1- Le Président de la République nomme le Premier ministre « en tenant compte des résultats des élections », selon les termes de la Constitution. Cela signifie que le chef du parti ou de la coalition ayant obtenu le plus grand nombre de mandats électifs dans la Chambre des Représentants doit former le gouvernement. Toutefois, il ou elle ne peut pas se retrouver face à une majorité qui rejette son programme au parlement, sinon le président devra faire appel à quelqu’un qui n’aura pas une majorité contre lui, probablement issu du parti ayant obtenu le deuxième plus grand nombre d’élus. Un gouvernement de gauche, sans majorité parlementaire, dans l’hypothèse où il ne serait pas rejeté par la majorité, n’aurait eu de jambes pour marcher, bien que de façon très instable, que si le PS avait gagné les élections. Cela ne s’est pas produit, même si le soir des élections, il semblait que ce pourrait être le cas. La répartition des sièges entre les circonscriptions de l’émigration, qui n’ont pas encore été comptabilisées, ne changera pas la carte électorale.
Dans ce contexte, le Bloc de gauche incarnera une opposition populaire au gouvernement AD [parti-coalition de droite Alternative démocratique], s’opposant à ses politiques de privatisation et en matière de sécurité, ainsi qu’à l’osmose prévisible entre PSD et Chega à fin de donner stabilité au gouvernement. La reconfiguration et la radicalisation de la droite se poursuit sous de nouvelles formes.
2- Sur le fond, les appels d’AD et du PS au vote utile et à la bipolarisation n’ont pas fonctionné, contrairement à 2022. Ni à droite, avec la progression de Chega [« Ça suffit »] et la résistance de IL [Iniciativa Liberal]] ; ni à gauche, avec la résistance du Bloco et la montée de Livre, qui compense les pertes du PCP. Le PAN, mal défini, reste stable. A l’exception du PCP, tout le monde a gagné des voix. Certes, la progression de la gauche est peu significative par rapport à celle de l’extrême droite. Mais dans la perception publique, il était clair qu’à droite, Chega et IL, chacun avec ses propres problèmes, voulaient former une majorité avec le PSD et qu’à gauche, tous les partis, y compris le PAN centriste, montrent /ont montré une volonté de discuter d’une majorité avec le PS. Ceci, à un moment où la vie politique connaît une phase de tension dramatique, leur a permis de faire face dans de meilleures conditions au chantage du vote utile. Aucun de ces partis n’a l’intention d’en faire une ligne générale et intemporelle, mais dans le contexte défavorable des rapports de forces actuels, avec un glissement très important vers la droite, il s’agit d’une démarche qui était nécessaire.
3- Le vote pour Chega (autour de 18 %), rejoint la tendance internationale au trumpisme et est loin d’être une originalité lusitanienne. Cette extrême droite exalte le nationalisme réactionnaire, la xénophobie et le décrédibilisation des démocraties. C’est un processus porté par une fraction de la bourgeoisie qui nie le changement climatique, défend le protectionnisme commercial et promeut l’autoritarisme en matière sociale et de genre. Ce phénomène s’est développé à partir de la crise du capitalisme de 2007-2008, dénonçant la « mondialisation », il exerce une forte attraction idéologique, reproduite et amplifiée sur les réseaux sociaux. Au Portugal, le mécontentement à l’égard des politiques des gouvernements de la période de la geringonça (2019-2024) [1] a gonflé la base de masse de Chega. Une base hétérogène composée de nostalgiques de la colonisation, de gens dépolitisés et de nombreuses personnes en colère contre le manque de perspectives, en particulier parmi les jeunes. Certains de ces électeurs étaient des électeurs du PSD et du CDS, d’autres étaient des provenaient de l’abstention et de nouveaux électeurs. L’affirmation des droits de l’Homme est tout un programme idéologique et politique auquel ils s’opposent et où il faudra leur faire face, qu’il s’agisse du féminisme, de la diversité culturelle, des droits des LGBTQI ou de l’école démocratique. Mais ne nous voilons pas la face. Sans réponses sociales sérieuses, notamment pour les jeunes, il ne sera pas possible d’arrêter cette vague réactionnaire. Le dialogue avec ces secteurs populaires est important, mais toujours sans faire de concessions sur la politique migratoire ou la politique de sécurité.
Les partis sociaux-démocrates européens qui ont ainsi tenté de ménager l’extrême droite ont fini par perdre à la fois le pouvoir et leur raison d’être.
4- Sans insister sur d’autres facteurs, il est clair que l’adoption d’une position pour le moins ambiguë sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait beaucoup de tort à ceux qui l’ont adoptée. Ce fait mérite d’être souligné, compte tenu de toutes les critiques répétées adressées au Bloc de Gauche pour avoir pris le parti de l’agressé. Faire preuve de cohérence dans la défense des peuples, que ce soit en Ukraine, en Palestine ou ailleurs, est la pierre angulaire de toute politique internationaliste.
À la gauche du PS, dans les différents partis, il existe des propositions différentes en matière de politiques sociales, d’approche de l’Union européenne, de rapports avec les partis européens, de mesures environnementales, entre autres domaines. L’identification claire de ces différences peut permettre aux jeunes de se faire une idée plus précise de leur position. Ces différences ne sont pas un obstacle à la convergence dans l’opposition et sont importantes pour dissiper les confusions sur les positions des partis.
5- En se maintenant dans la continuité de la politique de [Antonio] Costa, le PS a été son principal adversaire. Il n’aurait pas été possible d’affaiblir Chega et de vaincre l’AD sans une sérieuse autocritique de la gestion gouvernementale entre 2019 et 2024. Les jérémiades incessantes sur la pandémie, la guerre et l’inflation, même si elles recouvrent une certaine réalité, ne peuvent servir d’excuse à la désorganisation des services publics, à la paupérisation et à l’aggravation des inégalités. Les zigzags autour de la compagnie aérienne nationale TAP, qui ont abouti à la proposition de privatisation contenue dans le programme électoral, démontrent clairement la prédominance de l’héritage tant vanté de Costa, qu’il a lui-même présenté avec autosatisfaction au cours de la campagne. La présente remarque est une mise en garde à l’attention de tous ceux qui envisageraient de valoriser cet héritage.
6- L’objectif de [Luís] Montenegro, qui, comme on le sait, n’est pas très suivi au PSD, est d’essayer de réunir une majorité absolue, à la manière de Cavaco, en cas de renversement d’un gouvernement minoritaire. « Laissez-nous travailler », tel était le slogan des partisans de Cavaco. Pour cela, Montenegro doit batailler et essayer de trouver des compromis avec Chega, tandis qu’une partie du PSD appelle à l’osmose des politiques de droite. Cette dégradation Ce tourbillon est caractéristique de l’instabilité politique. En outre, le positionnement du Président de la République est un facteur supplémentaire d’imprévisibilité. En tout état de cause, si le gouvernement PSD/CDS dit « non, c’est non », Montenegro pourrait se désolidariser et incorporer Chega petit bout par petit bout, loi par loi.
À ce stade, il faut que l’unité soit le moteur de la réponse des mouvements sociaux à la politique de droite. Toute résistance aidera fortement l’opposition à éroder la base de soutien du gouvernement PSD/CDS.
7- Les prochaines élections européennes, prévues pour le 9 juin, vont prolonger ce cycle électoral. Les discussions autour de la capacité à gouverner et de l’approbation du budget vont imprégner cette campagne. Pour le Bloc de Gauche, c’est un moment important pour mettre en avant sa contribution à l’opposition et expliquer clairement quelle Europe nous voulons. Sans céder à des monstres comme le Pacte migratoire, qui exclut les immigrés, ou le Traité budgétaire, qui étrangle les investissements publics pour la transition énergétique ou l’emploi, c’est à nous qu’il revient de défendre ce que doit être un européisme de gauche
Luís Fazenda dirigeant du Bloc de Gauche.