Le Manifeste habille d’un hésitant discours anticapitaliste le même plan anti-crise (voir annexe) avancé lors des élections puis systématisé en février dernier et objet d’une tournée du député de Mercier.
– La crise y est expliquée comme d’abord une crise financière qui s’est ensuite répercutée sur l’économie réelle alors qu’elle n’a qu’amplifié, à grande échelle il est vrai, une classique crise de surproduction. Rien d’alors surprenant que la priorité du plan anti-crise soit de sauver la Caisse de dépôt et de placement du Québec [CDPQ], le fleuron du capitalisme (financier) québécois, en y injectant davantage d’épargnes du prolétariat aux dépens des banques canadiennes.
– La crise écologique est expliquée sans nulle mention du réchauffement planétaire. Il faut le faire ! Rien de surprenant que le plan anti-crise n’ait jugé bon que d’y consacrer un minable petit milliard $ alors qu’il serait possible d’y allouer proportionnellement autant d’argent que les gouvernements canadien ou étasunien ont engagé pour sauver les banques.
– En appendice, comme d’habitude, le Manifeste plogue la « souveraineté populaire, démocratique, économique, politique ». N’importe quoi pour noyer la lutte pour l’indépendance nationale. Rien de surprenant que l’indépendance n’ait joué aucun rôle dans le plan anti-crise. Elle est pourtant essentielle pour exproprier les banques afin de se doter des moyens de la nécessaire révolution écologique et égalitaire.
– On explique la fin de l’État providence par l’intensification de la compétition inter-capitaliste alors que la raison essentielle en est le renoncement du mouvement ouvrier à la révolution en faveur de la conciliation de classe. Rien de surprenant que le plan anti-crise cherche non pas à régler la crise par l’affrontement contre le capital mais seulement à l’atténuer en limitant et en mitigeant les effets néfastes de la compétition par le seul jeu parlementaire.
– On s’interroge s’il faut « dépasser le capitalisme » alors qu’on veut plutôt substituer au capitalisme néolibéral une mythique « économie sociale » de PME et coopératives « écologiques et socialement responsables » pratiquant entre elles le « commerce équitable ». Faut-il alors se surprendre qu’on se contente en réalité que de dénoncer « le libre marché à outrance » et « le capitalisme débridé, sans règles ni entraves » et non pas le libre-échange et le capitalisme tout court.
Crise financière ou typique crise de surproduction
Selon le Manifeste, il était une fois la crise hypothécaire des subprimes aux ÉU « rendus possibles par une déréglementation du marché financier […] Puis viennent les impacts sur l’économie réelle […] La crise financière a donc commencé par un assouplissement des règles dans le crédit hypothécaire. […] Cette débâcle financière a plongé l’économie réelle, c’est-à-dire la production de biens et services, en crise à son tour. » Faux. Pourtant les auteurs du Manifeste avaient mis le doigt sur le bobo : « L’endettement permet de répondre à une contradiction inhérente au capitalisme : pour dégager des profits, les patrons baissent les salaires ou les font stagner… »
La raison d’être de la crise se situe donc dans l’économie réelle. Elle est une crise de surproduction amplifiée par le dérapage de la finance. C’est la stagnation salariale mondiale depuis une génération, et les coupures concomitantes dans les services publics, qui met en panne l’accumulation du capital. L’enflure de l’endettement hypothécaire et aux consommateurs n’arrive plus à combler le trou noir de l’absence de la demande solvable quelque soit l’imagination débridée des banques pour endetter un prolétariat qui n’a plus les moyens de rembourser et pour distribuer largement le risque par l’intermédiaire des « produits dérivés ».
Régler la crise et surtout l’empêcher d’être suivie par une longue dépression appelle alors à la création d’un nouveau pouvoir d’achat et non pas à sauver la CDPQ en y engouffrant encore plus d’épargnes populaires. Draper la CDPQ d’une verte fleur de lys dans le poing social-démocrate est faire croire à la quadrature du cercle. Le mythe du capitalisme social repose sur le fait qu’un travailleur bien payé est plus productif et consomme plus. Le capitalisme est d’accord… jusqu’à ce que le concurrent paye moins. Alors s’impose la logique de la peur du chômage — le capital en maintient toujours une armée de réserve qu’il reconstitue quand les syndicats deviennent trop arrogants.
Le mythe du capitalisme vert repose sur la logique de la minimisation des coûts au niveau de l’entreprise, donc aussi les coûts énergétiques et des matières premières. Cette vérité micro-économique n’efface pas la logique macro-économique d’ensemble. La logique globale du capitalisme est à l’accumulation du capital et en corollaire à la consommation de masse. Une image vaut mille mots : on peut bien améliorer la performance énergétique de chaque automobile, la croissance du nombre d’automobiles finit par effacer le gain potentiel… et il y a une limite à réduire la consommation d’énergie et de matières premières par auto mais non à multiplier le nombre d’autos.
Pour le plein emploi écologique
Rappelons que si en un an, d’avril 2008 à avril 2009, le nombre de sans emploi a crû au Québec de 40 000 personnes, il faut y ajouter un chômage caché de transformation de temps plein en temps partiel. Durant la même période, l’emploi temps plein y a baissé de 22 000 personnes tandis que celui à temps partiel a augmenté de 12 000. Ajoutons-y aussi la transformation des emplois salariés en « travailleurs indépendants » qui explique la relative bonne performance du Québec dans la création d’emplois de mars à avril. Comme le dit « l’économiste Sylvain Schetagne, du Congrès du travail du Canada : “Si vous n’êtes pas admissible à l’assurance-emploi ou si vous n’y avez plus droit et qu’il n’y a pas d’emplois de disponibles, que faites-vous ? Vous vendez tout et allez sur l’aide sociale, ou vous devenez travailleur indépendant. Ces travailleurs passent du statut d’employé au statut de travailleur indépendant, mais peuvent-ils véritablement en vivre ?” » (Le Devoir, 9 mai 2009)
On voit bien que l’objectif de création de 40 000 emplois que s’assigne le plan anti-crise de Québec solidaire est tout à fait inadéquat d’autant plus que tous les économistes, de droite comme de gauche, prévoient une continuelle hausse du chômage durant l’année 2009 même si certains prévoient un début de reprise. Tant par rapport à la protection des emplois existants, du maintien des salaires et des conditions de travail que de la création d’emplois écologiques nouveaux, la direction de Québec solidaire capitule sur toute la ligne. C’est se moquer des travailleurs congédiés que de leur proposer de former des coopératives sans financement, sans réseaux d’approvisionnement ni de mise en marché, sans expertise suffisante. C’est abandonner les travailleurs en emploi que de ne pas exiger une législation protégeant leur pouvoir d’achat non seulement par une indexation obligatoire en cas de hausse des prix et par une participation aux gains dus à la hausse de la productivité du travail mais surtout par une baisse du temps de travail à au moins 35 heures sans diminution du salaire réel.
Son plan anti-crise repris dans le Manifeste accepte les fermetures d’usines et les congédiements massifs même d’entreprises rentables comme, par exemple, Bombardier et Pratt et Whitney. Il ne viendrait même pas à l’esprit de la direction de Québec solidaire de proposer une législation anti-fermeture et anti-congédiement massif, comme le fait le Nouveau parti anticapitaliste français quitte à ce que ce soit les compétiteurs des entreprises en banqueroute, comme par exemple pour le cas d’Abitibi-Bowater, qui prennent en charge les employés congédiés et les plans de retraite car, après tout, ce sont eux qui profitent de la situation. La direction de Québec solidaire, sur ce point, est plus à droite que le gouvernement Conservateur de Terre-Neuve qui a nationalisé les droits de coupe et les actifs hydroélectriques d’Abitibi-Bowater suite à la fermeture de l’usine de Grand Falls.
Exproprier les banques pour un tournant écologique
Il n’y a rien d’étonnant à la pusillanimité de la direction de Québec solidaire face à la création d’emplois écologiques — un petit milliard $ supplémentaire sur deux ans — à la vue de son incompréhension et de sa sous-estimation de la crise écologique. Le diagnostic que fait le Manifeste de la crise écologique passe complètement sous silence le réchauffement de la planète causé par les gaz à effet de serre. Il faut le faire. Une chose est de réduire la question écologique à l’effet de serre, comme par exemple le faisait la dernière plate-forme électorale de Québec solidaire en déclarant l’hydroélectricité comme une énergie propre avant de devoir s’ajuster aux normes du gouvernement étasunien et aux protestations des Innus de la base et des écologistes. Une autre est de marginaliser cet effet qui déjà enveniment sécheresses et inondations et qui a commencé à modifier significativement la biodiversité et à hausser le niveau des océans :
« 326 catastrophes climatiques ont été enregistrées en moyenne chaque année entre 2000 et 2004 ; elles ont fait 262 millions de victimes - près de trois fois plus qu’entre 1980 et 1984. Plus de 200 millions d’entre elles vivaient dans des pays non-membres de l’OCDE qui ne portent qu’une responsabilité marginale dans l’accroissement de l’effet de serre. Pour les années 2000-2004, un habitant sur 19 a été affecté par une catastrophe climatique dans les pays en développement. Le chiffre correspondant pour les pays de l’OCDE est de 1 sur 1500 (79 fois moins). » (Daniel Tanuro d’après le rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), rapport mondial sur le Développement humain, 2007/2008)
Le plan anti-crise de Québec solidaire ne tient aucun compte que le Québec, en tant que pays développé spécialement énergivore et selon les recommandations du GIEC relevant de l’ONU, doit cesser de hausser ses émanations de gaz à effet de serre d’ici 2015, doit les réduire de 25% à 40% d’ici 2020 et de 80 à 95% d’ici 2050. À cette hauteur d’exigence, c’est l’automobile individuelle dans les grandes villes qui doit être remplacée par le transport collectif public et électrifié ; c’est l’ensemble des bâtiments du Québec qui doit être restauré selon les normes les plus performantes de l’efficacité énergétique, lesquelles permettent une baisse de la consommation énergétique d’au-delà de 50% à confort égal ; c’est la planification de nos villes et les normes du bâtiment qui doivent être immédiatement révolutionnées pour minimiser la consommation d’énergie. C’est, en dernier lieu et seulement en dernier lieu, les productions éolienne et solaire qui doivent être augmentées.
On objectera qu’il faudrait un investissement massif pour y arriver ? On connaît les sommes gigantesques qu’ont mobilisé les gouvernement étasunien et canadien pour sauver ou soutenir leurs institutions financières même si au Canada les banques vont très bien merci. Proportionnellement, pour le Québec, on parle d’une somme d’une quarantaine de milliards $ mesuré à l’aulne canadienne, de près de 200 milliards $ à l’aulne étasunienne. La première somme donne une idée de ce qui serait mobilisable immédiatement, la seconde d’ici, disons, 2020. Bien sûr, les très capitalistes gouvernements canadien et étasunien ou bien recourent à la « planche à billets » ou bien empruntent au taux d’intérêt du marché les sommes nécessaires au même capital financier qu’ils sauvent par ailleurs sous forme de prêts à taux réduit sinon quasi nuls, de garanties et parfois d’achats d’actions. Bel arnaque. Un gouvernement de gauche se procurerait ces sommes par une réforme fiscale radicale imposant et taxant les profits, les hauts revenus, les fortunes et la consommation de luxe et énergivore. Inutile de chercher pareille idée dans le plan d’action prétendant dépasser le capitalisme.
L’indépendance pour la Banque populaire du Québec
Pour faire payer à cette hauteur le capital, dont les banques et les autres institutions financières sont le noyau dirigeant, s’impose la nationalisation sans compensation des institutions financières pour en faire un service public essentiel contrôlé démocratiquement comme le sont partiellement les garderies populaires du Québec. La gauche doit profiter du fait que néo-keynésiens de droite (The Economist) comme de gauche (le prix Nobel d’économie Paul Krugman) proposent de nationaliser les banques afin de sauver le capital pour se réapproprier cette traditionnelle revendication anticapitaliste tout en faisant la porte d’entrée d’un Québec écologique et égalitaire… et en la liant à la revendication de l’indépendance.
La province canadienne du Québec est en effet sans pouvoir sur le capital financier. Il y a plus d’une génération que le peuple québécois a trouvé la réponse programmatique — l’indépendance — pour se sortir de ce cul-de-sac. Ainsi il deviendra possible de mettre sur pied la Banque populaire du Québec pour contrôler les flux monétaires tant pour empêcher la fuite de fonds dans les paradis fiscaux et l’évasion fiscale que pour centraliser l’épargne québécoise et la diriger, par des politiques fiscale et monétaire appropriées, vers des investissements écologiques et sociaux démocratiquement décidés.
Non seulement le Manifeste relègue-t-il en appendice la question nationale mais il l’a réduit à la « souveraineté populaire, démocratique, économique, politique ». Il n’y a pas de souveraineté suivie de mille adjectifs sans passer par l’indépendance nationale. Elle est la revendication-clef pour libérer l’énergie créatrice du peuple québécois, pour le libérer de l’humiliation de la conquête de 1760, de la rébellion écrasée dans le sang de 1837, de la constitution imposée de 1867, des conscriptions forcées de 1917 et de 1942, des occupations armées de 1970 et de 1990, du rejet législatif de l’autodétermination référendaire en l’an 2000 et du mépris du scandale des commandites en 2004. Ce n’est pas pour rien que bon an mal an la volonté souverainiste, malgré le lâchage péquiste, oscille entre 40 et 50%.
La crise globale du capitalisme permet de fusionner la haine du fédéral avec la haine des banques et du patronat. Cette crise permet de donner à la revendication de l’indépendance sa pleine signification de gauche, non seulement vis-à-vis Ottawa, siège du pouvoir politique fédérale, mais aussi vis-à-vis de Bay Street, siège du capital financier canadien et de Wall Street, siège du capital financier étasunien.
Affrontement de classe ou « concertation »
La présente léthargie du mouvement social québécois depuis la capitulation sans combat des syndicats du secteur public en décembre 2005 — cependant la récente détermination et militance de la longue grève des professeurs de l’UQAM appuyée de sporadiques grèves étudiantes laisse peut-être entrevoir un retour de la riposte sociale qui pourrait être la reconstitution du Front commun de 1972 — laisse peu de prise à l’expression publique de la haine nationale et de classe. Il revient en particulier à la gauche politique de préparer politiquement le terrain à son inévitable retour au fur et à mesure de l’intensification de la crise. Celle-ci connaît peut-être une certaine accalmie grâce aux billions $ jetés en pâture aux banques et à l’industrie automobile, et à un moindre impact sur le Québec dont les industries du textile/vêtement, du meuble et de la forêt sont en crise depuis longtemps, mais ce sera pour mieux rebondir. Le problème de fond de la demande solvable due à la stagnation salariale et des services publics, et à la persistance des inégalités de revenu, sans oublier l’aggravation continuelle des conséquences de la crise écologique, n’est pas du tout en voie d’être réglé.
Le Manifeste prépare plutôt le terrain en sens contraire. Il laisse entendre que « [l]es “Trente glorieuses”, comme on les appelle, soit la période allant de 1945 à 1972 environ, sont marquées par une situation exceptionnelle dans l’histoire du capitalisme, soit l’absence d’une réelle concurrence sur le plan international. […] À partir des années 1970, toutefois, ce système est déstabilisé par la montée des compétiteurs en Europe et en Asie. » Il attribue à ce recul de la concurrence la capacité des « grandes entreprises comme GM, General Electric, Boeing, etc. […] d’accorder des concessions à leurs travailleuses et travailleurs… » Si ce recul momentané de l’intensité de la concurrence mondiale dû aux dévastations de la Seconde guerre mondiale a certes faciliter l’État providence, c’est-à-dire le partage inégal des gains de productivité, il n’en est nullement la cause.
La cause de ces concessions fut la peur de la révolution. Les syndicats et les partis sociaux-démocrates, profitant de la peur de la montée révolutionnaire à la fin de la Deuxième Guerre tant en Europe qu’en Asie du Pacifique, ont pu imposer au capital une meilleure distribution des gains de productivité. Si en Grèce, en Italie et en France, le capital a pu compter sur le sabotage des partis staliniens pour couper court au danger révolutionnaire, tel ne fut pas le cas en Yougoslavie, en Chine et au Vietnam où les partis dirigeants avaient partiellement rompu avec le stalinisme et où en Asie la révolution combinait libération nationale et libération sociale. Le capitalisme mondial, affaibli et déconsidéré par la guerre surtout gagnée par l’armée rouge (et l’utilisation criminelle et inutile de la bombe atomique contre le Japon et du « carpet bombing » contre l’Allemagne) n’a pas eu d’autres choix que de faire des concessions majeures pour sauver sa peau.
La bêtise stratégique des directions syndicales et des partis sociaux-démocrates fut alors de renoncer à la perspective révolutionnaire et d’accepter la collaboration de classe, appelée au Québec « concertation », pour le partage inégal des gains de productivité. Cette capitulation stratégique revenait à laisser le pouvoir au capital. Au fur et à mesure de la baisse du taux de profit due au retour des puissances vaincues puis des « nouveaux pays industrialisées » sur le marché mondial, le capital s’est concentré en transnationales qui ont investi dans des zones peu syndiquées (sud des ÉU, sud de l’Europe, certains pays du tiers monde comme la Corée du Sud et Taiwan qui, comme par hasard, servait de vitrines à succès face à la Chine dite communiste) et a libéré ses épargnes du contrôle étatique (eurodollars, pétrodollars), ce qui permettra de faire chanter les peuples du monde en les opposant les uns aux autres au gré de la circulation mondiale des flux de capitaux.
Cet échec de la collaboration/concertation de classe résulte de l’impossibilité structurelle d’amoindrir l’intensité de la compétition inhérente au mode de production capitaliste… à moins d’accepter de très profondes crises qui génèrent de dévastatrices guerres mondiales mettant en péril la civilisation même et dorénavant l’équilibre écologique de la planète. Le Manifeste, sous forme de questionnements, suggère de « favoriser la coopération au lieu de la compétition » ou encore de « redistribue[r] la richesse équitablement » et même de « [c]ontrôler démocratiquement les institutions financières » et j’en passe. Fort bien. Cela nécessite, si on est sérieux, le renversement du capitalisme.
Et comme l’a démontré encore une fois le sanglant coup d’État militaire contre le gouvernement Allende au Chili en 1973, il se suffit pas de conquérir la majorité parlementaire pour y arriver. L’Histoire a maintes fois prouvé que la voie parlementaire mène directement dans un cul-de-sac. Il faut surtout renverser le capital dans la rue, par la grève générale ou/et par une guerre populaire prolongée ou/et une insurrection générale, tout dépendant de la structure socio-économique et des rapports de forces. Même là, la mobilisation générale peut s’arrêter à mi-chemin comme c’est le cas au Venezuela et en Bolivie où elle a favorisé la victoire dans les urnes de radicales régimes nationalistes anti-impérialistes. Ces régimes, il est vrai, créent des conditions favorables à une re-mobilisation anticapitaliste mais peuvent aussi créer les conditions d’une régression néolibérale par le mécanisme de la cooptation des directions du mouvement social.
Même le renversement du capitalisme ne prémunit pas contre la gangrène bureaucratique comme l’a prouvé le socialisme réellement existant du XXiè siècle. Ce n’est pas une raison de nier le caractère progressiste des importantes avancées socio-économiques de ces régimes. Sauf pour la nouvelle couche capitaliste et ses alliés, les pays de l’ex-URSS, depuis le démantèlement de l’URSS en 1990, ont connu un important recul socio-économique marqué notamment par une régression de l’espérance de vie. Par exemple, en Russie, malgré l’atout de sa richesse pétrolière qui a gonflé artificiellement les principaux indicateurs économiques depuis 2000, l’espérance de vie est passé de 68.8 ans en 1989, dernière année d’existence de l’URSS à 65.4 ans en 2007. Au Canada, durant le même temps elle est passée de 77.3 à 80.6 (État du monde 2009, site web).
Cela est aussi vrai pour Cuba qui maintient les acquis de son système de santé, d’éducation et de garderies, malgré le criminel blocus étasunien et le traumatisme maintenant surmonté de la disparition de l’URSS grâce à l’ALBA avec le Venezuela. S’y ajoutent d’importants acquis écologiques dans le domaine de l’agriculture urbaine et du transport public, sans compter un système remarquable de sécurité contre les ouragans qui fait honte aux ÉU. Le drame de la dictature bureaucratique n’est pas la régression socio-économique, au contraire, mais le gaspillage des ressources et la frustration démocratique qui prépare le terrain au retour du capitalisme qui lui provoque le démantèlement des acquis socio-économiques de la révolution. Ce n’est pas pour rien que, par exemple, Le Devoir (9 mai 2009) se livre à la une au dénigrement de la révolution cubaine « déboulonn[ant Castro] au nom de la fiction ». Quand même ! Au fur et à mesure de l’approfondissement de la crise globale du capitalisme, même le peuple québécois pourrait voir d’un bon œil les acquis du plein emploi et des services publics cubains malgré la grande modestie du niveau de vie, malgré les inégalités dues à l’accès différencié au dollar et malgré les importantes déformations bureaucratiques.
Des États généraux pour gagner la bataille du Front commun
Au Québec, le concertationnisme a été institutionnalisé par le PQ à la fin des années 90 par les sommets économiques imposant le déficit zéro. Sa force paralysante pour le mouvement syndical a encore été prouvée lors de la défaite sans combat du secteur public en décembre 2005. Il faut bien saisir que le problème de fond de la négociation 2003-2005 dans le secteur public fut moins le manque d’unité, comme le prétendait la plupart des analystes de gauche, que la concertation qu’on croyait autant possible avec les Libéraux qu’avec le PQ.
Le démenti le plus clair de cette analyse erronée fut d’ailleurs la longue et profonde grève partiellement réussie du mouvement étudiant en 2005 malgré le manque d’unité organisationnelle. On peut même dire que c’est l’autonomie combative de l’ASSÉ qui a permis de démarrer le moteur même si après coup le manque d’unité, dû cependant au concertationnisme des grandes associations étudiantes que le sectarisme de l’ASSÉ encourageait, a empêché de donner à la grève un caractère offensif et surtout de faire le lien avec la grève du secteur public. Comment cette fois-ci s’assurer un Front commun combatif qui prépare l’affrontement avec le gouvernement en union avec le mouvement étudiant et appuyé activement par le mouvement populaire ?
Encore cette fois-ci, les centrales syndicales québécoises auront beau s’organiser en un grand front commun, s’ils le font dans un esprit de concertation avec le gouvernement, le résultat sera le même qu’en 2005. Il le sera d’autant plus que toute l’affaire se jouera dans le contexte d’une grave crise économique. S’imaginer qu’il y aura rattrapage salariale dans le secteur public et para-public québécois alors que les travailleurs du secteur privé, surtout ceux et celles des branches en crise profonde comme l’automobile mais aussi la foresterie, font concession sur concession, est rêver en couleur. S’imaginer que la négociation se fera rapidement comme le déclarent les chefs syndicaux relève de l’inconscience ou de la désinformation.
S’imaginer de plus qu’il y aura reprise en 2010, année de l’échéance des conventions collectives, c’est participer aux illusions des analyses des économistes patentés. Même ceux-ci admettent que la reprise ne pourra qu’être faible et longue étant donné la montagne de dettes à digérer par tous les acteurs économiques que ce soit ménages, entreprises ou gouvernements, ce qui signifie que le chômage continuera de grimper et qu’ensuite il se maintiendra à un haut niveau. Même si l’engagement de non-maraudage est un bon signe, pour que ce grand mouvement des syndicats du secteur public atteigne ses buts, il lui faudra inscrire sa lutte, qui ne pourra qu’être féroce, dans le cadre d’un projet global de sortie de crise à gauche.
La création du rapport de forces nécessaire implique la construction d’un mouvement social qui devra, au niveau des revendications, prendre en compte le refus des privatisations et la reconstruction quantitative et qualitative des services publics. Il ne suffira pas de se limiter aux domaines traditionnels de la santé, de l’éducation, des garderies et des services sociaux. Il faudra proposer de développer à une échelle sans précédent les services publics dans les domaines de l’efficacité énergétique, des transports publics, du logement social, de la foresterie et des ressources énergétiques renouvelables. Cette échelle gigantesque nécessitera une profonde réforme fiscale, permettant d’aller chercher plusieurs dizaines de milliards $, ce qui devra faire partie des revendications.
Il en sera de même pour la diminution du temps de travail sans baisse salariale afin, qu’en combinaison avec la création d’emplois dans le secteur public, d’atteindre le plein emploi, seule façon de rallier les travailleuses et travailleurs du privé au grand combat qui sera nécessaire. On ne fera pas l’économie d’une grève générale bien plus large que le secteur public. Se posera inévitablement la question de la fuite des capitaux, celle de la grève des investissements. Il n’y a pas d’autre réponse que celle d’exproprier les institutions financières, ce qui en plus permettra le contrôle des flux d’épargne et d’investissement afin de les orienter dans le même sens que les choix publics. Et qui dit expropriation des banques dit une Banque populaire du Québec et qui dit Banque populaire du Québec dit indépendance.
C’est à ce niveau qu’on attend Québec solidaire, le niveau de la conquête du pouvoir par la rue et par les urnes, avec un projet d’états généraux du mouvement populaire pour un Québec indépendant et écologique. Le processus de mobilisation pourrait commencer dès maintenant en s’appuyant sur un précédent historique qui a laissé sa marque, soit les « États généraux du Canada français » de novembre 1967 qui se conclurent par « …une orientation vers l’indépendance du Québec. » (J. Lacoursière, J.Provencher et D. Vaugeois, Canada-Québec, synthèse historique, 1978). Un tel mot d’ordre serait d’autant plus le bienvenu que beaucoup de militants syndicaux, conscients de l’enlisement du mouvement syndical depuis la capitulation sans combat de décembre 2005, souvent membres du SPQ-libre par attachement à la lutte pour l’indépendance et déçus des hésitations de Québec solidaire sur cette question, souhaitent ardemment la tenue d’états généraux du mouvement syndical.
Sans attendre d’initiative des directions syndicales, qui ne viendra peut-être pas, à Québec solidaire d’aller de l’avant. C’est un tel manifeste de sortie de crise qu’on attendait et non pas un projet de réforme de la CPDQ pour sauver Québec Inc. baignant en plus dans l’illusion d’un capitalisme vert et social. N’imaginons pas non plus de troisième voie entre ce projet et la défaite. La crise globale du capitalisme l’a définitivement fermée.
Dépassement du capitalisme ou nostalgie passéiste ?
Est-ce que le dépassement du capitalisme — point d’interrogation — est un pas en avant, du moins sémantique, vers le renversement du capitalisme — point final ? À lire le Manifeste par ses chemins de traverse, on y découvre maints indices de la signification concrète de ce capitalisme soi-disant dépassé. « Voyez les initiatives citoyennes, ici-même, au Québec : entreprises coopératives, agriculture biologique et de proximité, commerce équitable et économie sociale… » Nous y voilà. Le problème avec « le milliard de dollars accordé à la Société générale de financement [par le gouvernement Charest, c’est qu’il] exclut les petites entreprises qui emploient le tiers de la main d’œuvre au Québec ». Donc aussi davantage de PME d’ailleurs soignées au petits oignons par le plan anti-crise, par exemple par des subventions pour payer le salaire minimum qui ne sera pourtant pas plus élevé que celui de l’Ontario en 2010.
Coopératisme
Concrètement parlant, au Québec favoriser les coopératives et les PME, c’est favoriser l’anti-syndicalisme. Desjardins, Agropur et la Coop fédérée sont réputés pour leur zèle anti-syndical. Ce n’est pas un hasard. Comme coopératives et PME sont généralement désavantagées dans leur concurrence contre les transnationales, elles font tout leur possible pour moins bien payer leurs employées et leur donner de moins bonnes conditions de travail. On notera d’ailleurs qu’aucune mesure du plan anti-crise contenue dans le Manifeste ne concerne la syndicalisation, les salaires et les conditions de travail. PME et coopératives n’en seraient pas contentes. Dans le capitalisme réellement existant, les coopératives qui réussissent ont pleinement intériorisées la loi de la concurrence. Cela se voit, par exemple, chez le groupe Mondragon, qui compte pour 4% du PIB du Pays Basque, considéré par plusieurs comme le modèle mondial des coopératives de production et de distribution.
De dire son responsable des ressources humaines : « Nous sommes des compagnies privées opérant dans le même marché que tous les autres. Nous sommes exposés aux même conditions que nos compétiteurs. » (The Economist, 26 mars 2009) La prospérité du groupe fait qu’il emploie deux personnes non-membres par membre employé, soit dans des filiales, par exemple en Chine et aux ÉU, soit comme employés temporaires. La récession frappe d’abord les non-membres d’où des grèves. Elle frappe quand même les membres qui doivent geler ou réduire leurs salaires, réduire leurs heures et même congédier collectivement certains membres individuels quoique la Coop est tenue de leur trouver un autre emploi dans un rayon de 50 kilomètres. Quant aux gestionnaires, la politique salariale a dû s’adapter au marché : d’un ratio salarial de 3 pour 1 vis-à-vis les salaires des employés, la coop a dû faire passer les salaires des gestionnaires à 8 pour 1 afin d’arrêter l’hémorragie.
Le coopératisme comme force sociale est né au XIXiè siècle en même temps que le syndicalisme et le socialisme en tant que réponse du prolétariat émergeant à l’exploitation du capitalisme triomphant. Le coopératisme se situe alors entre le socialisme compris comme le pouvoir politique du prolétariat par le renversement du capitalisme et le syndicalisme comme pouvoir collectif de résistance du prolétariat à l’exploitation au sein de la société capitaliste. Au sein du capitalisme, le coopératisme s’associe au syndicalisme comme force de résistance en tentant de supprimer le rapport patronal, qui cependant cherche constamment à se reproduire au sein de la coopérative, mais sans aucunement pouvoir supprimer le rapport d’exploitation qui opère par l’intermédiaire du marché capitaliste.
C’est ce que démontre autant Mondragon (coop de travailleurs) que la Fédérée (coop agricole) ou Desjardins (coop d’épargnants) ou même les nombreuses coops d’habitation qui seraient peu viables sans l’aide de l’État. On a vu pourquoi le coopératisme, y compris celui de travailleurs, n’est pas nécessairement compatible avec le syndicalisme. Il faut le socialisme pour résoudre la contradiction car alors coopératisme rime avec autogestion de bas en haut, c’est-à-dire avec la suppression de la domination du marché, qui peut cependant jouer un rôle auxiliaire, en faveur de la démocratie (économique). Dans la première moitié du XIXiè siècle, coopératisme et socialisme se distinguaient d’ailleurs à peine :
« La postérité féministe [de St-Simon], avec Flora Tristan, Jeanne Deroin, Pauline Roland, […] proposait à tous les ouvriers de France de se rassembler dans une organisation unitaire où le travail serait réglé et contrôlé en détail par les ouvriers eux-mêmes et qui prendrait en charge les orphelins et les vieillards […] où l’autogestion ouvrière s’étendrait de l’atelier à la branche et de celle-ci à l’ensemble de l’industrie, et se prolongerait en un double système de planification démocratique et de welfare state géré par les producteurs. » (François Espagne, ancien secrétaire général de la Confédération générale des SCOP [Sociétés coopératives ouvrières de production, France], « Les coopératives ouvrières de production entre utopies fondatrices et idéologies concurrentes », 2000, Internet)
Une fois que le coopératisme eut commencé à prendre les formes concrètes qu’on lui connaît aujourd’hui non pas comme substitut mais dans le cadre du capitalisme, Marx apportera la distinction essentielle entre le coopératisme avant et après la révolution socialiste :
« [Marx] voyait dans les coopératives ouvrières, comme d’ailleurs dans les sociétés anonymes, des formes de transition entre le mode de production capitaliste et le système d’association (Capital). Ce qui était condamnable à ses yeux était moins la formule elle-même que la précipitation à la recommander comme un remède miracle dans n’importe quelle situation historique : justifiée dans la situation révolutionnaire d’un Etat ouvrier-socialiste comme la Commune de Paris, elle est condamnée dans une situation quasi-féodale et un Etat réactionnaire comme la Prusse de la même époque. La différence de position dans les deux situations fait écho à l’objectif assigné aux prolétaires de « renverser l’Etat pour réaliser leur personnalité » (L’idéologie allemande, 1846). Tant que cet objectif n’est pas atteint, dans une phase antérieure de développement, le « socialisme critico-utopiste » ne peut qu’ « émousser la lutte des classes » (Manifeste, 1848). Le renversement de l’ordre social réalisé, l’utopie associationniste devient réalisable, elle est même probablement le modèle que choisira spontanément le prolétariat » (idem)
Économie sociale
S’il faut bien distinguer un coopératisme de petits propriétaires (coops agricole et forestière) ligués contre les monopoles agro-industriels et forestiers et même une coop de travailleurs s’organisant pour sauver leurs emplois, on n’en constate pas moins que coopératives, PME et OSBL subventionnées par l’État et/ou la charité privée, les trois composantes de l’économie sociale, ne sont ni un renversement ni même un dépassement du capitalisme. Soit elles y sont pleinement intégrées mais comme secteurs dominés par le grand capital, d’où leur propension anti-syndicale, soit elles en sont une appendice socialement nécessaire pour gérer les conséquences des coupures/privatisation de services publics et de programmes sociaux.
« L’économie sociale reste un concept encore flou et peu mobilisateur. Il a de la peine à se distinguer des acceptions initiales(économie charitable) ou universitaires (analyse des interdépendances entre le social et l’économique). S’il s’entend au sens de Walras [économiste qui a mathématiquement systématisé l’économie de marché, NDLR] (Etudes d’Economie sociale, 1896), il concerne la répartition de la richesse sociale et son optimisation du point de vue de la justice, il englobe alors les coopératives de consommation mais il exclut les coopératives de production. S’il s’entend au sens de Charles Gide (L’Economie sociale, 1900), il concerne « tous les efforts pour élever la condition du peuple » et regroupe les actions du « patronage » (l’aide du fort au faible, patronage d’employeurs ou patronage philanthropique), les associations fondées sur le « aide-toi toi-même » et qui englobent les coopératives, les mutuelles et les syndicats avec les associations proprement dites… » (idem)
Commerce équitable
Si coops et tutti quanti définissent les unités de production et d’échange de l’économie sociale, leurs rapport réciproques, surtout internationaux, seraient définis par le « commerce équitable » et l’investissement tout aussi équitable « dans des entreprises écologiques et socialement responsables » de dire le Manifeste du premier mai. Le commerce équitable est la redéfinition contemporaine de la doctrine du « juste prix » du théologien catholique du XIIIiè siècle, Thomas d’Aquin :
« [P]armi les critères fondamentaux du commerce équitable, le prix juste doit non seulement couvrir le coût de la matière première, des moyens de production et du temps de travail, mais aussi les coûts sociaux et environnementaux. Il doit en outre assurer un bénéfice, qui peut par exemple être versé en espèces aux producteurs ou être affecté au groupement, à l’amélioration écologique, à l’organisation associative ou à la promotion féminine. (Laure De Cenival, 1998, Internet)
À partir du moment où pour sortir de la marginalité — le commerce équitable comprend moins de 1% du commerce mondial, moins de 5% pour son produit vedette, le café — la grande majorité du commerce équitable passe de plus en plus par les transnationales de la distribution, le prix final doit être au-dessus du marché :
« Dans les réseaux alternatifs, les coûts de distribution et les marges sont réduits au maximum par rapport au commerce conventionnel. Pour les produits sous label équitable vendus dans la grande distribution, les marges des intermédiaires sont en principe les mêmes que pour les produits classiques. Ajoutés au prix équitable payé aux producteurs, ces coûts engendrent souvent un prix final supérieur à celui d’un produit conventionnel équivalent. » (Idem)
Pour finir, si « [l]e prix équitable payé au producteur est supérieur à celui du marché… il faut bien admettre qu’un prix supérieur à celui du marché n’est pas forcément juste. » (idem) puisque il est quand même défini sur la base du prix de marché. « Il ne peut y avoir de commerce équitable que si les termes d’échange [dont] les taux de change sont équitables » (Le Devoir web, commentaires, 28/04/09) En résulte que « “[s]auf quelques cas particuliers, la répartition de la plus-value, elle, ne change pas entre le modèle d’échange traditionnel et équitable”, avec à la clef une plus grande quantité de la richesse générée au moment de l’échange, 70 % en moyenne, qui finit dans des coffres du Nord, contre 30 % dans les économies du Sud. » (Corinne Gendron, titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), dans Le Devoir, 28/04/09).
Le commerce équitable ne modifie qu’à la marge l’échange inégal. Les rapports internationaux de prix ne reflètent en rien les rapports internationaux de valeur-travail, sans compter le remboursement sans fin de la dette des pays dépendants elle aussi reflétée dans ces prix. Ces prix sont déformés par un fort inégal ratio capital/travail entre pays impérialistes et pays dépendants qui explique une exportation nette de temps de travail vers les pays impérialistes même à un « juste » prix de marché car dans les pays dépendants il y a plus de temps de travail pour rémunérer la même quantité de capital, et vice-versa, dans le cadre d’un marché mondial nivelant tendanciellement les taux de profit. Or avec la crise de la dette des pays dépendants, qui redevient plus aiguë avec la crise économique, ces pays doivent vendre même en bas du « juste » prix de marché étant donné l’intensité de la compétition entre les pays dépendants pour exporter matières premières et produits finis vers les pays impérialistes afin de rembourser leurs dettes contractées en devises fortes.
Le soi-disant commerce équitable est en voie d’être récupéré par les transnationales pour devenir « une simple niche pour les consommateurs » (Le Devoir, 28/04/09) en mal de bonne conscience ce qui a pour effet de les démobiliser pour la lutte collective. On peut même douter de l’équité formelle de ce commerce car « si les producteurs équitables du Sud doivent se conformer à un ensemble de critères de certification, il n’en est rien pour les distributeurs du Nord. Toute entreprise peut s’enorgueillir - et publiciser - le fait qu’elle offre des produits équitables, sans avoir à mettre en œuvre les critères de transparence, de démocratie et d’éducation du consommateur, qui sont pourtant à la base même du mouvement. » (Benoîte Labrosse, 30/04/09, Internet) Dans les pays dépendants, le commerce équitable contribue au développement des cash crops aux dépens de la souveraineté alimentaire et de la durabilité écologique.
Faut-il alors s’étonner que le Manifeste de la direction de Québec solidaire dénonce « la mondialisation néolibérale, comme une forme “avancée” du capitalisme » sans doute pour proposer une forme de capitalisme sans « profiteurs cupides », sans « libre marché à outrance » et sans « financiers sans scrupules » qui ne soit pas « un capitalisme débridé, sans règles ni entraves ». L’horizon de la direction de Québec solidaire semble être un capitalisme avec règles et contraintes avec des profiteurs raisonnables et des financiers scrupuleux qui opèrent dans le cadre d’un libre marché éthique développant des PME et coops vertes et sociales ! Un cercle carré avec ça ?
La fermeture du débat
D’affirmer le responsable du collectif de Québec solidaire Gauche socialiste que « [l]’objectif de cette publication [le Manifeste] est d’ouvrir un débat sur les voies de sortie de la crise économique et de la crise écologique. » Si la direction de Québec solidaire avait voulu ouvrir un débat, elle aurait utilisé la procédure bien connue et bien rodée d’écrire une proposition qu’elle aurait envoyée dans les instances de base pour fin d’amendements et de contre-propositions afin d’être adoptée au congrès de juin ou à celui de cet automne. Étant donné la question centrale de la crise globale du capitalisme dans la conjoncture, ce débat selon des procédures simples et bien connues aurait soulevé enthousiasme et passion et haussé d’autant le niveau de participation dans le parti. À la place, la direction de Québec solidaire a donné la priorité à un tel débat sur les statuts et à une discussion sans possibilité de vote sur la question nationale dans le cadre d’une procédure complexe où une chatte n’y retrouve pas ses petits.
Le fermeture du débat sur la question cruciale d’un plan anti-crise a un sens politique qu’il faut saisir. Le responsable du collectif de Québec solidaire Gauche socialiste prétend que « le Manifeste constitue une bonne amorce [pour] réfléchir sur les excès du capitalisme et oser dépasser le capitalisme lui-même… ». Cela est vrai que si l’on refuse la fermeture du débat par la direction de Québec solidaire. Cette direction se doute fort bien que si elle ouvrait enfin le débat sur la question de la crise, elle verrait fortement critiqué sinon rejeté son plan anti-crise en faveur d’un plan alternatif qui ressemblerait davantage au plan d’urgence proposé, par exemple, par le Nouveau parti anticapitaliste de France. Ce plan en acquerrait d’autant un caractère anticapitaliste.
Il est d’ailleurs étonnant que le responsable du collectif de Québec solidaire Gauche socialiste prétende que le Manifeste laisse dans l’ombre la question du plan d’urgence alors qu’il est clairement explicité même s’il propose une restauration du capitalisme québécois donc à seulement « atténuer les effets de la crise et non à nous sortir de cette crise ». Si l’auteur fait cette critique — on se réjouira qu’il ose enfin critiquer la direction de Québec solidaire — c’est que le programme d’urgence, le plan anti-crise en annexe de ce texte, est bien là en toutes lettres.
Alors ne fermons pas la discussion et essayons d’utiliser le débat sur le programme pour faire avancer celui sur le plan anti-crise malgré que la direction nationale se soit donnée le droit de faire un cahier de propositions sans sélection préalable par une procédure de propositions votées à la base dans les instances statutaires du parti. On se fera donc encore une fois assommer par une brique à discuter en un temps record, comme ce fut le cas lors de la discussion sur la dernière plate-forme, rendant très difficile une appropriation et donc la possibilité de contre-propositions alternatives élaborées et structurées. Malgré tout, ma proposition sur « Une stratégie pour l’indépendance en temps de crise » va dans ce sens.
Il faut avouer que les propositions de modifications statutaires en vue du congrès de juin, qui renforce la centralisation au nom de la décentralisation, n’ont rien de rassurantes pour une éventuelle ouverture du débat démocratique. La seule préoccupation présente dans la réforme des statuts concerne le renforcement organisationnel de la direction, coordination nationale et exécutif. Aucun autre sujet n’est abordé.
La direction, à travers son comité des statuts nommé par elle, propose le rapetissement de la coordination nationale qui se voit confirmer explicitement « un rôle de direction politique » et dont le quart des membre, trois sur douze, deviendra salarié. Deux de ces postes sont stratégiques. Les postes de présidence et de porte-parole (non députée) fusionnent et cette personne est chargée de rien de moins que « de l’élaboration et de la mise en œuvre de la stratégie politique du parti ». Celle-ci, en plus, a le nouveau pouvoir de convoquer l’exécutif, en pratique le bureau d’organisation, même si elle n’en fait pas partie, exécutif dont les pouvoirs sont renforcés aux dépens de la coordination nationale. Le poste de coordination de la permanence est transformé en coordination générale et cette personne est chargée de l’importante tâche de « supervise[r] la préparation et la réalisation des plans de travail ». Il y a là toute une concentration de pouvoir qui n’a rien à voir avec le renforcement de la direction collégiale à laquelle on prétend par ailleurs.
L’électoralisme connaît aussi une promotion avec l’apparition d’un nouveau poste de responsable aux élections, la disparition d’un des deux postes de liaison avec les régions, la disparition du responsable de la formation — à remarquer que pour ce qu’il y avait de formation dans le parti… — et, last but not least, la fusion du responsable à l’organisation avec celui à la mobilisation dont la première tâche devient interne, soit « l’organisation des instances nationales ». Le parti de la rue en prend un coup. On peut peut-être se réjouir du fait que rien n’apparaisse du côté comité de discipline après la frousse du Conseil national de septembre 2008 où la base a résisté à la tentative de la direction d’imposer une structure de délation où un seul membre pouvait porter plainte contre un autre auprès d’un de ces nombreux nouveaux comité, créés spécifiquement pour l’occasion, sur la seule base de « nuire à la réputation du parti ». Le pluralisme et la dissidence ont encore un espace. N’attendons pas que la brèche se ferme.
Marc Bonhomme, 13 mai 2009
Annexe : Plan anti-crise du Manifeste du premier mai
– Décourager l’épargne dans des régimes privés et financiarisés en réduisant le plafond des REER à 10 000$ ;
– Encourager l’utilisation de l’épargne publique et collective pour la retraite en permettant une augmentation volontaire dans la cotisation du RRQ pouvant aller jusqu’à 13 % du revenu ;
– Protéger et « verdir » notre bas de laine en modifiant le mandat de la Caisse de dépôt et de placement pour qu’elle investisse prioritairement au Québec et dans des entreprises écologiques et socialement responsables.
– Créer au moins 40 000 emplois viables en :
– Investissant massivement dans le transport en commun et collectif ;
– Mettant sur pied un vaste chantier sur l’efficacité énergétique ;
– Investissant massivement en économie sociale, dont 160 M $ au cours des deux prochaines années ;
– Construisant 50 000 nouveaux logements sociaux ;
– Nationalisant et développant l’énergie éolienne ;
– Créant 38 000 nouvelles places en garderie ;
– Embauchant plus d’enseignant-e-s pour réduire le nombre d’élèves par classe au primaire et au secondaire ;
– Offrant 4 manifestations culturelles par année pour les élèves du primaire au collégial ;
– Hausser le salaire minimum pour qu’il soit équivalent au seuil de faible revenu ;
– Soutenir financièrement les PME et les organismes communautaires à la suite à cette augmentation ;
– Augmenter substantiellement les prestations à la sécurité du revenu ;
– Encourager les coopératives de travailleuses et de travailleurs qui reprennent les entreprises rentables qui délocalisent leurs activités ;
– Exiger des entreprises qui délocalisent leurs activités qu’elles remboursent les prêts et aides fiscales qu’elles ont reçus du gouvernement québécois ;
– Ne procéder à aucune hausse de frais dans les services publics ;
– Augmenter la liste des biens culturels et de première nécessité exemptés de TVQ ;
– Recentrer les villes, villages et quartiers sur leurs propres capacités à se développer économiquement en finançant adéquatement les Centre locaux de développement par exemple.
– Investir plus de 1 milliard $ dans des mesures créatrices d’emplois « verts » (voir plus haut) ;
– Appuyer une agriculture verte, locale, biologique et du terroir afin de réduire notre dépendance à l’importation et à la monoculture ;
– Établir une politique d’achat local, écologique et socialement responsable et encourager les initiatives québécoises qui sont bénéfiques à l’environnement et à la société ;
– Moduler la TVQ sur les biens autres que culturels et de première nécessité afin qu’elle augmente pour les biens de luxe ou polluants.