Dans la collection Désobéir, aux éditions du Passager Clandestin, deux petits ouvrages parus récemment se consacrent aux questions pratiques liées au militantisme dans l’entreprise et à la résistance contre la précarité, deux thèmes intrinsèquement liés.
Tous les livres publiés dans cette petite collection sont construits sur la même trame, tenant sur une soixantaine de pages, organisée en quatre grandes parties : un aperçu théorique de la question, un résumé historique, des repères pour passer à l’action et enfin une bibliographie (livres, documentaires et sites internet). Le tout pour 5 euros, autant dire que vous avez là un outil militant efficace, qui peut-être mis facilement entre toutes les mains. La collection compte désormais de nombreux titres, depuis Désobéir pour le logement jusqu’à Désobéir au nucléaire, en passant par Désobéir par le rire. Nous nous pencherons exclusivement sur les deux titres consacrés à la résistance dans l’entreprise et contre la précarité.
Un véritable répertoire de la grève.
Les premières parties de chaque ouvrage sont de bonnes synthèses, articulées autour de chiffres clefs, qui permettent un aperçu théorique et historique cohérent. Le premier grand intérêt de ces ouvrages réside dans leur partie historique. Il ne s’agit pas d’un aperçu de l’histoire générale des luttes salariales, mais d’une sorte de répertoire des formes de luttes, appuyé sur des exemples concrets : « Grève tam-tam. Chez Dassault en 1967, les grévistes systématisent les débrayages surprises : certains jours, il y a 5 minutes de grève par heure et des manifestations dans les ateliers, au son d’un orchestre ouvrier : c’est la grève tam-tam, qui empêche par le bruit le travail des non-grévistes… » ; « Solidarité transfrontalière. En Roumanie, les ouvriers de l’usine Dacia […] mènent une grève pour obtenir une hausse de salaire. La CGT et la CFDT Renault organisent une collecte pour les aider à tenir. » Ce petit historique traite également de la question des séquestrations, de la reprise de la production, du sabotage, des différentes formes de grève… Même chose du côté de la précarité : les mouvement des chômeurs, des stagiaires, des intermittents sont exposés et illustrés, tout comme les actions de rétablissement de l’énergie menées par des salariés d’EdF et de GdF.
Un mode d’emploi de la résistance ?
Une fois les éléments historiques exposés, les auteurs s’attellent à fournir des repères pour permettre d’agir et d’entrer en résistance. Dans ce cadre, des éléments exposés précédemment sont repris de façon systématique. C’est le cas en ce qui concerne les différents types de grève et aux formes de lutte collective. Les auteurs s’appliquent également à formuler des recommandations utiles : « Encouragez une culture de solidarité qui rendra plus facile l’action collective et plus difficile la répression » ; « Tant que vous êtes encore faible ou peu sûrs de vous, restez discret » ; « Il vous faut construire une légitimité qui permette de montrer que l’on peut être à la fois un bon professionnel et un être en résistance ». Et ils s’efforcent de saisir les nouvelles opportunités d’action offertes par l’informatique, un terrain exploité uniquement par les collectifs de hackers.
Toutefois, au milieu de remarques de bon sens et d’indications utiles, certains passages suscitent l’étonnement, voire l’agacement. Par exemple : « Puisque le point faible du travailleur est précisément d’avoir besoin de son travail pour vivre, essayez de vous en passez ! Perdre son travail n’est pas si grave si on a pris soin de s’organiser, c’est-à-dire, en fait, d’organiser sa pauvreté et de réduire considérablement ses dépenses. » Ce type de représentation conduit d’une part à des discours culpabilisateurs et hautains – d’autant plus dangereux qu’ils redoublent les discours du patronat du type : « si vous n’êtes pas contents, allez voir ailleurs ». Et d’autre part, ils incitent à abandonner le terrain de la transformation sociale pour celui des communautés alternatives – une perspective qui empêche toute construction de luttes collectives, car elle les considèrent comme inutiles, parce qu’elles prennent place à l’intérieur du système. De la même façon, l’accent mis dans les deux livres sur la dimension médiatique est à double tranchant. Il s’agit bien d’un enjeu de popularisation de luttes et de revendications, mais elles conduisent souvent à privilégier des temps et des formats qui plaisent aux rédactions sans que pour autant cela permette de construire un rapport de force sur la durée. Les piques-niques dans les supermarchés illustrent bien ce genre de problème.
Malgré ces quelques désaccords, ces deux petits livres se révèlent très utiles. Espérons qu’ils inciteront les structures syndicales et les équipes militantes à mieux transmettre les expériences et à reprendre les discussions sur les formes de lutte.
Henri Clément