Envoyé spécial à Berlin,
Les 800 délégués du congrès fusionnant le PDS et la Wasg venaient aussi bien des régions d’Allemagne de l’Est, représentant principalement le PDS (70 000 membres), que de l’Ouest, représentant pour l’essentiel la Wasg (10 000 membres). Malgré ce déséquilibre numérique, la direction du nouveau parti est composée de 22 membres du PDS et 22 membres de la Wasg. À ce congrès, étaient également présentes près de 70 délégations étran¬gères, allant du Parti communiste chinois au Mouvement vers le socialisme (MAS) de Bolivie.
Chaque courant politique de Die Linke bénéficiait d’une table dans le hall pour y distribuer ses publications. Celle du PDS, par exemple, exposait des livres dénonçant « les mensonges impérialistes » colportés contre l’ex-RDA. Nostalgie mise à part, le PDS, comparé à ce que sont devenus les autres partis communistes des ex-pays de l’Est, représente une expérience originale. Il n’est pas devenu le parti de la restauration capitaliste - principalement parce que la droite (CDU), et les sociaux-démocrates du SPD s’en sont chargés -, ni un parti 100 % nostalgique du Mur de Berlin.
À l’Ouest, l’évolution des Verts, et surtout du SPD de Schröder avec sa politique antisociale et la participation à l’intervention en Afghanistan, a laissé un espace à gauche, avec la constitution de la Wasg, emmenée par Oskar Lafontaine (ex-dirigeant du SPD) et rejointe par de nombreux militants syndicaux. Jusqu’à présent, les partis comme le SPD et la CDU sont tous issus de l’Allemagne de l’Ouest, qui ont été s’imposer à l’Est au moment de la réunification. La fusion donnant naissance à Die Linke apparaît, dix-huit ans après la chute du Mur, comme le premier « vrai parti » de l’Allemagne réunifiée.
On peut aisément qualifier Die Linke de parti réformiste (son but est de participer aux institutions et aux gouvernements), avec certains aspects radicaux (le « dépassement » du capitalisme). C’est notamment sur la question des institutions que le débat a le plus pesé, principalement dans la Wasg. Le PDS cogère, avec le SPD, la mairie de Berlin. Résultat : privatisation de 6 000 logements sociaux, ouverture des magasins 24h/24h, non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite, etc. Les militants ayant fait la campagne réussie de la Wasg à Brême expliquent l’avoir faite en opposition à la politique du PDS, sur une base anticapitaliste. De plus, plusieurs dizaines de militants de la Wasg refusent d’adhérer à Die Linke. À Berlin, ils ont constitué un nouveau groupe, d’une centaine de personnes (Basg).
Samedi 16 juin, sont intervenus dans la salle réunifiée, les deux porte-parole de Die Linke : Lothar Bisky et Oskar Lafontaine. Dans son discours, Lafontaine s’est prononcé pour la renationalisation des services publics, l’augmentation des salaires (à huit euros brut de l’heure, c’est-à-dire 1 280 euros brut par mois pour 40h/semaine1), s’est référé à la lutte contre le CPE en France comme exemple à suivre. Citations de Rosa Luxemburg à l’appui, il a dénoncé la présence des troupes allemandes en Afgha¬nistan. En conclusion, il a inscrit la naissance de Die Linke dans la tradition du mouvement ouvrier allemand, comme seule vraie opposition de gauche au gouvernement.
À la recherche d’une alternative politique, Die Linke verra certainement de nouveaux adhérents, écœurés par la politique de Merkel/Schröder, frapper à sa porte dans les semaines qui viennent. Mais bien que traversé par des contradictions sur le sujet, l’objectif annoncé de Die Linke de changer le rapport de force à partir des institutions ne peut que l’amener à recommencer, à l’échelle nationale, ce qui se passe à Berlin. Et donc à de nouvelles déconvenues et déceptions.
Note
1. Il n’y a pas de salaire minimum en Allemagne, mais des accords de branche variant en fonction des Länder. Ainsi, à l’Est, un coiffeur peut toucher 3,5 euros de l’heure.