, liée au pacte de stabilité.
C’est dans ce contexte que le gouvernement Zapatero a décidé d’organiser au plus vite un référendum visant, en même temps, à plébisciter sa politique. En effet, presque toutes les forces politiques et syndicales sont favorables à la Constitution européenne.
Comme toutes les forces de la social-démocratie européenne, le PSOE va être le fer de lance de la campagne pour le « oui », tous courants confondus... Dans le PSOE, même les quelques responsables ou militants qui se réclament d’une gauche historique appellent à voter « oui ». La droite, essentiellement le Parti populaire d’Aznar, se prononce aussi pour le « oui ». L’essentiel des forces nationalistes ou régionalistes se sont alignées sur un vote favorable à la Constitution européenne, espérant desserrer l’étau de Madrid... grâce à l’Europe.
En Euzkadi, seule Herri Batasuna appelle à voter « non ». Sur le plan confédéral, toutes les forces de la Gauche unie appellent à voter « non », avec plus ou moins d’insistance. Une partie des courants majoritaires fait une campagne minimale [1].
Enfin, sur le plan syndical, les deux forces dominantes - l’UGT et les Commissions ouvrières -, bien intégrées à la Confédération européenne des syndicats (CES), appellent aussi à voter « oui ».
Dans ces conditions, la bataille politique s’annonce difficile pour les tenants du « non »... Le « oui » a de grandes chances de l’emporter mais les jeux ne sont pas faits... Le risque d’une abstention massive est réel, mais aussi celui de mouvements d’opinion, en particulier en Euzkadi ou en Catalogne, contre la construction européenne actuelle.
* Paru dans Rouge n° 2092 du 23/12/2004.