RÉUNION NATIONALE DES COLLECTIFS POUR LE « NON »
Souffle d’espoir
Près de 750 personnes venues de toute la France se sont réunies, samedi 25 juin, dans la salle des congrès de l’hôtel de ville de Nanterre (Hauts-de-Seine), lors de la réunion nationale des collectifs pour le « non ». Objectif : faire le bilan de la campagne et élaborer de nouveaux axes politiques pour la suite.
Ils sont venus des quatre coins de France. Parfois après un voyage de plusieurs heures, en train ou en voiture. Pêle-mêle, des centaines de militants, simples observateurs ou mandatés par leur collectif, convergent dès neuf heures du matin vers la salle des congrès de Nanterre (Hauts-de-Seine), mise à disposition par la mairie communiste. Chacun attend beaucoup de cette journée. Ainsi, Anne-Marie, membre d’Alternative citoyenne, vient au nom de la coordination départementale des collectifs Sud-Manche : « Je veux savoir comment on va continuer dans l’unité. J’aimerais bien que l’on constitue des comités de vigilance face au libéralisme. » Julie, 24 ans, mandatée par le comité jeunes de Montpellier, militante à SUD-ÉtudiantEs, et depuis peu à la LCR, est enthousiaste : « J’attends de voir comment fonctionnent les autres, où ils en sont de leurs débats, et comment on gère tout ça : dans les comités locaux, il est difficile d’articuler le local, le national et l’européen. Je compte sur cette réunion nationale pour nous y aider. » Et de fait, dès son rapport introductif pour accueillir les participants, Claude Debons (Fondation Copernic) le souligne : « Nous sommes attendus au tournant ! »
Pluralité
Alors au travail. Discuter ensemble d’une campagne aussi riche en une seule journée est une gageure : les participants se répartissent en quatre groupes, chacun dans une salle différente, pour un débat le matin, sur le bilan, et un l’après-midi, sur les perspectives. En fin de journée, une plénière doit mettre en commun tous ces travaux, grâce aux notes des rapporteurs.
Il est 11 heures, tout le monde part donc en commission. Dans une petite salle bondée, la commission 4 se réunit. Les interventions se succèdent, très diverses.
À Cherbourg, comme ailleurs, on signale un niveau de militantisme inédit depuis des années, qui n’a pas décru après le 29 mai. Plusieurs intervenants notent le plaisir de militer ensemble, voire une « lune de miel militante » entre les organisations. Ces bons résultats unitaires viennent parfois de loin : l’historique des comités est situé dans la continuité des collectifs contre la guerre ou contre la casse des retraites en 2003. Comme en écho, dans l’atelier n° 3, Yves, de Nantes, souligne que « les collectifs donnent confiance ».
Yannick, 35 ans, ouvrier métallo dans les Ardennes, syndicaliste CGT et membre du PCF, rappelle de bons souvenirs de campagne : un député socialiste venu défendre le « oui » qui, face à la contradiction des partisans du « non », s’en va et les laisse terminer le meeting à sa place, et aussi les échanges avec des travailleurs tchèques et polonais sur les clauses de restructuration de l’industrie sidérurgique, prévue par les annexes de la Constitution dans ces pays.
Dans la répartition des interventions, les femmes sont désavantagées. Julie note qu’elle est seulement la deuxième femme à prendre la parole, après une vingtaine d’intervenants. Dans un autre atelier, certaines scandent quelques secondes : « Parité, parité ! » Chacun ou presque veut raconter son expérience, et les débats finissent par empiéter sur la pause déjeuner. Les courants politiques profitent du moment pour se réunir et discutent du texte soumis à amendement. Francine Bavay et les Verts pour le « non » se retrouvent ainsi à 13 heures.
Les débats de l’après-midi sur les perspectives débutent enfin. Dans la grande salle, Samuel, du collectif Paris 5e, met les pieds dans le plat : « Il faut structurer le mouvement, c’est le gros travail de l’été. Je suis ici au nom de mon collectif, mais je ne sais pas qui représente quoi ici. Il faut que le Comité national soit représentatif de la base. » La salle applaudit. Mais il n’y a pas de consensus sur cette question, et cette proposition ne sera pas reprise dans les amendements. De même, pour savoir s’il faut se battre pour une Constitution ou un traité : un « processus de débat et d’élaboration d’“exigence pour une autre Europe” » sera retenu.
Maintenir l’espoir
Cela n’empêche pas les propositions de fuser. Un jeune Marseillais réclame une ouverture vers les pays du Maghreb. Un autre prône des états généraux. Félix, 63 ans, membre d’Attac et du collectif 21 (Côte-d’Or), souhaite la tenue d’un journal des collectifs, avec une partie nationale et une partie locale.
Réunis tant de fois durant cette campagne, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot et José Bové se mêlent aux participants. L’ancien porte-parole de la Confédération paysanne espère que les collectifs permettront de maintenir l’espoir et seront des structures à partir desquelles « investir le champ des luttes et du politique », en débattant de « ce qu’on va construire plutôt que de qui on va présenter ». À ses côtés, Raoul Marc Jennar (Unité de recherche, de formation et d’information sur la globalisation - Urfig) espère que les collectifs « ne deviendront pas des “partis bis” ».
Dix-sept heures, la plénière reprend. Les rapporteurs des commissions présentent leur synthèse, puis Maxime Combes (Attac) lit le texte final amendé. Il est déjà temps de se séparer, chacun rendra compte dans son collectif. Rendez-vous est d’ores et déjà pris pour des initiatives de rentrée, afin de faire leur fête aux « 100 jours de Villepin », pour des débats à l’automne - peut-être des assises nationales, et pour le sommet européen de décembre. Contents que la réunion se soit tenue, les participants ressortent dans l’ensemble à moitié satisfaits. Les points négatifs existent bel et bien pour tous. Marie-Aurore, dix-neuf ans, membre d’Alternative libertaire et du collectif Paris XIIIe, a été assez déçue par la première partie des débats, jugée trop répétitive. Bertrand, un autre Parisien, souligne aussi qu’« il n’y a ni démocratie, ni représentativité ». Pourtant, l’an I des collectifs a commencé.
Thomas Mitch, Sylvain Pattieu
A notre avis : Réunion nationale des collectifs pour le « non »
Il suffisait de parcourir les ateliers de la rencontre nationale des collectifs du « non » de gauche, ce 25 juin à Nanterre, pour trouver confirmation que quelque chose avait bougé dans le paysage politique, à gauche, après le 29 mai. Au-delà du succès numérique (autour de 750 participants), s’exprimait en effet une volonté largement partagée de continuer ensemble.
Bien sûr, les différences n’ont pas été magiquement effacées et de nouveaux débats affleurent. Les participants auront pêle-mêle évoqué les perspectives européennes (processus constituant ou nouveau traité ?), les problèmes que soulève l’illégitimité totale de la droite au pouvoir (faut-il ou non se battre immédiatement pour de nouvelles élections générales, ainsi que nous le proposons pour notre part ?), ou encore la question de 2007 et des stratégies politiques, si les échéances électorales interviennent à leur terme normal.
Signe de maturité, toutes et tous se seront néanmoins retrouvés dans la démarche préconisée par le collectif national de l’Appel des 200 : partir des contenus communs et des accords vérifiés pour construire ensemble. D’où le recensement, par la déclaration finale, d’une série d’axes pour œuvrer à la résistance face aux politiques libérales comme aux provocations du gouvernement Villepin-Sarkozy, pour développer la coopération avec les forces antilibérales et anticapitalistes du continent (dans la foulée de la réunion européenne du 24 juin - voir encadré), pour contribuer au plus large débat sur l’alternative nécessaire au libéralisme en France et en Europe. D’où encore la décision de poursuivre avec la démarche qui a si bien réussi à la campagne du référendum même si elle peut engendrer des frustrations face à la demande d’un fonctionnement plus centralisé et démocratique : autonomie des collectifs, circulation de l’information en réseau, coordination autour d’initiatives et de campagnes, fonctionnement au consensus, maintien à cette fin du collectif national qui a reçu mandat de changer de nom. D’où enfin un nouveau rendez-vous national, d’ici la fin de l’année, qui devra notamment discuter d’assises contre le libéralisme.
En résumé, un succès, à la mesure de la victoire historique du 29 mai...
Christian Picquet
Conférence pour une Europe alternative
La conférence européenne organisée à Paris les 24 et 25 juin dans la foulée de la campagne pour un « non » de gauche a connu un succès considérable, regroupant des représentants d’une vingtaine de pays, membres de syndicats, d’associations ou de partis politiques. Les échanges ont permis de faire un tour d’horizon de la situation dans chacun des pays avec beaucoup de points communs, mais aussi des différences notables, notamment quant au poids des forces réactionnaires opposées au traité. Les débats ont également permis de mettre en lumière des préoccupations largement partagées et d’adopter une déclaration fixant un cadre général et des échéances de mobilisation1.
Si chacune et chacun des participants se réjouissait de la victoire du « non » en France, relayée trois jours plus tard par celui des Pays-Bas, toutes et tous insistaient aussi sur le fait que le temps était compté pour faire fructifier cette victoire, qu’il était décisif qu’un mouvement et des initiatives prennent rapidement le relais à l’échelle du continent sous peine de voir cette victoire confisquée par les ultralibéraux ou par l’extrême droite nationaliste et xénophobe. Toutes et tous étaient conscients que le plus facile avait été fait en assurant la victoire du « non » de gauche, que celle-ci ne réglait rien mais qu’elle rendait tout possible, que nous n’avions pas le droit de décevoir et qu’il fallait maintenant donner crédit sans attendre à la construction d’une alternative au libéralisme. Et pour avancer dans ce sens, il s’agira de conjuguer les débats sur l’Europe que nous voulons et les mobilisations à l’échelle du continent sur des questions précises, comme la circulaire Bolkestein qui va ressortir des cartons ou celle sur le temps de travail. Un représentant du comité de préparation du Forum social d’Iran insistait justement sur l’importance que notre projet de construction européenne ne soit pas autocentré sur l’Europe et ait dès le départ une dimension internationaliste.
La conférence a retenu plusieurs échéances, et notamment d‘ici la fin de l’année, « une journée de manifestations européennes contre la directive Bolkestein en lien avec la manifestation contre l’OMC le 15 octobre » et « une journée de manifestation européenne lors du sommet des chefs d’État le 15 décembre ». L’idée d’une pétition européenne servant de support à une campagne pour un changement radical de la politique menée par l’Union européenne et les différents gouvernements a été retenue. Cette réorientation devrait se fonder sur une autre répartition des richesses, sur la lutte contre le chômage, la précarité, la pauvreté et l’exclusion sociale, sur la défense et le développement des services publics, sur la remise en cause du rôle de la Banque centrale européenne, des traités et des directives déjà mis en place, sur la défense des droits des immigrés.
Quant au Forum social européen d’Athènes en avril 2006, il devrait permettre de rendre compte du travail d’élaboration qui aura été effectué d’ici là dans le cadre d’initiatives, de rencontres, d’assemblées réunissant toutes les forces qui défendent la perspective d’une Europe démocratique, sociale, pacifique, féministe, pour l’égalité des droits, solidaire, avec comme idée que ce vaste mouvement de débat débouche sur un manifeste dessinant l’Europe que nous voulons.
Léonce Aguirre
1- Cet appel se trouve dans sa totalité sur le site de Rouge.
Après le 29 mai : Contempler ou agir
Le bloc-notes
La victoire du « non » ouvre une nouvelle situation. « Rouge » a décidé de publier divers points de vue sur les réponses à y apporter .
La campagne du « non » de gauche et le rejet massif du traité constitutionnel ouvrent une situation aux potentialités exceptionnelles. Cette campagne a été marquée par :
a) son caractère unitaire inédit regroupant à la fois partis et courants de partis politiques, syndicalistes, militants associatifs et non-encartés ;
b) sa prise en charge par près d’un millier de collectifs qui ont quadrillé le pays ;
c) son audience de masse visible lors des meetings et des réunions publiques ;
d) son contenu antilibéral conséquent, avec notamment la défense et l’extension des services publics, l’exigence d’une autre répartition des richesses, l’égalité des droits, le refus de l’Europe puissance...
Ces quatre éléments, avec les mobilisations contre le libéralisme (de novembre-décembre 1995 à la dernière mobilisation des lycéens), ont permis au « non » de gauche pour une autre Europe de gagner et d’échapper aux courants souverainistes, xénophobes et réactionnaires.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que la volonté de poursuivre cette dynamique qui a permis d’infliger enfin une défaite au libéralisme se soit manifestée lors la réunion nationale des collectifs (voir pages 8 et 9), d’autant que chacun sait que les attaques vont déferler et s’amplifier, et que seule une riposte unitaire pourra les stopper. Une autre préoccupation traverse les collectifs : faire émerger, tout en préservant leur unité, une alternative au libéralisme que certains qualifient d’antilibérale, d’autres d’anticapitaliste, l’essentiel étant d’être d’accord sur les propositions alternatives et sur le fait que les mobilisations sociales seront un élément décisif pour les imposer.
Les partis ou courants de partis politiques parties prenantes de la campagne ont des responsabilités particulières. L’alternative est soit de poursuivre et amplifier la dynamique antilibérale de la campagne, soit de laisser place à une nouvelle forme d’union de la gauche dominée par le Parti socialiste.
La LCR ne peut donc avoir une attitude contemplative. Elle doit, dans les collectifs, proposer un travail d’élaboration sur les contenus alternatifs anticapitalistes à l’échelle européenne et nationale, une mobilisation permanente en solidarité avec les luttes, et enfin harceler ce gouvernement totalement illégitime. Par ailleurs, selon la dynamique politique à l’œuvre, les collectifs pourraient également s’emparer du débat électoral.
Dans cet état d’esprit, à toutes les forces parties prenantes de la campagne, elle doit aussi proposer, sur la base d’un programme qui rompe radicalement avec la logique du libéralisme et qui réponde aux aspirations portées par les mobilisations ces dernières années, une démarche politique commune, comme par exemple, dans l’immédiat, l’exigence de la dissolution de l’Assemblée nationale avec, le cas échéant, la possibilité de présenter sur une telle base des candidats communs.
Articuler développement et coordination des collectifs et politique unitaire à l’égard des forces politiques qui y sont présentes sur la base de mobilisations et de campagnes politiques sont deux éléments essentiels pour avancer dans la construction d’une alternative anticapitaliste.
Léonce Aguirre, Guillaume Floris, Jacques Fortin, Flavia Verri
Urgence et espoir
Il y a urgence et espoir. Urgence dans la lutte contre Sarkozy-Villepin. Espoir dans la dynamique du « non » de gauche. Après ce 29 mai, il faut « continuer », prolonger la dynamique de la campagne, construire un front unitaire de toutes les forces associatives, syndicales, politiques du « non » de gauche, et, même au-delà, contre la politique de ce gouvernement. Ce front, qui recouvre les collectifs mais aussi les courants et organisations de la campagne du « non », doit être à l’initiative d’un vaste mouvement populaire, qui traduise sur le plan social la victoire politique du « non » de gauche au référendum : annuler les directives européennes comme celle dite Bolkestein ou celle sur le temps de travail ; préparer l’abrogation des ordonnances qui « cassent » le code du travail ; soutenir la campagne initiée par la Fondation Copernic pour qu’il n’y ait « pas un revenu inférieur à 1200 euros ». Voilà ces premières exigences sociales.
Mais ce mouvement doit aussi avoir des objectifs politiques, et le premier, c’est de créer les conditions pour chasser ce gouvernement illégitime, sanctionné et désavoué, pour la troisième fois, dans la rue et dans les urnes. Nous n’attendrons pas 2007, Chirac doit partir et l’Assemblée doit être dissoute, et s’ils refusent de céder la place, alors, il faudra les pousser dehors par un nouveau Mai 68 ! Mais l’espoir de cette campagne du « non », c’est aussi de pousser jusqu’au bout la dynamique antilibérale, et là une série de débats commencent.
Construire une perspective politique, c’est construire une alternative pour transformer radicalement la société, pour rompre avec le capitalisme. Pousser jusqu’au bout le combat antilibéral, c’est organiser une nouvelle répartition des richesses, c’est substituer à la logique du profit capitaliste une logique des besoins sociaux, c’est faire des incursions dans la propriété capitalise pour ôter au patronat le contrôle absolu sur l’économie. De ce point de vue, antilibéralisme et social-libéralisme sont incompatibles dans un gouvernement. Les projets et les organisations du « oui » de gauche sont incompatibles avec la dynamique du « non » de gauche. Comme on le voit, il y a là matière à discussion avec le PCF ou des socialistes du « non ». Il y a effectivement un choix : soit une alternative antilibérale et anticapitaliste, soit, au-delà de l’habillage, une alliance stratégique avec la direction du PS pour gérer l’économie et les institutions capitalistes. Ces forces doivent maintenant se déterminer. Nous sommes disponibles à toute avancée sur le terrain d’une alternative anticapitaliste. Nous rejetterons toute proposition d’alliance politique avec le social-libéralisme.
Mais ces débats ne doivent pas empêcher l’action commune contre la droite et le patronat.
Les collectifs peuvent être un point d’appui précieux pour initier ces mobilisations et organiser une série de débats sur les perspectives politiques plus générales. Ils doivent garder leur caractère unitaire et dynamique en agissant sur des objectifs communs. C’est la meilleure façon de clarifier les débats sur la construction des alternatives au libéralisme !
François Sabado