En fait, l’idée de construire une nouvelle force
politique et de « dépasser » la lcr n’est pas à
proprement parler nouvelle. Après la chute du
Mur de Berlin et l’effondrement de l’urss, c’est
même devenu le credo officiel de l’organisation.
Historiquement, le courant politique qu’incarne
alors la Ligue s’est construit tout au long du
xxe siècle en opposition au stalinisme. Il a tenté, dans
des circonstances difficiles – et parfois tragiques –
de maintenir vivant l’idéal d’un communisme à la
fois démocratique et révolutionnaire. Mais quelle
est aujourd’hui la pertinence de cette opposition au
stalinisme, alors même que le stalinisme se disloque
et qu’en France le pcf est sur le déclin ?
Et qu’en est-il du Parti socialiste ? Ce dernier est
désormais hégémonique à gauche. Pourtant, depuis
1983 et le « tournant de la rigueur », il n’offre
plus aucune perspective de réel changement. Au
cours du dernier quart de siècle, il a été au pouvoir
pendant quinze ans. Et cet exercice du pouvoir dans
la durée a signé sa conversion au libéralisme. C’est
une tendance générale, au-delà même des frontières.
Partout où des partis qui contestaient plus ou moins
le système se sont alliés aux partis socialistes ou
sociaux-démocrates dans l’espoir de les « pousser à
gauche », comme l’ont fait en France le pcf et les
Verts, ils ont été satellisés et discrédités.
Une nouvelle période s’est ouverte qui nécessite
un nouveau programme politique et un nouveau
parti pour le défendre. Depuis 1992, chaque congrès
national de la Ligue réaffirme d’ailleurs la nécessité
de « rassembler les anticapitalistes » de bâtir « une
nouvelle force politique ». Mais, à l’évidence, en
cet été 2007, quelque chose vient de changer. Ce
qui n’était qu’un positionnement politique général,
une référence un peu abstraite, est devenu un projet
concret, une bataille immédiate. Cette fois-ci, c’est
pour de bon !
Ce changement de braquet a mûri au sein de la
direction dans les semaines qui ont suivi le premier
tour de l’élection présidentielle de 2007. Alors que
tous les autres candidats à la gauche du Parti socia-
liste se sont effondrés, le score d’Olivier Besancenot
est plus qu’honorable : 4,08 %, 1 500 000 voix,
300 000 de plus qu’en 2002… Le siège national de
la lcr a reçu des milliers de messages d’encouragement, des demandes d’informations ou de prise de
contact ; des centaines d’interlocuteurs demandent
à adhérer « à la lcr », bien qu’habitant parfois des
localités où la Ligue n’existe même pas.
Traditionnellement, les élections législatives sont
un cauchemar pour la Ligue. Mais, en juin 2007,
l’écart entre les résultats recueillis par les candidats
de la Ligue, présents dans 450 circonscriptions et
le score d’Olivier Besancenot lors de l’élection pré-
sidentielle s’est un peu réduit ; l’implantation électorale s’est diversifiée et « nationalisée », comme
disent les politologues. Alors que Nicolas Sarkozy
et le nouveau gouvernement de François Fillon attaquent sans tarder acquis sociaux et libertés civiques,
la gauche molle est aux abonnés absents. Des perspectives nouvelles de développement s’ouvrent donc
pour la lcr. Beaucoup d’autres partis confrontés à
ce genre de situation se seraient simplement sentis
confortés dans leurs orientations et en seraient restés là : recruter, accueillir les nouveaux membres,
développer l’organisation, la rénover.
Pourtant, progressivement, une conviction se fait
jour parmi les responsables de la lcr : bien sûr, il
est possible de franchir une étape et de se renforcer.
Comme cela a été fait, toutes proportions gardées,
après la première campagne présidentielle d’Olivier
Besancenot en 2002. Mais, du fait de son histoire,
la Ligue est largement identifiée à l’extrême gauche
révolutionnaire, au « trotskisme », et même à une
interprétation très particulière de celui-ci [2]. Cette
histoire est honorable. Mais, en même temps, elle
constitue une limite et érige une barrière entre l’organisation, désormais vieille de quatre décennies,
et tous ceux qui, bien que largement en accord
avec ses discours et ses propositions, ne peuvent
se reconnaître dans des références, une histoire
et une culture militante qui leur sont totalement
étrangères. Le moment est venu de changer d’outil
et de mettre en pratique le vieux rêve d’une nou-
velle force politique. Évidemment, le succès est loin
d’être assuré. Mais une deuxième conviction s’installe : personne ne nous reprochera d’avoir échoué.
Par contre, beaucoup pourraient nous reprocher de
ne même pas avoir essayé.
C’est le bilan tiré par de nombreux observateurs
du déclin de Lutte Ouvrière [3]. En 1995, au pre-
mier tour de l’élection présidentielle, sa candidate
– Arlette Laguiller – avait dépassé les 5 % : une
première pour une organisation d’extrême gauche ! Dans la foulée, les dirigeants de lo avaient
d’ailleurs lancé l’idée d’un nouveau parti. Puis, très
vite, ils avaient renoncé. Par la suite, cet abandon
avait conduit de nombreux électeurs ou sympathisants d’Arlette Laguiller à s’interroger : à quoi bon
voter pour une candidate et soutenir une organisation qui sont incapables d’utiliser leurs succès pour
tenter de changer les choses ?
La discussion s’ouvre alors dans les instances de
direction de la lcr : le bureau politique – l’exécutif de l’organisation, composé d’une vingtaine de
membres – et la direction nationale (85 membres à
l’époque). Se lancer dans une aventure qui implique,
en cas de succès, rien de moins que la disparition de
la lcr, n’est évidemment pas une décision anodine !
Elle suppose un large accord : comment, en effet,
convaincre à l’extérieur des milliers de personnes
de la validité du projet si l’on n’est incapable de
convaincre dans ses propres rangs, à commencer
par la direction ? C’est le premier obstacle de taille
sur un parcours qui en comptera beaucoup.
De fait, après la victoire du « Non » lors du
référendum sur la Constitution européenne en
mai 2005, la Ligue s’est largement divisée sur les
suites à y donner, notamment pour les élections
présidentielles et législatives. Fallait-il prolonger l’arc
de forces qui avait mené la campagne référendaire
et présenter des candidats communs avec le Parti
communiste et la mouvance antilibérale ? Ou bien
prendre acte que les convergences politiques de
l’époque, suffisantes pour s’opposer ensemble à
la Constitution européenne, ne l’étaient pas pour
affronter une consultation électorale dont l’enjeu
était la question du pouvoir et des politiques à
mener. Comment, par simple souci unitaire, faire
l’impasse sur le contenu anticapitaliste des mesures à
proposer et sur le type de rapports à entretenir avec
le Parti socialiste, principale force d’alternance mais
irrémédiablement gagné au libéralisme ? Résultat :
lors du congrès de janvier 2006, les militants auront
eu le choix entre pas moins de cinq tendances !
Et il faudra convoquer une Conférence nationale,
quelques mois plus tard, pour décider finalement
de présenter Olivier Besancenot à l’élection
présidentielle, sans toutefois exclure formellement
la possibilité de parvenir encore à une candidature
unitaire à la gauche du Parti socialiste. Autant
de débats qui ont laissé des traces chez les
militants.
Mais, à la mi-juin 2007, lorsque se tient la réunion de la direction nationale, chacun a conscience
de l’enjeu. Soit l’organisation s’enlise à nouveau
dans un débat rétrospectif, nostalgique et sans issue
sur le bilan de la séquence passée : ce qu’il aurait
fallu faire, ce qu’il n’aurait pas fallu faire, ce qu’il
aurait fallu faire autrement… Soit, prenant appui
sur son (relatif) succès à la présidentielle, elle en
sort par le haut, autour d’un nouveau projet audacieux et mobilisateur, rassemblant des militants
qui s’étaient affrontés, parfois durement, lors de la
période précédente.
C’est ce défi que vont relever quatre des cinq
tendances du congrès précédent. Par 75 % des
suffrages, la direction nationale adopte un premier
appel pour un nouveau parti anticapitaliste. Elle en
ébauche la feuille de route. Des assemblées générales des sections et des fédérations se tiendront
dès la semaine suivante, afin de rendre compte des
travaux de la direction nationale. Fin août, lors de
l’université d’été, Olivier Besancenot présentera
publiquement le projet. Des « thèses politiques »
seront mises en chantier et les militants devront
se prononcer lors du congrès national de la lcr,
programmé pour janvier 2008. Dès septembre, une
campagne de réunions publiques locales sera organisée pour tester l’impact de cette initiative.
Mais, en réalité, l’écho immédiat rencontré par
ce projet va quelque peu chambouler ce prudent
calendrier, tandis que dans les discussions militan-
tes, un nouveau sigle, relativement mystérieux, fait
son apparition : npa. npa, pour « nouveau parti
anticapitaliste ».