Il en est devenu rentable de capter directement l’énergie quasi infinie du soleil, et du vent qui résulte de la distribution différenciée de sa chaleur, et d’alimenter économiquement des véhicules terrestres soit directement soit indirectement par l’hydrogène vert, malgré une perte d’efficacité des deux tiers [3], et qui pourra aussi achever d’électrifier les procédés industriels telle la production d’acier quoique le processus de fabrication du ciment reste un problème jusqu’ici sans solution pour en supprimer les GES. Ces technologies à allure rédemptrice nécessitent une ribambelle de nouveaux minéraux dont le lithium est le fer de lance et dont l’extraction, souvent à ciel ouvert, est énergivore et polluante. L’ensemble de ses filières constitue une nouvelle révolution industrielle appelée à relancer le capitalisme enlisé dans un système de production-consommation non seulement catastrophique pour l’écosystème planétaire mais aussi au bout du rouleau de ses gains de productivité [4].
La transition tout électrique se heurte à la croissance, au conservatisme et à la centralisation
La transition tout électrique dans le cadre du capitalisme comporte deux contradictions majeures à surmonter. D’une, l’urgence climatique mise en exergue par le GIEC est incompatible avec la rentabilité capitaliste qui exige l’amortissement des capitaux investis lequel prend normalement du temp à moins d’un processus de « destruction créatrice » (L’utilisation de ChatGPT par Microsoft [5] aux dépens d’Alphabet pourrait en être un micro-exemple.) Cependant, même la destruction créatrice de la filière hydrocarbures / véhicules à essence par la filière énergie renouvelable / véhicules électriques, y compris les bâtiments zéro énergie, dans un contexte de croissance commandée par la loi de la concurrence générant l’accumulation capitaliste n’arrive pas à répondre aux impératifs scientifiques de l’urgence climatique et de celle de la biodiversité avec certains points de bascule [6] en train de franchir la ligne rouge. À la croissance sans fin s’ajoute le freinage d’une bourgeoisie mondiale, bien au fait de cette contradiction depuis 50 ans [7] , devenant de plus en plus conservatrice puis réactionnaire depuis l’avènement de l’impérialisme à la fin du XIXe siècle et qui a su, par son régime néolibéral, venir à bout de l’élan de la révolution d’Octobre dont les trente glorieuses furent le chant du cygne.
De deux, le nouveau paradigme énergétique suppose un grand dispersement géographique et une gestion décentralisée contrairement à l’ancien, ce qui est incompatible avec la centralisation et la concentration capitaliste considérables dans les domaines de l’énergie et de la finance et pas seulement. Cette centralisation-concentration a son pendant politique dans l’expansion des oligarchies illébérales ou dictatoriales si ce n’est fascisante jusqu’à menacer la soufflante démocratie parlementaire des grands pays impérialistes. Toutefois, la domination mondiale des réseaux sociaux par une poignée de super-oligopoles étatsuniens et chinois ont démontré la puissance monopolisatrice rendue possible par les économies de gamme (economies of scope) et d’échelle. Ces super-transnationales ont tendance à dominer les États, dont la politique économique se réduit à se faire beaux pour attirer des capitaux, sauf les deux plus grands, ÉU et Chine, et peut-être l’UE qui ont engagé un bras de fer avec elles [8] pour tenter de les mettre à la main du pouvoir étatique.
On voit mal comment l’architecture étatique mondiale, malgré les appels véhéments d’une ONU impuissante, viendrait à bout d’impulser une révolution pro-climat et pro-biodiversité de l’appareil économique mondial. Les énergies fossiles comptent encore pour environ 80% des énergies mondiales [9] en diminution d’à peine 5 points de pourcentage en 40 ans. À voir si la nouvelle rentabilité des énergies renouvelables, comptant seulement pour 2% en 2018, signifiera leur décollage. En désespoir de cause, la bourgeoisie mise sur les solutions de géo-ingénierie à commencer par la capture et la séquestration du carbone dont il faudrait une quantité gargantuesque [10] et qui font du sur place depuis 50 ans [11] malgré de généreuses subventions gouvernementales. Sans compter que cette technologie est inapplicable aux émissions en aval, soit les émissions produites lorsque les fossiles sont brûlés, qui comptent pour 80 % des émissions.
Pour le Québec, c’est la grande curée du lithium et des claims, et rien d’autre…
La grande curée pour le lithium bat son plein au Québec comme ailleurs dans le monde, surtout dans le camp étasunien qui prend conscience de la grande avance de la Chine [12] en ce qui a trait la filière de sa transformation : « Bien que la production de lithium en Chine soit relativement faible, c’est le plus grand consommateur de lithium en raison de ses industries de fabrication d’électronique et de véhicules électriques. Il produit également plus des trois quarts des batteries lithium-ion du monde et contrôle la plupart des installations de traitement du lithium dans le monde. » Les ÉU mettent le paquet par de généreuses subventions pour en produire [13] provenant de leur loi ‘Inflation Reduction Act’ (IRA) mais ils sont loin derrière la Chine tant en termes de production de lithium [14] que surtout de batteries lithium-ion [15].
Le Canada comme le Québec prennent conscience qu’ils pourraient devenir pour les matériaux stratégiques du tout électrique les porteurs d’eau et les scieurs de bois du camp étatsunien comme le Canada l’est pour le pétrole et le gaz, toutefois pas nécessairement directement pour les ÉU qui ne manquent pas de les concurrencer quand eux-mêmes en sont bien pourvus, ce qui n’est cependant pas le cas pour l’hydroélectricité québécoise soit directe ou indirecte (aluminium). Le Canada vient tout juste de donner le feu vert à une mine de lithium en territoire cri de l’officielle province fédérale de Québec — une entreprise chinoise exploite au Manitoba la seule mine de lithium opérant actuellement au Canada — au grand dam de plusieurs groupes environnementalistes qui malgré les restrictions fédérales dénoncent l’importante pollution hydrique [16] inhérente au minage du lithium sans compter la destruction de 300 hectares de nature.
En Abitibi-Témiscamingue, la compagnie australienne Sayona compte dès cette année mettre en opération une mine déjà construite [17] qui était en faillite et plus tard deux autres sites dont un auquel une communauté anichinabée voisine [18] s’oppose becs et ongles. Les populations de l’Outaouais, des Laurentides, de Lanaudière et du Bas-St-Laurent-Gaspésie prennent conscience du soudain pullulement des claims miniers auxquels la loi des mines donne préséance sur tout autre loi à quelques restrictions près pour les zones urbanisées. Heureusement, s’organise un front commun de groupes environnementaux et autochtones, de municipalités, de MRC et dorénavant d’associations lacustres (QLAIM [19]) qui réclament un moratoire sur les claims. Mais faut-il compter sur les édiles municipaux, dont plusieurs réduisent le bien-être à la croissance du PIB, qui oblitèrent l’environnement en faveur du productivisme [20] en s’imaginant que le Québec pourra développer une filière de lithium alors qu’il n’a jamais pu développer une filière de transformation de l’aluminium ?
Les rapports de forces géostratégiques qui surdéterminent la course mondiale au tout électrique confirment « la vocation minière du Québec [21] » avec en prime sa contribution aux subventions fédérales pour que l’Ontario soit en mesure de tailler sa petite niche dans les secteurs de fabrication des batteries et des véhicules électriques malgré les généreuses subventions de l’IRA étatsunienne dont les conditionnalités ont finalement inclus la zone ACEUM (ex-ALÉNA).
… quoiqu’en dise Fitzgibbon qui se fait mettre à sa place par les transnationales de l’aluminium
Ce rapport de forces surdétermine l’empoigne médiatique entre Hydro-Québec et le gouvernement du Québec qui a vu le super-ministre Fitzgibbon devoir baisser les ailes [22] en admettant que « ‘’[l]es projets, dans les 8000 à 10 000 mégawatts qu’on a cités [sur les demandes de 20 000 au départ], il y en a 50. Sur les 50, on va en faire 25.’’ [et que] « On va favoriser les projets qui sont déjà ici », a ajouté le ministre, citant l’exemple des alumineries. « Au niveau industriel, on doit décarboner ce qui existe. » » et qu’il n’est plus question d’avoir comme objectif de créer des emploi nouveaux avec les nouveaux mégawatts hydro-québécois sinon de préserver ceux existants. Le super et arrogant ministre a dû s’incliner devant Rio-Tinto, et par ricochet donner raison à Hydro-Québec malgré la démission de sa PDG, qui laisse entendre que sa nouvelle technologie Élysis décarbonant le processus de fabrication de l’aluminium — responsable de pas moins de 7% de tous les GES [23] produits au Québec, consommant 20% de son électricité et ne payant pratiquement pas d’Impôt — ferait disparaître des milliers d’emplois au Québec à moins que les équipements liés à Élysis y soient produits ce qui n’est pas garanti par Rio Tinto qui l’a fait savoir [24] même si les gouvernements du Québec et du Canada ont investi dans l’affaire.
Le Québec et même le Canada, sauf un prix de consolation manufacturier pour l’Ontario, s’insère au sein de la nouvelle division internationale du travail dans le contexte d’une nouvelle guerre froide ÉU-Chine doublée d’une politique étasunienne de plus en plus protectionniste America first. S’annonce une spécialisation minière et de première transformation des métaux avec son cortège de pollution, particulièrement hydrique, d’affrontement avec les Premières nations et avec le Québec régional. Moins visible se pointe un renforcement des inégalités sociales entre un secteur du tout électrique dégageant une poignée d’emplois avec des bonnes conditions de travail et une mer d’emplois précaires et mal foutus pour desservir la population locale y compris des services publics austérisés. Est-ce la seule voie de développement possible qui s’offre au Québec ? À voir.
Marc Bonhomme, 12 février 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca