Le Vietnam a souvent mauvaise presse en Europe : un pays de régime communiste totalitaire qui fait peu de cas des libertés. Les chroniqueurs négligent ce pays pauvre dans le sud-est asiatique. Les instances financières internationales lui reprochent son secteur public important qu’il se refuse à privatiser, sa monnaie non convertible, ses entraves aux règles du marché. C’est en train de changer.
Parmi les pays émergents, les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) étaient objet de toutes les attentions. Mais fleurissent de nouveaux acronymes, VISTA (Vietnam, Indonésie, Afrique du Sud, Turquie, Argentine) ou CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie, Afrique du Sud). Le « V » de Vietnam est présent dans ces deux derniers. De pays négligeable il devient prometteur. Il a traversé les années de crise mondiale, avec une croissance économique de 5,3 % en 2009, 6,5 % en 2010 et sans doute près de 7 % en 2011. Ce n’est pas si mal ! Et l’enquête BVA Gallup sur l’optimisme de 53 pays classe le Vietnam au premier rang, signe du dynamisme de sa société, apparemment pas trop gênée par la nature du régime.
Mais les difficultés conjoncturelles du pays, début 2011, sont graves. Une balance des paiements très déficitaire asséchant les réserves de changes, proches de zéro, une inflation de 13 % en 2010, lourde de mécontentement social, la quasi faillite, frauduleuse, de l’entreprise publique Vinashin laissant une ardoise de 5 milliards de dollars à charge de l’Etat, signe d’une corruption massive. C’est dans ce contexte, favorable sur le long terme mais difficile à court terme, que s’est déroulé le congrès du Parti communiste des du 12 au 19 janvier. Ce contexte contrasté explique en partie les résultats du congrès. Pouvait-on prendre des risques face aux difficultés actuelles ?
Les textes votés, rapport politique, stratégie de développement économique et social 2011-2020, sont sans réelles surprises : améliorer le fonctionnement du parti, multiplier par 2,2 le produit intérieur brut (PIB) d’ici 2020, poursuivre sur la voie du Doi moi d’une « économie de marché à orientation socialiste », réduire la dépendance de l’économie aux marchés extérieurs, poursuivre l’industrialisation, améliorer la protection sociale, les infrastructures, la formation, la gestion du secteur public, l’environnement, lutter contre la corruption…
DES INNOVATIONS MODESTES
Le mode de désignation des nouveaux responsables a déçu. A titre d’expérience, dix provinces avaient été invitées à faire élire le secrétaire provincial du parti directement par les délégués aux congrès provinciaux qui précèdent le congrès national. Une commission nationale du parti fut chargée d’étudier l’adoption de cette procédure par le congrès national. Cette innovation aurait ouvert un débat électoral au sein des 3,5 millions d’adhérents, ceux-ci devant mandater leurs délégués pour voter au congrès pour le candidat de leur choix. C’eut été un progrès pour la démocratie interne du parti. Il n’en fut rien. Le dernier comité central de la précédente mandature, en décembre 2010, a « recommandé » le nom du prochain secrétaire général et des principaux membres du bureau politique et leur fonction dans l’Etat, premier ministre, président de la République, de l’Assemblée nationale. Et c’est le comité central élu par le congrès qui a ensuite élu le bureau politique en suivant les recommandations du comité central. La cooptation a joué à plein avec ses tractations obscures.
Les innovations sont modestes. Neuf ans après la Chine, le congrès a ouvert le parti aux chefs et cadres d’entreprises privées, modifiant en conséquence l’article 1 des statuts par 74,5 % des suffrages des 1 376 délégués. L’effectif du comité central a été augmenté de 160 à 175 pour permettre aux provinces d’y être mieux représentées, et pour réduire le nombre de frustrés parmi les 218 candidats.
On a épilogué sur la personnalité du nouveau secrétaire général, Nguyên Phu Trong, l’un des neuf membres reconduits sur les quatorze membres du bureau politique. Mais au Vietnam le secrétaire du parti n’est qu’un primus inter pares dans une direction collégiale. Il assumait avant, comme son prédécesseur, la présidence de l’Assemblée nationale. Les liens de confiance entre le bureau politique et l’Assemblée, et la cohésion du bureau politique sont les clés du bon fonctionnement du régime. C’est la pratique du pouvoir qui mettra cette cohésion à l’épreuve. Le XIe congrès fut-il un congrès de continuité imposée par les difficultés économiques actuelles ou un congrès d’immobilisme, dangereux pour la pérennité du régime ? L’avenir le dira.
Philippe Delalande, économiste, membre du groupe d’étude prospective, Asie 21-Futuribles