Mais pourquoi donc QS est-il si timide sur les questions environnementales à l’orée de la campagne électorale de l’automne 2022 ?
Simplement dit, la direction de l’aile parlementaire craint que la popularité actuelle du premier ministre Legault et sa très grande force dans les sondages – la Coalition Avenir Québec (CAQ) caracole à 42 % à la veille du déclenchement des élections [2] – ne lui occasionnent des pertes de sièges. Alors que la Commission politique du parti proposait en 2020 [3] de faire preuve d’audace face à la crise sanitaire et environnementale en adoptant une stratégie de remise en question du système, la direction, inquiète de la stagnation du parti à 15 % dans les sondages, a fini par se ranger à une vision électoraliste prudente axée sur l’ultra-médiatisation de Gabriel Nadeau-Dubois, devenu le principal porte-parole du parti et de l’aile parlementaire.
Cette transformation de QS ne s’est pas faite sans une forte résistance à l’interne. En effet, depuis le printemps 2018, une sourde lutte oppose, sur les grandes questions de politique environnementale, la direction du parti à un réseau de militantes et militants écologistes de gauche très actifs dans ses structures de base.
Dans les deux articles suivants, nous explorons les contradictions de QS. Bernard Rioux expose les péripéties qui ont amené la direction à subordonner le plan de transition aux calculs électoraux à court terme pour finalement le mettre au rencart, alors que Roger Rashi analyse la lutte interne qu’a menée le Réseau militant écologiste de QS pour affirmer une vision écologique anticapitaliste dans cette formation de gauche.
Loin de s’estomper dans la période postélectorale, les contradictions de QS sur la lutte climatique risquent de continuer d’animer sa vie interne. Les positions environnementales catastrophiques de la CAQ s’ajoutant à l’aggravation de la crise climatique et à la radicalisation continue du mouvement écologiste garantissent que ce débat restera central dans un parti qui se présente comme un mouvement de transformation sociale à l’écoute de la jeunesse et des luttes populaires.
Roger Rashi
I. Une démarche politique qui refuse une véritable radicalité
Bernard Rioux
Rédacteur à Presse-toi-à-gauche !, militant écosocialiste et à Québec solidaire
En novembre 2021, Québec solidaire (QS) adoptait sa plateforme électorale pour les élections québécoises d’octobre 2022. Concernant la lutte aux changements climatiques, cette plateforme se limite à certaines revendications et écarte la perspective de présenter un plan de transition économique et écologique. Une résolution d’urgence en réponse à l’aggravation de la situation présentée dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et aux pressions des mouvements écologistes a rehaussé la cible de réduction des gaz à effet de serre (GES) de 45 à 55 %. Mais la plateforme n’esquisse aucun plan global sur les moyens d’y parvenir. Nous allons présenter ici les différentes étapes qui ont mené à cette situation, afin de sortir des impasses dans lesquelles Québec solidaire s’est engagé.
Du plan de transition économique de la campagne électorale de 2018
Au printemps 2018, alors que les élections approchaient, le Comité de coordination de Québec solidaire demandait à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) de préparer une étude [4] qui permette l’élaboration d’un plan de transition qui sera publié sous le titre de Maintenant ou jamais [5].
Il était de la première importance que QS défende un tel plan. Le parti manifesterait ainsi la volonté d’une vision globale pour faire face à la crise climatique. Lors de la présentation du Plan, le 14 septembre 2018, Manon Massé a affirmé : « Ce que nous proposons, c’est un véritable projet de société pour répondre au grand défi de la crise écologique. Ce n’est rien de moins qu’une révolution écologique que nous proposons. Notre Plan de transition économique est nécessaire pour le Québec et la planète [6] ». Ce plan ne se réduisait donc pas à un programme pour le prochain mandat d’un éventuel gouvernement de QS. Il fixait des objectifs à atteindre entre 2018 et 2030. Il avançait des revendications essentielles sur plusieurs plans : cibles de réduction des gaz à effet de serre, mobilité des personnes et des marchandises, aménagement du territoire et agriculture, valorisation des matières résiduelles et économie circulaire, rénovation des bâtiments pour les rendre plus durables et plus résilients, politique industrielle pour accélérer la transition énergétique, indépendance énergétique, transition solidaire et démocratique, financement de la transition.
Mais ce plan, qui constituait une contribution programmatique essentielle, ne sera jamais soumis à un processus délibératif dans l’ensemble du parti. Seul le Comité de coordination nationale (CCN) s’est penché, à des fins de délibérations et d’amendements, sur cet important document qui a été diffusé durant la campagne électorale.
Ce plan a fourni un appui aux militantes et militants écologistes du parti qui voulaient donner la priorité aux changements climatiques lors du Conseil national de mai 2018. De grands axes du plan ont été révélés tout au cours de la campagne électorale, ce qui a fait de Québec solidaire le seul parti à placer au centre de sa campagne la lutte aux changements climatiques, alors que la Coalition avenir Québec (CAQ) n’avait pratiquement rien à dire sur le sujet et que ce thème restait marginal tant pour le Parti québécois que pour le Parti libéral. Ce positionnement allait assurer des gains à Québec solidaire lors de ces élections.
… à son abandon
Après la campagne électorale, des militantes et militants écologistes du parti, qui avaient depuis quelques mois formé le Réseau militant écologiste (RME) [7], espéraient que ce plan soit distribué largement. Ils voulaient le mettre en discussion afin de le peaufiner et d’en faire un guide d’action du parti, d’autant plus qu’il revenait sur certaines positions programmatiques et multipliait les nouvelles propositions. Ainsi, ce plan ramenait la cible de réduction des GES à 48 % d’ici 2030 alors que le programme adopté parlait d’une réduction de 67 %. Il proposait aussi de soutenir la bourse du carbone pendant un temps [8] tandis que le programme du parti rejetait tout soutien à une telle bourse.
L’augmentation du nombre de député·e·s de QS à l’Assemblée nationale laissait espérer qu’il serait possible de faire connaître le Plan le plus largement possible à la population afin de montrer que Québec solidaire était capable de proposer une réponse globale aux problèmes majeurs auxquels doit faire face la population du Québec.
Pourtant, le Plan de transition économique a été à peine diffusé. Il n’a pas servi d’instrument de formation de la base militante. Mais surtout, il n’a pas été soumis à la discussion de façon à permettre l’appropriation de son contenu et l’amélioration de ses analyses et de ses propositions.
Comment expliquer l’abandon de cette démarche d’un Plan de transition économique dépassant les simples échéances électorales ? Pourquoi ce document a-t-il été écarté des débats alors qu’il avait été présenté comme un véritable projet de société ? Est-ce parce qu’il restait trop lacunaire et qu’il n’était pas suffisamment concret ou précis ? Est-ce parce qu’il risquait d’amener une polarisation et des questions trop clivantes sur le type société que Québec solidaire proposait à la population ?
En effet, ce plan de transition économique aurait pu ouvrir largement la discussion sur le type de société sur laquelle QS envisageait de déboucher. Si le document Maintenant ou jamais fait une description détaillée des différentes facettes de la crise écologique et avance des propositions permettant d’ouvrir de nouvelles perspectives, il évite de faire l’analyse des fondements systémiques de la crise climatique en régime capitaliste. Il s’abstient ainsi de préciser les obstacles à surmonter et les solutions à appliquer pour être à la hauteur d’une transition véritable. Il n’explique pas pourquoi le capital fossile et les secteurs qui lui sont liés refusent tout abandon des énergies fossiles. Il n’explique pas pourquoi la classe politique, malgré des discours sur le verdissement du capitalisme, refuse de donner la priorité à la lutte aux changements climatiques et à ses conséquences désastreuses et bloque toute véritable sortie de la logique de la croissance sans limite. Le document évite également de définir les conditions de la démocratie économique qui permettrait à la majorité populaire de faire les choix essentiels sur les produits nécessaires à une transition véritable (types, quantités et techniques de production, formes de consommation).
La relance d’une telle discussion était d’autant plus à l’ordre du jour que les débats se multipliaient dans l’ensemble de la société québécoise. Diverses propositions ont été mises au jeu : la Déclaration d’urgence climatique (la DUC), le Pacte pour la transition de Dominic Champage et Laure Waridel, le Front commun pour la transition énergétique qui préparait une Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité, le Projet Québec ZéN (zéro émission nette). Des centrales syndicales se sont également penchées sur la question. Québec solidaire s’est abstenu de s’engager dans ces débats cruciaux sur la lutte aux changements climatiques et pour la transition écologique et n’a pas proposé une stratégie qui prenne en compte les fondements capitalistes de cette crise ainsi que le rôle des classes dominantes comme force de verrouillage de la situation.
Une étonnante bifurcation
À la suite du refus, non dit mais réel, de sa direction d’ouvrir un débat de fond et de produire un véritable plan de transition économique et écologique, Québec solidaire allait redéfinir son action politique au printemps 2019 : exercer des pressions sur le gouvernement Legault et dénoncer sa position climatopassive. Cette passivité se reflétait particulièrement dans le premier budget Legault, qui donnait la priorité aux investissements autoroutiers et laissait stagner le budget du transport collectif.
QS lança l’Opération Ultimatum 2020 [9]. Celle-ci devait durer 18 mois et voulait amener le gouvernement Legault à faire de la question climatique le centre du débat public au Québec. Plus spécifiquement, l’opération Utimatum 2020 avançait trois exigences très simples : l’élaboration par le gouvernement d’un plan de transition d’ici le premier octobre 2020, qui permettrait d’atteindre les cibles fixées par le GIEC ; l’évaluation de ce plan de transition par des experts indépendants du gouvernement ; l’interdiction de nouveaux projets d’exploration et d’exploitation pétrolière et gazière.
Si le gouvernement Legault ne se rendait pas à cet ultimatum avant octobre 2020, la députation de Québec solidaire allait organiser un véritable barrage politique et ferait obstruction à la marche régulière des institutions parlementaires. Pour appuyer l’action parlementaire, on proposait de mettre en place un blocage populaire : collaboration avec les mouvements sociaux, pétitions, visites des bureaux des député·e·s de la CAQ et manifestations diverses.
L’abandon de l’élaboration d’un véritable plan de transition économique et écologique ainsi que le lancement de la campagne Ultimatum 2020 ont transformé Québec solidaire en un groupe de pression. Cela a constitué une véritable régression et semé l’illusion qu’un gouvernement néolibéral pourrait, sous les pressions politiques et sociales, répondre positivement à la demande d’élaboration d’un tel plan.
La suite des événements allait démontrer le caractère illusoire d’une telle opération. Le gouvernement Legault présente à l’automne de 2020 son Plan pour une économie verte (PEV) [10], mais il ne répond nullement aux demandes de Québec solidaire. Le PEV est construit sur mesure pour servir l’accumulation capitaliste : pas d’engagement envers une véritable sortie d’une économie des hydrocarbures ; importance du gaz naturel présenté comme une énergie de transition ; cible insuffisante de réduction des GES (37,5 %), sans donner les moyens de les atteindre ; appui à l’auto solo électrique sans faire du transport public le centre d’un plan de transition ; transport des marchandises sans développer le ferroutage ; rejet de toute mesure qui contraigne les entreprises ; soutien à une agro-industrie d’exportation polluante sans le développement d’une agriculture de proximité et de la souveraineté alimentaire ; financement de la transition par le commerce des droits de polluer [11].
En fait, cette campagne Ultimatum 2020 se ramène à une diversion qui n’a débouché sur rien. À la mi-mars 2020, Québec solidaire suspend cette campagne [12] au moment où la pandémie frappe durement le Québec. En septembre 2020, le Conseil national abandonne la campagne Ultimatum 2020 et demande, à l’instigation du Réseau militant écologiste et d’autres opposants de gauche, l’élaboration d’un plan pour une relance « juste et verte » face à la crise [13].
L’ouverture à l’écologie de marché
Le rejet du Plan de transition et le refus des débats ont ouvert la voie à un glissement programmatique. Des propositions sur une fiscalité écologique avaient été préparées pour le congrès de novembre 2019, où l’on a proposé de revenir sur des positions programmatiques traditionnelles de Québec solidaire. Le Programme vise « à s’opposer aux bourses du carbone qui sont des outils d’enrichissement des multinationales qui risquent de devenir un nouvel instrument spéculatif » et il s’oppose « aux taxes sur le carbone qui frappent surtout les plus pauvres [14] ». La bourse du carbone, le Système de plafonnement des droits d’émission (SPEDE), s’était avérée inefficace dans la lutte pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, le congrès a adopté la proposition de mise en place d’« un système d’écofiscalité efficace […] qui servirait à changer les comportements de production et de consommation et à financer la transition réduisant les émissions des gaz à effet de serre du Québec [15] ».
Dans le Programme de Québec solidaire, la cible de réduction des gaz à effet de serre est de 65 % pour 2030. Là aussi, on a argué du réalisme électoral pour ramener la cible à 45 % d’ici 2030. La suite des choses montre que ce réalisme n’a pas résisté longtemps à l’évolution de la prise de conscience de l’urgence de la situation. Il ne faut pas se fier au signal-prix [16] pour modifier les procédés de production et les formes de consommation. Car, la nécessité de transformer les structures de production, les modes de consommation et l’occupation des territoires dans un horizon rapproché nécessite une planification stratégique, ce à quoi les mécanismes du marché ne peuvent nullement répondre.
Ce tournant signifie que QS tend à se fier, du moins en partie, au signal-prix pour amener les entreprises privées à modifier leurs procédés de production et la population à changer les formes de sa consommation. Il s’agit d’aplanir les éléments du Programme de Québec solidaire qui semblent trop radicaux. Il faut éviter les mesures contraignantes envers les entreprises et utiliser le marché des droits de polluer pour financer la transition, position déjà suggérée par le Plan de transition économique, mais sur une base temporaire. On n’a pas hésité à insister sur la nécessité d’une hausse considérable de la taxe carbone, taxe régressive s’il en est, pour qu’elle ait un effet véritable sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre.
La direction et les porte-parole du parti sont intervenus pour soutenir ces modifications substantielles au Programme et ont réussi à imposer leur perspective modérée. Il faudra les différents rapports du GIEC sur l’urgence d’agir et les mobilisations du mouvement écologiste pour amener la direction à revenir, deux ans plus tard, sur ce recul, qui n’avait qu’une motivation électoraliste.
La triple crise sanitaire, économique et climatique
La crise sanitaire a fortement frappé la société québécoise. Elle a provoqué une crise économique majeure et bloqué des secteurs entiers de l’économie, comme les transports aériens, la restauration, l’hôtellerie. Les services publics, particulièrement le secteur de la santé et des services sociaux, fragilisés par la gestion néolibérale depuis des décennies déjà, n’avaient pas les moyens de faire face à une crise sanitaire de l’ampleur de celle provoquée par la COVID-19.
Les préoccupations relatives à la crise climatique ont semblé passer au deuxième rang. On s’est demandé s’il fallait garder prioritaire la lutte contre la crise climatique. La défense des services publics, la lutte contre les inégalités et pour la justice sociale ainsi que la lutte contre les changements climatiques semblent maintenant les nouveaux axes prioritaires sur lesquels concentrer les efforts.
Se relever ensemble. Plan solidaire pour un Québec d’après est lancé en février 2021. Il est issu de la résolution du Conseil national de septembre 2020 sur la nécessité d’un plan de sortie de la triple crise sanitaire, économique et écologique. Il se déploie suivant quatre axes : la transition écologique, plus urgente que jamais ; une nouvelle ère pour nos services publics ; une société forte et juste ; un bouclier anti-austérité pour aller chercher des revenus [17]. Le Réseau militant écologiste, la Commission politique ainsi que la Commission thématique environnement jouèrent un rôle important dans l’adoption d’amendements radicaux et combatifs à ce plan.
Ce plan s’inscrivait dans une logique de plateforme. En ce qui concerne la transition écologique, il proposait le renforcement de la souveraineté alimentaire, une avancée vers la gratuité du transport en commun, la définition du transport interurbain comme un service public, la volonté de faire rimer transition avec région et une fiscalité qui vise la justice environnementale. En matière de souveraineté alimentaire, Se relever ensemble écrivait que « la souveraineté alimentaire ne se fera pas sans souveraineté politique [18] ». Concernant le transport, il affirmait la volonté de Québec solidaire de « viser une décroissance de l’usage des véhicules individuels [19] » et « la gratuité du transport en commun, en débutant dès maintenant avec la réduction de moitié des tarifs actuels [20] ». Ce plan défendait une fiscalité redistributive par une « taxation incombant aux plus riches de la société » et l’augmentation du prix du carbone « visait les grands émetteurs industriels du Québec [21] ». Pour faire rimer transition et régions, on reprenait l’idée de structure de concertation pour planifier et structurer la relance et le développement économique, sans préciser de quelle économie on parle réellement, sans tenir compte de la réalité des structures économiques des régions, et donc du poids des multinationales sur toute une série de territoires.
Ce plan est un plan de sortie de crise. Il ne s’inscrit pas dans une véritable logique de transition. Il ne pose pas la question des conditions de la planification écologique véritable. Ce plan est, à bien des égards, mobilisateur, mais il reste en deçà des changements réels que nécessite l’urgence climatique. Il s’inscrit dans la continuation de la mise au rancart de la définition d’une révolution écologique qu’avait évoquée Manon Massé.
Reprise des débats sur la lutte aux changements climatiques à la suite de ceux sur la plateforme électorale
Le cadre des débats préparatoires au congrès de novembre 2021 a écarté d’emblée la perspective d’élaborer un plan de transition. Le Cahier des propositions comporte 20 axes et chaque axe comprend généralement cinq propositions. Ce sont donc environ 100 propositions qui ont été soumises au débat précongrès [22]. Le thème Lutter contre la crise climatique et respecter les limites écologiques du territoire se décline en six propositions qui reprennent la cible de réduction des GES à 45 %, la transformation en profondeur des transports, l’accélération de la fin de l’utilisation des sources énergétiques non renouvelables, la fin de l’obsolescence planifiée, la protection de la biodiversité et la protection de l’eau potable.
Contrairement à une tradition bien établie à Québec solidaire, aucune analyse de la conjoncture sur les fondements de la crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité n’a été soumise au débat. Les propositions mises en jeu n’étaient nullement à la hauteur de l’urgence de la situation et de la nécessaire radicalité des réponses qu’elle exige.
Le retour de ce refoulé rejaillit dans le débat sur la cible de réduction des GES. Les États-Unis, l’Europe et même le Canada se sont fixé des cibles de réduction des GES qui dépassent celle avancée par Québec solidaire. Les groupes écologistes pressaient les gouvernements Trudeau et Legault de relever leurs cibles. Le Cahier de propositions en est resté encore à une cible de 45 %. Ce n’est qu’au congrès que la direction propose une motion spéciale pour rehausser la cible de réduction à 55 % par rapport à 1990.
La Commission environnement, consultée sur ces revendications, a bien tenté d’expliquer la nécessité d’un plan intégré de transition, mais cette orientation a encore une fois été repoussée. Elle ne s’inscrivait pas dans le cadre du débat proposé.
Lors du débat précongrès dans les différentes associations régionales et de circonscription, la gauche écologiste et socialiste a introduit toute une série d’amendements afin de se donner un pouvoir sur les choix économiques stratégiques : la transition vers les énergies vertes, le contrôle de l’exploitation des ressources minières et forestières, le démantèlement des entreprises liées aux énergies fossiles. C’est ainsi que des amendements ont proposé la nationalisation des industries polluantes dans la perspective de leur fermeture, la nationalisation des industries minières et forestières, la nationalisation des entreprises productrices d’énergies renouvelables. Seule cette dernière nationalisation a été retenue par le congrès. Durant le débat, les député·es sont montés au créneau pour s’opposer à l’adoption des amendements concernant ces différentes nationalisations. Ces propositions ont tout de même obtenu environ 30 % des votes des délégué·es.
Si l’on s’en tient aux différentes propositions adoptées en matière d’environnement, QS ne s’est pas donné les moyens d’une transformation radicale du système productif ; il n’a également pas pris une position claire sur la diminution du nombre d’autos solos y compris les autos électriques. Les propositions sur l’agriculture n’interdisent pas l’usage des pesticides et ne s’attaquent pas à la production carnée destinée à l’exportation comme cadre essentiel de l’agriculture pratiquée au Québec.
La perspective d’une planification écologique de l’économie a été écartée alors que le Congrès laissait aux grandes entreprises multinationales le contrôle sur tous les choix stratégiques en matière d’économie et d’environnement. S’opposer à la crise climatique implique de s’attaquer aux puissances économiques et politiques et de jeter les bases d’une société moins consommatrice d’énergie et moins gaspilleuse. Prendre au sérieux la gravité de la situation signifie remettre en cause un mode de production, un mode de consommation, bref un mode de vie construit sur un rapport de prédation avec la nature. C’est du capitalisme dont il est question. On ne peut, au nom de la crédibilité électorale, masquer les tâches politiques que cela implique. Dans une situation de crise majeure, le réalisme électoraliste désarme. Il empêche que soit défini un plan de transformation radicale de la société qui permet d’atteindre nos buts.
Au-delà des bonnes intentions
Les préoccupations des militantes et des militants de Québec solidaire en ce qui concerne l’environnement continuent à inspirer leurs actions. Dans la région de Québec, QS s’est impliqué dans la lutte contre le troisième lien sous-fluvial, projet coûteux qui favorise l’étalement urbain. Il mobilisera de concert avec les organismes du milieu contre la hausse de la norme de nickel prévue pour répondre aux besoins des entreprises qui investissent dans la production de piles au lithium destinées à un éventuel marché des voitures électriques. En appui au mouvement écologiste, le parti s’investira également dans la lutte contre le projet GNL et pour la sortie du Québec de toute exploration et exploitation pétrolière. Le parti dénoncera le dernier budget, qui, encore une fois, fera la part belle aux investissements autoroutiers, secondarisera l’investissement dans les moyens de transport public. Québec solidaire dénoncera le refus de la CAQ de bloquer les publicités sur les moyens de transport polluants comme les véhicules utilitaires sport (VUS) et de leur imposer une taxe à l’achat. Le nombre de VUS a augmenté de 306 % depuis 2014 au Québec [23]. À l’Assemblée nationale, QS est le seul parti à intervenir de façon constante contre l’inaction criminelle du gouvernement en matière environnementale. Mais les bonnes intentions et les transformations à la marge ne suffisent pas. Il faut un programme d’actions radicales à proposer immédiatement dans les luttes sociales.
Pour conclure
En somme, il faut en finir avec le refus total de faire une analyse des fondements capitalistes de cette crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité. Il est urgent de se donner un plan de transition largement discuté et adopté pour enclencher une véritable révolution des modes de production et des modes de consommation. Ces transformations ne seront pas le résultat de l’utilisation des mécanismes du marché qui sont à la source de la crise actuelle dans ses différentes dimensions. Une véritable démocratie économique, où la majorité populaire peut faire les choix économiques et écologiques nécessaires à la satisfaction des besoins et à la protection de la nature, passe par une rupture radicale avec le pouvoir d’une minorité de possédants.
Seules ces conditions économiques et démocratiques permettront :
- l’accélération de la fin de l’utilisation des énergies non renouvelables ;
- la primauté et la généralisation des énergies renouvelables sous contrôle public ;
- la diminution de l’utilisation de l’auto solo comme moyen de transport privilégié et le transport collectif gratuit comme moyen principal de mobilité ;
- la multiplication des initiatives liées à l’économie d’énergie dans le domaine bâti, dans les secteurs industriel, commercial, institutionnel et résidentiel ;
- la transformation d’une agriculture industrielle exportatrice en une agriculture écologique de proximité ;
- la fin de l’obsolescence planifiée et l’obligation de la durabilité et de la réparabilité des produits industriels ;
- le développement de l’économie des circuits courts et le rapatriement d’urgence des productions essentielles (médicaments, vaccins, alimentation…) ;
- la sobriété dans l’utilisation des ressources par l’élimination des productions inutiles, la rupture avec la surconsommation et une publicité qui cherche essentiellement à entretenir cette dernière.
- Bref, cette bifurcation est incompatible avec le maintien de la logique du marché et des profits. Seule une rupture avec la domination de la classe capitaliste permettra de construire la mobilisation nécessaire et de déboucher sur l’établissement d’une nouvelle société, socialiste et écologique.
II. Le réseau écologiste militant de QS Pour une écologie anticapitaliste dans le parti
Roger Rashi
Militant écosocialiste et cofondateur du Réseau militant écologiste
Le Réseau militant écologiste de QS (RMÉ) est né au printemps 2018 et sa première manifestation publique fut à l’occasion du Conseil national préélectoral du mois de mai de la même année. Lors du débat sur la plateforme électorale pour les élections de 2018, le RMÉ insista pour faire de l’environnement l’élément central de la campagne à venir. La direction politique du parti préférait à l‘époque que la campagne soit centrée sur trois grandes revendications concrètes (gratuité scolaire, assurance dentaire, réduction de 50 % des frais de transport en commun) estimant que le climat, bien qu’important, ne pouvait constituer « la question de l’urne ».
Les bons coups du Réseau militant écologiste
Le RMÉ eut gain de cause et le Conseil national adopta une proposition sur la centralité de la question environnementale. Le programme de transition écologique et économique, Maintenant ou jamais, publié lors de cette campagne [24] s’avèrera l’un des atouts majeurs du succès remporté par QS aux élections du 1er octobre 2018, soit une récolte inédite de 10 sièges et de 16.1 % du vote.
Fort de cette avancée, le RMÉ engagea une lutte interne sur trois grands axes. Le premier étant l’adoption d’une politique d’appui actif au mouvement écologiste se manifesta, entre autres, par la mobilisation massive du parti, tant au parlement que dans la rue, pour appuyer la contestation du projet GNL Québec [25]. Le deuxième axe était la participation à divers efforts pour démocratiser les prises de décisions stratégiques dans QS. La troisième priorité du RMÉ alla à l’adoption par le parti d’un plan de transition écologique clairement anticapitaliste reflétant ainsi le programme fondamental de QS. Pour ce faire, le RMÉ multiplia les discussions critiques à l’interne sur le document Maintenant ou jamais ; il remporta un succès notable aux conseils nationaux de septembre et novembre 2020 en y faisant adopter, malgré l’opposition, exprimée verbalement, des porte-parole parlementaires, une proposition de lancer une campagne politique pour « un plan de relance juste, vert et solidaire » ayant un fort contenu anti- systémique et prônant l’appui aux luttes populaires.
Malheureusement, cette campagne, pourtant dûment endossée par deux conseils nationaux successifs, resta lettre morte au niveau du grand public. L’aile parlementaire fit de son mieux pour l’ignorer et réussit finalement à la mettre au rencart lors du congrès de mai 2021, alors que furent adoptés les grands axes de la plateforme et de la stratégie électorale actuelles.
Il est important de préciser la nouveauté, ainsi que les limites, de cette structure interne de QS qu’est un réseau militant. Adoptés en 2014 comme des structures de mobilisation des membres du parti actifs dans les mouvements sociaux, les réseaux militants resteront lettre morte jusqu’à la formation en 2018 du RMÉ qui a regroupé jusqu’à une centaine de membres répartis à travers le Québec. Tout en étant influent dans plus d’une dizaine d’associations locales, ainsi que dans deux ou trois associations régionales, ce réseau n’a cependant aucun moyen de s’exprimer dans les instances décisionnelles nationales autre que de faire adopter des résolutions dans les structures de base territoriales (circonscriptions, régions, campus) pour qu’elles soient acheminées aux conseils ou aux congrès nationaux. En butte à une hostilité ouverte de la part de la direction du parti pendant ses 18 premiers mois d’existence, le RMÉ a fini par gagner une certaine reconnaissance tacite à partir du milieu de 2020. Un canal de discussion quasi permanent fut établi avec le responsable national à la mobilisation et ayant comme résultat qu’un accord semble se dégager pour que les réseaux militants, ainsi que leurs modalités de représentation aux instances nationales, fassent l’objet d’amendements statutaires lors du congrès de 2023.
La progression de ce nouveau type de structures internes, proche des mouvements sociaux et de leurs luttes, pourrait donner une base organisationnelle à la volonté des militantes et militants de la base de faire de QS un vrai parti « des urnes et de la rue ».
La vision de la transition du Réseau militant écologiste
Malgré les limites que vivent les réseaux militants, le RMÉ a réussi pendant trois ans à influencer les orientations politiques de QS. Un facteur déterminant fut l’organisation de conférences de formation sur les scénarios de la transition écologique ayant comme objectif de préciser celui qui devrait prévaloir dans un parti de gauche comme QS.
La vision du RMÉ s’est cristallisée lors d’une importante conférence tenue au mois de mai 2020 alors que fut mis en discussion un document produit par deux chercheurs de l’IRIS [26]. Une attention particulière fut portée à la deuxième section du document, intitulée « Différentes approches de la transition », dans laquelle les auteurs identifient quatre grandes tendances parmi les organisations qui avancent le concept de transition juste.
L’approche du statu quo (ou vision néolibérale) est avancée par ceux qui ne voient dans la transition qu’une occasion d’affaires et qui par conséquent donnent la priorité aux mécanismes du marché et à l’aide aux grandes entreprises pour inciter celles-ci à adopter des technologies vertes. C’est le scénario d’écoblanchiment favorisé par les chefs des principaux gouvernements capitalistes (Biden, Trudeau, Macron, Xi Jinping, etc.) qui n’ont aucune gêne à parler de transition verte tout en subventionnant les grandes pétrolières et leurs projets de production d’énergies fossiles. C’est l’approche catastrophique qui prédomine actuellement à l’échelle mondiale.
L’approche par réformes managériales (ou vision sociale-démocrate) mise sur un interventionnisme de l’État et le dialogue social pour organiser la transition écologique sans toutefois remettre en cause le système économique et ceux qui en profitent le plus. Ce capitalisme vert est la vision la plus populaire au sein des grandes centrales syndicales et des organisations écologiques dominantes. Elle se manifeste par la primauté des projets de tarification du carbone et la recherche de consensus avec les décideurs sur des moyens dits « raisonnables » de décarboniser l’économie. Ce « gradualisme » laisse intact le mode de production capitaliste qui engendre inégalités et destruction environnementale.
L’approche par réformes structurelles (ou vision anti-néolibérale) se distingue par une volonté de changer les règles du jeu économique pour jeter les bases d’une économie faible en carbone, plus égalitaire et plus démocratique. Le processus consiste à introduire des réformes qui portent sur le pouvoir économique et politique afin de changer le cadre institutionnel et favoriser les classes populaires et les populations opprimées. Les moyens proposés vont du contrôle public des grands secteurs stratégiques de l’économie aux investissements publics massifs dans les énergies renouvelables afin de casser la dépendance aux énergies fossiles. Ce scénario est proposé par certains syndicats à travers le monde, notamment ceux regroupés par la plateforme internationale Trade Unions for Energy Democracy (TUED) [27] où se retrouvent quelques syndicats importants tels que la Confédération générale du travail (CGT) française, le Trades Union Congress (TUC) du Royaume-Uni, ainsi que des syndicats du Brésil, de l’Argentine et de l’Afrique du Sud. L’on peut aussi inclure dans cette approche le Green New Deal proposé par Bernie Sanders et les socialistes américains de Democratic Socialists of America (DSA). Cette vision rompt franchement avec le néolibéralisme et ouvre la porte à une transformation radicale de la société.
L’approche transformative (ou vision anticapitaliste) part du principe que le capitalisme fondé sur la propriété privée des moyens de production, l’exploitation de la nature et la croissance infinie des profits est incompatible avec la justice sociale et la préservation des écosystèmes planétaires. Les rapports sociaux doivent être changés de fond en comble pour favoriser la démocratisation de l’économie, le démantèlement des systèmes d’oppression tels que le racisme, le patriarcat et le colonialisme. Il s’agit de compter tant sur l’action gouvernementale que sur celle de la société civile pour mettre sur pied de nouvelles institutions (planification démocratique, autogestion, coopératives) afin d’opérer la transition écologique et l’instauration de nouveaux rapports respectueux de la nature. Cette approche, qui inclut l’écosocialisme, malheureusement non mentionné dans le texte de l’IRIS, est encore à ses balbutiements, mais elle commence à s’implanter dans divers endroits du globe. Pensons aux initiatives des petits paysans membres du Mouvement des sans-terre au Brésil (MST), de la communauté coopérative du sud des États-Unis, Cooperation Jackson, ou des propositions des militantes et militants autochtones du Red Deal [28]. Quant aux propositions écosocialistes, nous en mentionnons plusieurs dans l’avant-propos à ce dossier.
Partant de ces quatre scénarios, les intervenantes et intervenants du RMÉ ont tiré quelques constatations. La première est qu’une ligne de démarcation politique traverse ces approches, entre d’une part, celles qui restent enfoncées dans une vision capitaliste, les approches néolibérale et sociale-démocrate, et d’autre part, celles qui ouvrent la porte à une sortie du système. Il y a une affinité réelle entre l’approche des réformes structurelles anti-néolibérales et celle des transformations anticapitalistes. Elles font partie d’un front uni des forces et classes sociales qui visent à transformer le système actuel.
Cela dit, le RMÉ estime qu’une vision inspirée de ces deux scénarios anti-systémiques serait la plus appropriée pour un parti de gauche comme Québec solidaire, car la transition écologique est une question d’action stratégique à long terme et ne peut être réduite à un enjeu électoral ponctuel ou à un seul mandat gouvernemental.
Roger Rashi
Bernard Rioux
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais.