Malgré un renouvellement des principaux responsables tout concorde pour que la politique suivie depuis 1986 (le fameux Đoi moi, le renouveau, c’est-à-dire l’acceptation de l’économie de marché « à orientation socialiste ») se poursuive. Nguyen Tan Dũng a été reconduit à son poste de Premier ministre malgré les scandales politico-financiers qui ont jalonné son dernier mandat : la quasi-faillite de Vinashin le constructeur naval national ou la polémique sur l’exploitation des mines de bauxite vietnamiennes par la Chine. L’accroissement régulier du taux de croissance depuis des années (même s’il a été moindre en 2008/2009) a permis à la grande majorité des Vietnamiens, d’année en année, de vivre mieux économiquement. Certes, la répartition des richesses est très inégale entre les régions, entre les villes et les campagnes, entre une nouvelle classe moyenne émergente et les classes populaires. Dans l’ensemble, jusqu’à une date récente, chacun trouvait une amélioration régulière de son pouvoir d’achat quitte à exercer plusieurs activités lucratives. Depuis deux ans, l’inflation aux alentours de 10% a sérieusement écorné le pouvoir d’achat en particulier dans la classe ouvrière. De nombreuses grèves sauvages (en principe une grève doit être autorisée par un syndicat officiel) se sont multipliées dans les grandes usines de textiles ou de chaussures à capitaux étrangers pour des augmentations de salaires ou pour le respect de la dignité des travailleurs en particulier dans les usines taïwanaises et coréennes.
L’agriculture reste un secteur essentiel du pays. La grande majorité des Vietnamiens vit à la campagne et l’agriculture a un rôle non négligeable dans les exportations. Toutefois elle n’est pas très moderne et nécessite des investissements importants. Mais si cette modernisation devait conduire à une réduction de la main d’œuvre agricole et par conséquent à un exode rural massif, cela génèrerait des tensions aux conséquences incalculables car les grands centres urbains seraient dans l’incapacité d’accueillir ces migrations.
Durant deux décennies, le développement du Viêt Nam a été assuré par des exportations massives vers l’Europe et les USA grâce aux bas salaires pratiqués dans le pays. Ces exportations rapportaient des devises qui permettaient d’importer des biens d’équipements. Mais « à cause de la crise mondiale, les exportations vers Europe et les États-Unis ont décliné puis augmenté moins vite alors que les importations continuaient de croître. Et les flux d’investissement étrangers qui compensaient le déficit commercial se sont largement taris. En 2009 le déficit des échanges commerciaux est de 10 milliards de $ soit 17% du PIB » [2] Aujourd’hui le marché intérieur vietnamien est inondé de produits manufacturés chinois. Le déficit commercial envers la Chine s’accroît plus vite qu’envers les autres pays avec pour conséquence la vente de matières premières et énergétiques vers celle-ci et l’acceptation des investissements chinois dans des secteurs essentiels de matières premières comme la bauxite. Certains craignent que cette dépendance vis-à-vis de la Chine ne fasse basculer le pays vers une vassalisation de fait (le Viêt Nam vécut sous la domination chinoise pendant plus de 1000 ans et l’histoire nationale commence avec les sœurs Trung qui ont combattu les Chinois de 14 à 43 après JC).
Par ailleurs la querelle entre les deux pays qui chacun revendique les îles Paracels et Spratley dans la mer de Chine (et surtout les richesses naturelles qui s’y trouvent) exacerbe encore davantage les tensions.
En décembre 2007, des manifestations spontanées de jeunes qui se regroupaient via les téléphones portables ou Internet pour manifester devant l’ambassade chinoise de Hanoi (les vidéos étant aussitôt diffusées sur Youtube) indiquaient l’ampleur d’un sentiment national voire nationaliste dans la jeunesse. C’était aussi la découverte de la maîtrise des nouvelles technologies par la jeunesse urbaine. Plus de la moitié des 80 millions d’habitants a moins de 30 ans. Aujourd’hui plus de la moitié de la population possède (au moins) un téléphone portable, l’accès à Internet est très largement répandu jusque dans les campagnes.
C’est ce qui explique la rigueur avec laquelle des « cyberdissidents » sont condamnés. Outre la contestation sociale, la contestation politique, très faible et liée essentiellement à des groupes de Viêt Kieu [3] à l’étranger, c’est l’agitation dans les milieux chrétiens qui a retenu l’attention dans les dernières années. Les Catholiques en particulier ont massivement manifesté à Hanoi en 2008 pour le retour à l’église d’un terrain situé en plein centre ville jadis de l’ancienne Délégation apostolique. Ces manifestations pacifiques de plusieurs milliers de personnes ont été « gérées » par le pouvoir sans violence. Preuve aussi que le pouvoir est suffisamment solide pour laisser s’exprimer une certaine contestation. En 2001 les minorités ethniques du centre avaient organisé des manifestations monstres, en 1997 des manifestations paysannes violentes avaient pris pour cibles des responsables locaux corrompus. Fait nouveau depuis deux ou trois ans, les violences policières sont dénoncées et la population, lors de divers incidents, n’hésite pas à s’en prendre violemment aux forces de l’ordre . Ce fut le cas en mai 2010 dans la province de Ha Tinh dans le Nord du pays. Considérant que la police était responsable de la mort d’un jeune qui fuyait un contrôle de police (pour défaut de port de casque) des échauffourées eurent lieu, des véhicules de la police furent incendiés. Ces violences ne remettent pas en cause le pouvoir en place, mais témoignent d’une attitude radicale qui tranche avec le passé. On peut penser que, dans le futur, la contestation pourrait prendre des formes radicales.
Anh Ninh