Pendant que les médias “se focalisent” sur la pénurie d’oxygène et de lits dans les hôpitaux, “un véritable carnage se déroule dans nos villages”. Dans un article paru lundi 24 mai dans le Washington Post, la journaliste indienne Rana Ayyub, considérée comme une dissidente par les nationalistes hindous au pouvoir à Delhi, raconte le drame qui se joue actuellement dans les campagnes du sous-continent, “où l’accès au système de soins le plus élémentaire est pratiquement inexistant”.
Le principal journal du pays en langue hindi, le Dainik Bhaskar, “a envoyé de courageux reporters dans plusieurs villes de l’Uttar Pradesh, voisine du Bihar et gouvernée par le Bharatiya Janata Party du Premier ministre, Narendra Modi”, indique-t-elle, et les articles rédigés par ces derniers “devraient faire honte à la conscience collective de la nation”. Les journalistes ont compté “plus de 2 000 corps qui avaient été jetés ou enterrés à la hâte par les autorités locales, dans le but évident de minimiser le nombre de victimes du coronavirus dans la région”.
As Covid 19 devastates rural India with bodies floating over the Ganges, Modi & his ministers focus on covering up their incompetence. They create a fictitious toolkit to discredit journalists and critics. My latest for the Washington Post #TwitterIndia https://t.co/USoKT0vHZJ
— Rana Ayyub (@RanaAyyub) May 24, 2021
En réalité, les villages de l’Uttar Pradesh sont “anéantis les uns après les autres”, et il est “impossible” de ne pas faire le lien avec les élections locales, qui n’ont pas été reportées alors que la deuxième vague de Covid-19 submergeait l’Inde. “Les gens se sont rendus dans cet État depuis des villes comme Bombay et Delhi pour voter, ils ont apporté le virus avec eux, infectant une population déjà vulnérable”, rapporte Rana Ayyub.
Dans le village de Lalganj, par exemple, Vikas Singh est mort “en quatre jours”, après qu’un médecin du coin, dépourvu de tests Covid, lui a diagnostiqué une grippe. Sa fille de 22 ans, qui devait se marier dans deux mois, a elle-même succombé quelques jours après. “L’épouse de Vikas a dû prélever 300 dollars [245 euros] sur ses maigres économies pour offrir des obsèques dignes de ce nom” à son mari défunt, et elle a eu “de la chance” : “des milliers de gens mourant du Covid-19”, à défaut de pouvoir être incinérés, “sont enterrés sur les berges” du Gange ou parfois “traînés par des chiens sauvages”, ou encore tout bonnement jetés dans le fleuve.
Dans la ville de Ghazipur, il y a des décès dans “une maison sur deux”. “Un magistrat local m’a dit que son bureau avait reçu l’ordre de ne pas faire de spectacle autour des décès dus au Covid-19”, explique Rana Ayyub. Mais si les autorités “essaient de cacher la vérité”, les gens souffrent et “montrent leur mécontentement”.
Yogi Adityanath, “le moine radical” à la tête du gouvernement de l’Uttar Pradesh, “est considéré par beaucoup comme un successeur possible de Modi lors des prochaines élections générales” de 2024, mais il est maintenant confronté “à la colère des villageois”, et son parti a d’ailleurs subi une défaite lors des élections locales de cet hiver.
Tous les volontaires qui travaillent sur le terrain pour venir au secours de la population le disent :
“L’ampleur de la dévastation dans les zones rurales de l’Inde ne sera probablement jamais entièrement connue.”
À ce stade, Narendra Modi et ses proches sont aux abonnés absents, alors que “des critiques cinglantes” de la gestion de la pandémie par l’Inde “arrivent du monde entier”.
La désinformation “se répand partout”, mais Modi “et ses sbires politiques” devraient savoir que “leurs mensonges ne peuvent pas faire grand-chose”, car les morts “parlent d’eux-mêmes”, conclut Rana Ayyub.
Rana Ayyub
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