Les apiculteurs français sont furieux. Alors que la récolte de miel de 2017 se révèle aussi catastrophique que celle de 2016 – elle n’atteint pas 10 000 tonnes, soit trois fois moins que dans les années 1990 –, l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF) a dénoncé, jeudi 19 octobre, l’autorisation de mise sur le marché par la France du sulfoxaflor. Ce nouvel insecticide, développé par l’entreprise Dow AgroSciences, est introduit sur le marché alors que les néonicotinoïdes, en voie d’interdiction en Europe, doivent être bannis en France par la loi de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages dès 2018 – des dérogations demeurant possibles jusqu’en 2020.
Selon l’UNAF, qui s’appuie sur plusieurs études scientifiques, le sulfoxaflor est un néonicotinoïde, mais non classé comme tel par les industriels et les agences réglementaires en Europe. Il agit, en tout cas, comme les néonicotinoïdes, en se fixant sur les mêmes récepteurs du système nerveux central.
En 2013, la Commission européenne avait décidé un moratoire interdisant trois des cinq néonicotinoïdes en usage. Une suppression définitive de l’ensemble de cette famille en Europe est à l’étude. Alors pourquoi en autoriser un nouveau en France ? « C’est honteux, scandaleux, pitoyable et irresponsable vis-à-vis des générations futures, s’étrangle Gilles Lanio, le président de l’UNAF. Je n’en reviens toujours pas ! »
Evaluation alarmante
L’affaire met le monde apicole d’autant plus en colère qu’elle survient alors que vient d’être publiée, dans la revue PLoS One, une évaluation alarmante du déclin des invertébrés : depuis 1989, les aires protégées allemandes ont perdu environ 80 % de leurs populations d’insectes volants. Un chiffre qui reflète très probablement la situation dans le reste de l’Europe. La cause la plus plausible identifiée par les chercheurs étant l’intensification du recours aux pesticides, dont les néonicotinoïdes utilisés en enrobage de semences.
Au niveau européen, le sulfoxaflor est autorisé depuis 2015. Et ce bien que l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ait pointé dans le dossier d’homologation transmis par Dow AgroSciences « des informations manquantes requises dans le cadre réglementaire » et n’exclue pas, pour certains usages, « un risque élevé pour les abeilles », ainsi qu’un « risque à long terme élevé pour les petits mammifères herbivores ».
EN FRANCE, L’ANSES A AUTORISÉ DEUX PRODUITS À BASE DE SULFOXAFLOR EN SEPTEMBRE
« Le sulfoxaflor n’est pas un néonicotinoïde, soutient pour sa part Benoît Dattin, porte-parole de l’entreprise Dow AgroSciences en France. Il est autorisé dans quarante-trois pays, est utilisé sur des millions d’hectares et aucun impact négatif sur les abeilles ou les pollinisateurs n’a été signalé. »
« Autorisation à la légère »
En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a autorisé deux produits à base de sulfoxaflor en septembre. L’UNAF, qui entretenait depuis deux ans des échanges avec l’agence sur les alternatives aux néonicotinoïdes, l’accuse d’avoir autorisé « en catimini » la mise sur le marché du nouvel insecticide. « A chaque fois que nous avons posé la question à ce sujet, l’Anses nous a répondu qu’on verrait plus tard, qu’il y aurait une consultation du public, témoigne Gilles Lanio. Elle nous dit aujourd’hui qu’il y aura des conditions restrictives, qu’un dispositif de “phytovigilance” sera mis en place… » L’UNAF, qui dit ne pas avoir été consultée, en doute.
« C’est toujours le même double discours politique. J’ai l’impression de revivre ce que nous avons déjà connu il y a vingt-cinq ans, soupire Henri Clément, porte-parole de l’UNAF. On autorise un produit à la légère et après on tergiverse avant de le retirer, au bout de quinze ans. » A chaque fois, l’UNAF doit livrer de longues et coûteuses batailles devant la justice française, voire européenne. « Nous en sommes à 800 000 euros de frais », dit M. Clément.
Les apiculteurs professionnels et amateurs de l’UNAF ont fait part de leur désappointement à l’équipe du ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. « Ils ont eu l’air surpris, cette autorisation aurait été décidée dans leur dos », rapporte M. Lanio. Leur colère est aiguisée par l’arrivée probable d’un autre néonicotinoïde actuellement en phase d’étude : le flupyradifurone.
Selon les données collectées par l’UNAF, sur une surface agricole utile totale de 28 millions d’hectares de terres arables en France, au moins 6 millions d’hectares sont chaque année traités avec des insecticides néonicotinoïdes, généralement en enrobant les semences des cultures.
L’IMIDACLOPRIDE EST PARFOIS DÉTECTABLE DANS LES SOLS DIX ANS APRÈS SON UTILISATION
C’est à titre préventif que les agriculteurs ont recours à ces substances, pas en réaction à des attaques de tel ou tel ravageur. Or ces molécules sont extrêmement puissantes (un gramme d’imidaclopride par exemple tue autant d’abeilles que quatre kilos du produit insecticide DDT). Et les habitudes sont bien installées : 39 % des surfaces de céréales à paille (blé, orge) sont ainsi traitées avec ces puissants insecticides, 33 % des cultures de maïs, 99 % des betteraves et 100 % du colza. Or, la molécule de la clothianidine, un néonicotinoïde, peut par exemple persister dans les sols plus de trois ans. L’imidaclopride, lui, est parfois détectable dans les sols dix ans après son utilisation.
Mais les agriculteurs n’ont guère le choix : il leur est devenu bien difficile de se procurer des semences qui ne soient pas enrobées de pesticides – dont ils ne connaissent pas forcément la teneur. Aujourd’hui, les coopératives, auxquelles trois quarts d’entre eux adhérent, vendent 70 % des semences présentées comme de véritables « garanties tous risques » et leur dictent leur façon de procéder. « Les agriculteurs dépendent des coopératives et les coopératives dépendent des pesticides », résume-t-on à l’UNAF.
Entre nouvelles générations de pesticides, parasite et frelon asiatique, le déclin des abeilles n’en finit pas de s’aggraver. Mais pour les apiculteurs européens s’ajoute une menace supplémentaire. Alors que, dans le monde, le nombre de ruches évolue lentement (8 % de plus au total entre 1961 et 2013), les exportations ont grimpé de 61 % depuis 2007. Il n’est pas compliqué de trouver l’erreur : les arrivées de miel en provenance de Chine ont explosé. Une bonne part contient des sirops sucrés de riz, betteraves, maïs, difficiles à détecter. Avec l’association de consommateurs UFC-Que choisir, l’UNAF demande de nouvelles règles d’étiquetage stipulant l’origine des miels importés.
Stéphane Foucart et Martine Valo
* LE MONDE | 19.10.2017 à 19h35 • Mis à jour le 20.10.2017 à 11h16 :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/10/19/un-nouveau-neonicotinoide-autorise-en-france_5203468_3244.html
« Les abeilles sont menacées d’extinction en Europe »
Trois députés européens socialistes expliquent dans une tribune au « Monde » qu’il faut interdire totalement les néonicotinoïdes en Europe et structurer la filière apicole en favorisant la professionnalisation des métiers de l’apiculture et de l’apidologie.
Tribune. Prolongeant le discours de ses agences sur l’inocuité du glyphosate, la Commission européenne, dans un rapport publié le 10 octobre, a estimé que « si les pesticides sont utilisés conformément aux conditions d’utilisation autorisées, ils n’ont aucun effet nocif avéré sur la santé humaine et animale, ni aucun effet inacceptable sur l’environnement ».
Pourtant il y a urgence ! Premières victimes des pesticides, particulièrement des insecticides néonicotinoïdes, les abeilles sont menacées d’extinction en Europe. Le taux de mortalité atteint jusqu’à 80 % dans certaines ruches d’Europe.
La chute inquiétante des populations de pollinisateurs a du reste amené la même Commission européenne à émettre en 2013 un moratoire de deux ans sur trois néonicotinoïdes (insecticides agissant sur le système nerveux des abeilles) et proposer en juin leur interdiction : la clothianidine, le thiamethoxame et l’imidaclopride.
Ces substances sont commercialisées par l’allemand Bayer et le suisse Syngenta, cette fameuse multinationale de l’agrochimie qui a échappé à toute sanction judiciaire demandée par l’Union nationale des apiculteurs français au tribunal correctionnel de Paris le 14 décembre 2016.
Il manque 13 millions de ruches en Europe
Le « syndrome d’effondrement des colonies » observé depuis les années 1990 a des impacts sur le secteur apicole mais plus largement sur l’ensemble de la biodiversité. Indispensables pour l’agriculture, les abeilles pollinisent 84 % des cultures européennes et 4 000 variétés de végétaux. En Chine, l’usage intensif des pesticides a entraîné la quasi-disparition des abeilles et les paysans secouent les arbres fruitiers pour tenter de reproduire de manière artificielle ce que la nature n’est plus capable de faire.
PLUTÔT QUE DE TERGIVERSER SUR LES PESTICIDES, COMME IL LE FAIT ACTUELLEMENT, LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS FERAIT MIEUX D’INTERVENIR À BRUXELLES POUR FAIRE INTERDIRE TOTALEMENT LES NÉONICOTINOÏDES EN EUROPE
Si nous n’y prenons garde, l’Europe risque de devoir rapidement en arriver aux mêmes extrémités, entraînant un surcoût pour les agriculteurs, déjà fragilisés économiquement. Il manque actuellement 13 millions de ruches en Europe pour favoriser la pollinisation.
Le repeuplement de l’abeille est essentiel pour l’avenir de notre agriculture. Plutôt que de tergiverser sur les pesticides, comme il le fait actuellement, le gouvernement français ferait mieux d’intervenir à Bruxelles pour faire interdire totalement les néonicotinoïdes en Europe, exiger une stricte application du règlement européen 1107/2009 en matière d’homologation des produits phytosanitaires et combler le vide juridique pour pouvoir faire condamner les multinationales de l’agrochimie, coresponsables du dépeuplement de l’abeille.
Mais nous devons aller plus loin !
Des moyens supplémentaires pour la recherche
Il est essentiel de mettre en place une stratégie européenne qui permette d’éradiquer certains parasites, bactéries, microchampignons et prédateurs sans recourir à l’utilisation massive de pesticides. Cela passe par des moyens supplémentaires alloués à la recherche sur les causes possibles de la disparition des abeilles et les possibilités de développer des populations plus résistantes.
Il est par ailleurs essentiel de structurer la filière apicole en favorisant la professionnalisation des métiers de l’apiculture et de l’apidologie, notamment par une formation diplômante. Cela passe, enfin, par une politique de sensibilisation auprès des acteurs agricoles sur le rôle essentiel de l’abeille et les usages de précaution à développer.
Ne nous y trompons pas, le déclin des abeilles est symptomatique d’une vision à court terme et intensive de l’agriculture qui n’a que trop duré. A l’heure où le nouveau président de la République barguigne sur les questions environnementales et agricoles, et où le débat sur la future PAC post-2020 a commencé, nous appelons de nos vœux un changement de modèle agricole, favorisant la diversification des productions, limitant les intrants chimiques et par là même préservant les abeilles, la biodiversité et avec elles l’avenir de nos agriculteurs.
Éric Andrieu (Député européen socialiste), Guillaume Balas (Député européen socialiste) et Jean-Paul Denanot (Député européen socialiste)
* LE MONDE | 19.10.2017 à 12h20 • Mis à jour le 19.10.2017 à 14h02 :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/19/les-abeilles-sont-menacees-d-extinction-en-europe_5203274_3232.html#uI26XGsRzA3j7Sv4.99
Les trois quarts des miels du monde sont contaminés par des néonicotinoïdes
Les concentrations de produits présenteraient un faible risque pour l’homme, mais sont susceptibles de provoquer des troubles pour les insectes.
Parfois surnommés « tueurs d’abeilles » pour le rôle déterminant qu’ils jouent dans le déclin d’Apis mellifera, les insecticides néonicotinoïdes – ou « néonics » – contaminent la grande majorité des miels récoltés sur les cinq continents. C’est le résultat saillant d’une étude franco-suisse publiée vendredi 6 octobre dans la revue Science : 75 % des miels analysés contiennent des traces de ces substances neurotoxiques. Un chiffre qui révèle, incidemment, la présence généralisée de ces pesticides dans tous les types de paysages.
Les concentrations de produits retrouvées sont réputées ne pas présenter de risque pour les consommateurs de miel. Mais elles sont le reflet d’une contamination des sources de nourriture des insectes pollinisateurs (nectar, pollen), à des niveaux susceptibles de provoquer une variété de troubles.
« A l’origine, c’est une expérience de science citoyenne, raconte Alexandre Aebi, chercheur à l’université de Neuchâtel (Suisse) et coauteur de ces travaux. Tout a commencé en 2013 avec une exposition sur l’apiculture au jardin botanique de Neuchâtel, dans laquelle les visiteurs étaient invités à apporter un pot de miel acheté au cours de leurs voyages, si possible directement à des petits producteurs locaux. »
Au total, quelque 300 pots de miels ont ainsi été récupérés en provenance d’Alaska, d’Australie, de Madagascar, d’Europe ou d’Asie. Toutes les latitudes sont représentées. « Nous avons opéré une sélection pour garder un échantillonnage qui ne surreprésente pas certaines régions par rapport à d’autres, poursuit M. Aebi. Et en définitive, nous avons conservé 198 miels différents pour l’analyse. »
Contamination des paysages
Cinq molécules de la famille des néonicotinoïdes ont été recherchées : imidaclopride, acétamipride, thiaméthoxame, clothianidine et thiaclopride. Dans 75 % des échantillons, au moins l’une d’elles a été retrouvée. Ce taux de contamination varie considérablement selon les régions, expliquent les auteurs : 86 % pour les miels analysés provenant d’Amérique du Nord, 80 % pour les miels asiatiques et 79 % en Europe. Ce taux est le plus faible en Amérique du Sud, où seuls 57 % des miels contiennent au moins l’un des cinq produits recherchés.
Au total, précisent les chercheurs, « 30 % de tous les échantillons contenaient un seul néonicotinïde et 45 % en contenaient entre deux et cinq ». Le produit le plus fréquemment détecté est l’imidaclopride, présent dans 51 % des échantillons testés, et le plus rare, la clothianidine, n’était retrouvé que dans 16 % des miels analysés.
Lire aussi : Deux études à grande échelle confirment les dégâts des néonicotinoïdes sur les abeilles
« Ces chiffres donnent une bonne idée de l’ampleur de la contamination des paysages, car l’abeille est un excellent capteur de l’état de l’environnement, explique M. Aebi. Elle butine dans un rayon qui va de 3 km à 5 km autour de sa ruche, à près de 12 km au maximum. »
En outre, le miel est un bon indicateur de l’état général des écosystèmes car, comme l’explique Christopher Connolly, chercheur à l’université de Dundee (Ecosse), dans un commentaire publié par Science, « des voies d’exposition secondaires des abeilles existent, par exemple lorsque des résidus de néonicotinoïdes présents dans les sols se transloquent dans les fleurs sauvages adjacentes, ou lorsque les cultures visitées [par les butineuses] sont plantées sur des terres déjà contaminées ».
Quant aux niveaux de contamination, ils sont en moyenne de 1,8 microgramme par kilo (µg/kg), avec un maximum atteint pour un miel allemand qui contenait près de 50 µg/kg de néonics – soit une valeur proche des limites maximales de résidus. « En l’état de ce que nous savons, les taux moyens retrouvés ne présentent pas de risques pour l’homme, explique M. Aebi. Mais ils peuvent poser problème pour toute une variété d’insectes : abeilles, bourdons, papillons, etc. »
Troubles sublétaux
Les auteurs ont passé en revue la littérature scientifique pour anticiper l’impact que peuvent avoir de tels taux de contamination sur la biodiversité. « Nous avons trouvé plus de quarante études récentes qui traitent des effets des néonicotinoïdes aux niveaux rencontrés dans l’environnement, ajoute le chercheur suisse. Or, on voit que des effets négatifs commencent à apparaître chez certains insectes dès une concentration de 0,1 µg/kg. » Soit un taux 18 fois inférieur à la moyenne relevée dans les miels analysés.
Chez de nombreux insectes non ciblés par les néonics, l’exposition chronique à de faibles doses de ces substances est associée à des troubles dits « sublétaux » : ils ne provoquent pas la mort immédiate de l’individu, mais induisent des troubles cognitifs, des pertes de mémoire – les butineuses oubliant le chemin de retour à la ruche –, une baisse de l’immunité, une vulnérabilité accrue à certains pathogènes, un effondrement de la capacité des populations à se reproduire, etc.
Cet aspect, crucial, est ignoré par la réglementation. « Actuellement, les tests de sûreté des pesticides se concentrent sur les risques que fait peser une exposition aiguë sur une abeille isolée, explique Christopher Connolly. Cependant, des études récentes en plein champ ont identifié une contamination généralisée des terres agricoles par les néonicotinoïdes, suggérant qu’il pourrait être plus pertinent d’évaluer les effets d’une exposition chronique des colonies entières. »
Les nouveaux résultats de l’équipe franco-suisse, en montrant que l’exposition des abeilles, à faible bruit, est générale, vont dans ce sens. « Ils permettent, écrit le chercheur écossais, de mettre en lumière la nature mondiale de la menace qui pèse sur les abeilles. »
Stéphane Foucart
* LE MONDE | 05.10.2017 à 19h59 • Mis à jour le 06.10.2017 à 06h40 :
http://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2017/10/05/les-trois-quarts-des-miels-du-monde-sont-contamines-par-des-neonicotinoides_5196801_1652692.html
Deux études à grande échelle confirment les dégâts des néonicotinoïdes sur les abeilles
Ces insecticides extrêmement puissants diminuent la fertilité des colonies, augmentent la mortalité et contaminent l’environnement.
Ce sont sans doute les derniers clous dans le cercueil des néonicotinoïdes. Deux études, l’une britannique, l’autre canadienne, publiées vendredi 30 juin par la revue Science, éteignent les derniers doutes qui pouvaient – éventuellement – subsister sur les dégâts occasionnés par ces nouvelles générations d’insecticide agricole sur les pollinisateurs. Introduits dans les années 1990, les néonicotinoïdes sont suspectés de longue date d’être une cause déterminante dans le déclin mondial des abeilles domestiques, des pollinisateurs sauvages et, indirectement, des oiseaux.
Très controversés, ces pesticides sont principalement utilisés de manière préventive, en enrobage des semences : lorsque les plantes traitées poussent, tous leurs tissus (feuilles, tiges, pollen, nectar, etc.) s’imprègnent du toxique. Conduites à une échelle inédite, les deux nouvelles études montrent une survie réduite des butineuses, une fertilité diminuée et une mortalité hivernale augmentée des colonies d’abeilles domestiques exposées en conditions réelles à deux néonicotinoïdes, le thiaméthoxame et la clothianidine. Les observations menées sur les pollinisateurs sauvages montrent des effets délétères plus marqués.
Résultat différent en Allemagne
La première expérience, conduite par Ben Woodcock (Centre for Ecology and Hydrology), a été menée sur onze sites différents, répartis dans trois pays – Allemagne, Royaume-Uni et Hongrie. Et sur chaque site, trois exploitations agricoles ont mis en culture du colza : deux exploitations avaient traité leur culture avec un néonicotinoïde (clothianidine ou thiaméthoxame), et une exploitation témoin n’en avait pas utilisé. Plusieurs dizaines d’hectares ont ainsi été mobilisés.
« C’est la plus vaste expérience en plein champ menée sur l’impact des néonicotinoïdes sur les abeilles », précise le biologiste Dave Goulson (université du Sussex), qui n’a pas participé à ces travaux – peu suspects de biais anti-industrie puisque financés par les agrochimistes Bayer et Syngenta. Dans chaque exploitation, l’état de santé de trois espèces de pollinisateur – l’abeille domestique (Apis mellifera), le bourdon terrestre (Bombus terrestris) et l’osmie rousse (Osmia bicornis), une espèce d’abeille solitaire – a été suivi pendant un à deux ans.
Les effets des traitements à base de néonicotinoïdes dépendent de plusieurs facteurs, mais l’impact est globalement négatif. « Leur impact sur le potentiel reproducteur de ces insectes varie en fonction des espèces et des régions, explique le biologiste Jeremy Kerr (université d’Ottawa), qui n’a pas participé à ces travaux, dans un commentaire publié par Science. Par exemple, la quantité d’abeilles domestiques ouvrières survivant à l’hiver était plus basse en Hongrie, avec le traitement à la clothianidine, ce qui n’a pas été détecté en Allemagne. »
Si les effets observés semblent moindres en Allemagne, c’est peut-être, expliquent les auteurs, parce que la proportion de colza butiné par les abeilles y a été moindre, celles-ci ayant accédé dans leur environnement à davantage d’autres plantes mellifères qu’en Hongrie et au Royaume-Uni. L’exposition par le colza traité a donc sans doute été inférieure outre-Rhin.
Mais une autre explication tient peut-être à l’indicateur utilisé, avance Walter Haefeker, président de l’Association européenne des apiculteurs professionnels : « Suivre la quantité d’individus dans les ruches est difficile et peut produire des estimations imprécises. En suivant un indicateur bien plus simple, comme le taux de survie des colonies, on voit dans les données fournies par les auteurs que, même en Allemagne, 100 % des colonies non exposées survivent, alors que ce n’est pas le cas pour celles qui sont exposées. » En clair, selon M. Haefeker, l’exception allemande n’en serait pas réellement une.
Pour les pollinisateurs sauvages, la situation est sans appel : dans toutes les situations, « les bourdons produisent moins de reines, et les abeilles solitaires produisent moins de larves lorsque l’exposition aux néonicotinoïdes est élevée », explique Jeremy Kerr. Cette exposition n’est d’ailleurs pas seulement le fait de l’expérience conduite : elle provient aussi de l’imprégnation de l’environnement.
Ruche expérimentale
« Un autre résultat très important de ce travail est que les auteurs retrouvent de l’imidaclopride partout, même lorsque les cultures n’ont pas été traitées avec cette molécule, confirmant les travaux récents de l’équipe Ecobee, en France, dit Gérard Arnold, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de ces questions. Sa longue persistance conduit à une contamination des sols et des cultures ultérieures, ce qui est préoccupant, en particulier pour les insectes pollinisateurs. »
D’autres recherches récentes, confirme Dave Goulson, « ont montré que les néonicotinoïdes contaminent fréquemment les fleurs sauvages ». Ces contaminations restent à l’état de traces, mais ces substances sont parmi les plus efficaces jamais mises au point. Un seul gramme d’imidaclopride peut, par exemple, tuer autant d’abeilles qu’environ 7 kilogrammes du célèbre DDT…
La seconde étude publiée par Science, elle, a été conduite dans deux régions de maïsiculture canadiennes. Les chercheurs, conduits par Nadejda Tsvektov (université de York à Toronto, Canada), ont étudié les colonies de onze ruchers, certains proches des champs de maïs traités avec de la clothianidine, d’autres éloignés de plusieurs kilomètres. Bien que le maïs soit pollinisé par le vent et non par les insectes pollinisateurs, les colonies proches des exploitations étaient plus exposées aux néonicotinoïdes que les colonies éloignées.
« Les auteurs ont trouvé un cocktail de vingt-six pesticides, dont quatre néonicotinoïdes, dans les colonies proches ou éloignées des champs », écrit Jeremy Kerr. Mais les colonies proches des champs ont été exposées à un plus grand nombre de molécules, et pendant des périodes plus longues, que celles qui en étaient éloignées. Là encore, une bonne part de l’exposition se fait par l’intermédiaire des fleurs sauvages, contaminées par les traitements agricoles.
Les chercheurs canadiens ont ensuite cherché à distinguer l’effet de la clothianidine des effets des autres substances détectées. Ils ont introduit dans une ruche expérimentale non traitée des abeilles ayant été exposées à du pollen contaminé à la clothianidine. En les marquant avec des micropuces électroniques, ils ont pu observer leurs différences. En moyenne, leur espérance de vie était réduite d’un quart et leur comportement différait de celui des individus non exposés, au point de mettre en péril la pérennité de la colonie.
« Ce résultat suggère que l’exposition aux néonicotinoïdes pourrait aider à expliquer le syndrome d’effondrement des colonies », décrypte Jeremy Kerr. A la lumière de ces nouveaux travaux, conclut Dave Goulson, « il est devenu intenable de continuer à affirmer que l’utilisation agricole des néonicotinoïdes n’endommage pas les abeilles sauvages et domestiques ».
Stéphane Foucart
* LE MONDE | 29.06.2017 à 20h18 • Mis à jour le 30.06.2017 à 09h31 :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/06/29/deux-etudes-a-grande-echelle-confirment-les-degats-des-neonicotinoides-sur-les-abeilles_5153318_3244.html