Ceux qui ont le pouvoir dans la vieille Europe et la vieille Amérique se rejoignent dans une sainte chasse aux sorcières contre le spectre des « migrants » : une vaste alliance embrassant depuis les populistes de la droite jusqu’à ce qui reste des sociaux-démocrates traditionnels. Salvini et Macron, Poutine et Trump, chauvins de l’est et de l’ouest, libéraux français et police allemande…
L’escalade de l’inhumanité
La nouvelle attaque de Trump contre les migrant·es du Mexique, d’Amérique centrale et d’autres parties du monde qui cherchent à entrer aux États-Unis, a atteint un niveau scandaleux d’inhumanité. Au cours des dernières semaines, notamment en juin, on a appris que des milliers d’enfants ont été séparés de leurs parents qui tentaient de franchir la frontière entre le Mexique et les États-Unis, avec l’application de la politique de « tolérance zéro ». Ils ont été placés dans des cages, comme des animaux, puis répartis dans des centres de détention situés dans des villes différentes et éloignées des points frontaliers où leurs parents migrants étaient détenus.
Les protestations, à l’échelle internationale mais aussi très significatives aux États-Unis, ont contraint Trump à signer un décret pour arrêter la séparation des enfants de leurs parents. Cependant, la date limite pour réunir ces familles a expiré et des milliers d’enfants restent séparés de leurs parents parce que certains ont été expulsés pendant cette période et d’autres n’ont pas été localisés et identifiés.
Même si Trump a signé un décret pour réunir parents et enfants (ce qui n’est pas encore le cas), il réaffirme le maintien de cette politique de « tolérance zéro » en matière d’immigration, ce qui fait que maintenant les familles, y compris les enfants, seront enfermées dans les centres de détention en attendant l’issue d’un procès, alors même qu’ils ont déjà subi des violences extrêmes dans leur pays d’origine ou sur leur route.
Les souffrances des migrants, qu’ils viennent du Mexique et d’Amérique centrale, ou de pays plus éloignés tels que le Brésil, Haïti ou même de pays africains, ne commencent pas seulement quand ils franchissent la frontière des États-Unis, mais tout le long du chemin. La situation est particulièrement grave pour les migrants qui traversent le Mexique parce qu’ils subissent des extorsions, le vol de leurs maigres ressources, ou sont enlevés par des bandes criminelles pour soumettre les femmes à la prostitution et faire des hommes des tueurs à gages ou des passeurs de gages. .
Entre 2014 et 2017 au sud de l’Europe, plus de 16 000 hommes, femmes, enfants ont péri en cherchant à traverser la Méditerranée. Soit, en moyenne, environ 1 personne sur 1 000 tentant la traversée. En 2018 c’est plus d’une personne sur 50 ! Depuis janvier 2018, avec le durcissement de la fermeture des frontières maritimes, 1 100 migrant·es sont morts noyés. Et au fur et à mesure, c’est aussi en amont que le drame empire, dans le désert ou sur la côte libyenne, et en aval, dans les cols des Alpes ou à Calais.
Ces morts sont autant de crimes dont sont responsables les politiques racistes vis-à-vis des migrant·es. Et ce n’est pas seulement Salvini, qui a interdit les côtes italiennes. Tous les gouvernements européens se sont mis au diapason.
À Bruxelles, le 29 juin, les dirigeants des pays européens se sont unis pour durcir leur politique, faite d’entrave à l’action des bateaux des associations humanitaires et cherchant à externaliser hors d’Europe les camps de rétention, dans les pays d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient : ils assument ainsi l’utilisation des migrants comme « boucs émissaires » de leur crise.
Une offensive idéologique articulée à des politiques réactionnaires
Les médias et les politiciens dominants soutiennent que les problèmes de centaines de millions de personnes en Europe et en Amérique du Nord – difficultés économiques et d’emploi, sécurité individuelle et sociale, conditions de vie environnementales – ont une cause évidente : les migrants venus du Sud. Ils masquent ainsi que les plus vastes mouvements de migrants ont lieu à l’intérieur des pays du sud représentant les deux tiers des migrations globales. Celles et ceux arrivant dans le Nord – où ils représentent entre 0,5 et 1,5 % de la population locale – pourraient facilement y trouver leur place. En comparaison, le Liban par exemple, avec une population d’environ cinq millions d’habitants (dont des centaines de milliers de Palestiniens) a accueilli plus d’un million de réfugiés syriens.
Les médias et les politiciens dominants soutiennent que si les salaires diminuent et que le chômage augmente, cela s’expliquerait par les pressions concurrentielles des migrants qui arrivent sans régulation et illégalement vers le Nord. S’il n’y a pas assez de logements sociaux à des prix abordables, cela serait dû à la pression démographique des migrants dans les villes où ils vivent dans des conditions inacceptables, abaissant le niveau de vie auquel « notre civilisation » est habituée. Si la criminalité est en hausse ou si le sentiment d’insécurité et la peur du terrorisme augmentent, alors ce serait évidemment la faute des migrants, en particulier ceux qui viennent des pays arabes ou de ceux qui ont une forte population musulmane.
Il y a de nombreux autres exemples de ce type d’argument. Tout le reste est balayé dès que l’on parle de « la crise migratoire » :
– la crise économique qui a déjà duré dix ans ;
– la forte augmentation des profits alors que les salaires ont diminué en proportion du revenu national ;
– le rôle des multinationales, en particulier celles qui sont majoritairement américaines, européennes ou chinoises, dans le pillage des ressources du Sud (l’Afrique avant tout) ;
– les remboursements paralysants de la dette extérieure (souvent illégitime) et les programmes d’ajustement structurel et d’austérité imposés par les grandes institutions financières internationales ;
– la crise environnementale et les désastres climatiques provoqués par le niveau de consommation au Nord et le modèle insoutenable de développement capitaliste présent partout sur la planète ;
– les conflits armés endémiques persistants dans le Sud (en particulier au Moyen-Orient et en Asie centrale) où l’intervention des puissances impérialistes et régionales fait des ravages et où les armes ne manquent pas, le plus souvent produites par des pays qui ferment leurs portes aux migrants et aux réfugiés.
Tous ces processus – engendrés par le système capitaliste lui-même – sont en réalité la principale raison, à la fois de la crise sociale dans le monde, et de la vague actuelle de migration, mais ils disparaissent dans le récit dominant et il y a une intoxication idéologique sur ce thème.
Les gouvernements européens et américains ont choisi avec force de fermer leurs frontières et de contrôler les migrations hors de leur territoire. Ils utilisent des gouvernements volontaires dans le Sud (comme la Turquie, la Libye et le Maroc) pour externaliser leurs frontières et fournir à ces pays des millions de dollars pour faire le sale boulot et s’occuper des réfugiés et des migrants qui pourraient essayer d’entrer dans l’Union européenne. Ces politiques sont souvent justifiées comme étant un « antidote » à la croissance possible du racisme ou par le besoin supposé de « réguler » la migration.
Des positions politiques et culturelles qui acceptent des frontières plus ouvertes (quoique de manière « réglementée ») parce que « nous en avons besoin d’eux » pour occuper des postes difficiles à pourvoir avec la population « nationale » ou pour payer les retraites d’une société vieillissante, ne sortent pourtant pas fondamentalement du logiciel de l’exploitation des êtres humains.
Exploitation, ségrégation, racisme
Comme souvent par le passé, les migrants subissent une double exploitation, en particulier dans certains secteurs comme l’agriculture, la logistique ou les services sociaux. L’extrême vulnérabilité des migrant·es et la marginalisation sociale facilitent leur exploitation brutale sur le marché du travail, ce qui maximalise les profits des petites, moyennes et grandes entreprises nationales et multinationales. Les migrants trouvent du travail à travers des réseaux mafieux impliquant à la fois travail clandestin, au noir et des contrats hyper-précaires.
Ce circuit d’exploitation des migrants n’est pas extérieur à la façon dont les travailleurs « autochtones » sont traités. En effet, l’exploitation des migrants fonctionne précisément parce qu’elle est étroitement liée aux structures d’exploitation générale. Les rôles des travailleurs (migrants et « autochtones ») sont liés et déterminés réciproquement.
Dans ce contexte, les lois sur les frontières et l’immigration agissent comme des filtres acceptant des travailleurs jeunes et en bonne santé, ou ayant des compétences particulières, tout en s’assurant qu’ils n’aient pas le droit de se défendre contre la surexploitation. Ces lois produisent également des images spectaculaires de centaines de personnes entassées dans des bateaux dangereux ou escaladant des hautes clôtures, images mises en scène comme un « déferlement » ou des « invasions ».
Bien que le projet néolibéral vise à démanteler complètement toute réglementation légale ou sociale favorisant les travailleurs, la hiérarchie raciste qui structure le marché du travail signifie que des règles de régulation élémentaires sont encore maintenues pour le moment pour les travailleurs « autochtones ». Ces derniers bénéficient directement ou indirectement de l’hyper-exploitation des migrants, généralement, mais pas toujours, sans même en avoir conscience (comme pour la structuration du marché du travail par genre).
À côté de cette structure d’exploitation, s’exerce aussi la ségrégation, comme :
– les centres de détention « temporaires » (à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union européenne, aux États-Unis et en Australie) ;
– les endroits ruraux isolés, en grande partie invisibles, où les migrants travaillent et vivent avec des milliers de travailleurs agricoles, tous dans des conditions épouvantables ;
– la ségrégation raciste de quartiers entiers dans les villes, marginalisés et criminalisés.
Dans cette ségrégation, toute une série de situations juridiques et sociales ont tendance à être regroupées sous le terme général de « migrants » : travailleur-se-s sans-papier·es, demandeur·es d’asile, réfugié·es avec protection humanitaire ou internationale, immigrant·es avec permis de travail, enfants et petits-enfants des migrant·es. Cela constitue une hiérarchie de conditions dans lesquelles la question de leurs droits est totalement éliminée et où ils sont partagés entre ceux qui ont des « privilèges » (des papiers, par exemple) et ceux qui n’en ont pas.
La réalité des conditions sociales, matérielles et culturelles des migrant·es dans les pays du Nord, c’est également une augmentation du racisme, de la xénophobie et de l’islamophobie. Au cours des dernières années, ces phénomènes extrêmement dangereux ont pris des formes politiques spécifiques qui menacent aujourd’hui de devenir socialement hégémoniques et d’infléchir les politiques des gouvernements au sein du G7 (déjà aux USA et en Italie, de plus en plus en France et en Allemagne). Nous parlons ici d’organisations diverses qui ont toutes été incorrectement qualifiées de « populistes ». Cependant, elles ont un trait commun : elles cherchent un soutien populaire en développant un discours selon lequel les migrants sont la conséquence d’une politique menée par une « élite mondialiste politico-économique » avec des conséquences désastreuses pour les populations « de souche » qui en paient le « coût ». Ces organisations sont souvent proches du néofascisme, avec des attaques contre les migrants, des agressions contre des individus ou des communautés entières – la réémergence cyclique des campagnes anti-Roms en est un exemple.
Confrontés à cette situation, les gouvernements qui se définissent comme libéraux sont incapables d’agir et ne feront vraiment rien la changer. Ils sont incapables de répondre par des politiques d’ouverture des frontières ou de garantie des droits sociaux et politiques. Ces gouvernements sont responsables de la destruction de l’État providence et sont les principaux alliés des multinationales et des centres financiers qui sont les causes principales de la crise économique. Ils n’ont mis en place aucun véritable projet d’accueil ou d’asile pour celles et ceux qui souhaitent venir en Europe ou aux États-Unis.
Alternative anticapitaliste et solidarité sociale et politique avec les migrants
La seule réponse efficace est de refuser de considérer les migrations comme un « problème », mais de s’unir pour satisfaire les besoins sociaux de millions de femmes et d’hommes, migrants et « autochtones ». Nous exigeons que les pays les plus riches soient terres d’accueil, comme le sont tous les autres pays du monde. Les organisations et militant·es de la Quatrième Internationale agissent pour jouer un rôle important dans la construction d’une telle réponse. Dans de nombreux cas, elles et ils sont déjà en première ligne des luttes antifascistes et antiracistes, et en faveur des migrant·es. Cette action est axée sur les points fondamentaux suivants :
• Nous revendiquons le droit de migrer : liberté de circulation et d’installation. En tant qu’internationalistes, nous croyons que chaque personne a le droit fondamental de vivre dignement et de jouir de tous les droits politiques et sociaux du pays où elle réside. La migration doit être une option librement choisie, même si des millions de personnes sont forcées d’émigrer pour échapper à la misère, à la pauvreté, à la guerre, aux catastrophes environnementales, au manque de perspectives. Ils doivent tous avoir tous les droits, y compris, mais sans s’y limiter, le droit d’asile pour celles et ceux qui fuient la guerre et les persécutions. Nous rejetons la division entre les migrants dits « économiques » et les réfugiés.
C’est la priorité dans tous les pays – en particulier ceux où la répression des migrants est la plus forte – et toutes les organisations de gauche devraient se battre pour l’octroi de pleins droits à toutes et tous les migrants, en accordant une attention particulière aux femmes, aux populations racisées, aux personnes LGBTI, aux musulmans et aux mineurs, souffrant d’autres formes de discrimination et d’oppression.
• Nous cherchons à construire des mouvements antiracistes et antifascistes, des mouvements sociaux et
politiques alternatifs, non seulement dans le cadre d’une bataille culturelle, mais aussi en tant que mobilisation politique contre les agents du racisme institutionnel et social. Les aspects culturels et politiques de cette lutte sont inséparables. Afin de contrer l’idéologie discriminatoire et raciste, le travail au niveau culturel et éducatif est vital. Mais il est également crucial de revivifier les luttes sociales pour conquérir des droits et du pouvoir pour toutes et tous les travailleurs, en rendant visible dans la pratique le lien entre le racisme et le fonctionnement du capitalisme.
• Nous soutenons l’auto-organisation et les luttes des migrant·es, en partant de leurs spécificités et de leurs exigences particulières, mais en cherchant à établir les liens nécessaires avec les questions de discrimination de classe, de genre et de racisme.
• Nous prenons en compte les expériences de mutualisme entre les exploité·es et les discriminé·es et leurs luttes communes – soit en construisant des luttes sociales et syndicales incluant des travailleurs de tous types ou à travers des projets collectifs tels que des logements autogérés, des coopératives de travail, des associations solidaires et des groupes informels d’aide mutuelle économique et sociale.
• En tant qu’internationalistes, nous considérons que les migrations librement choisies et le mélange des populations sont bénéfiques aux sociétés. Construire des liens entre les mouvements populaires et sociaux dans les pays d’où viennent les migrants et ceux où ils s’installent est un élément essentiel du développement des mouvements de résistance au capitalisme et indique les possibilités d’un monde nouveau fondé sur la solidarité et l’entraide.
Le bureau de la Quatrième Internationale