La manipulation génétique ne modifie pas que le porte-greffe mais l’ensemble de la
vigne cultivée, le raisin et le vin.
Conscient de la catastrophe commerciale que cela pourrait engendrer, les vignerons ne veulent
en aucun cas courir le risque du moindre soupçon d’une possible présence d’OGM dans
leurs vins. Pour leur faire accepter son expérimentation, l’INRA prétend que la manipulation
génétique du porte-greffe ne modifie pas la vigne qui produit le raisin (le greffon). Pourtant,
dès 2008, Jean Masson, directeur de la station viticole de l’INRA de Colmar, reconnaissait
dans le journal Les échos ses doutes sur lesquels il n’est bizarrement jamais revenu : « Les
chercheurs estimaient il y a quelques années impossible que le transgène passe du porte-greffe au cépage. Nous ne l’excluons plus. »
Il est vrai qu’il ne pouvait pas ignorer les travaux de ses collègues de l’INRA de Versailles
qui dès 1997, soit bien avant le début de son expérimentation à Colmar, avaient montré sur le
tabac la transmission très importante de « produits » du transgène du porte-greffe au greffon [1].
Il ne pouvait pas non plus ignorer les soucis de la société civile sur ce problème clairement
évoqué dans la publication du collectif CCC-OGM : « OGM-Vigne, Opinion Grossièrement
manipulée ». Depuis, de nouveaux travaux ont confirmé la fréquence de ce passage [2]. Le
Comité Scientifique du HCB a pointé lui aussi ce problème en soulignant que les analyses
réalisées par l’INRA de Colmar sont insuffisantes pour le documenter correctement (annexe
1).
Toute manipulation génétique engendre de nombreux risques aujourd’hui non
maîtrisés.
Au-delà de l’impact sanitaire ou environnement du transgène lui-même, toute insertion par
transgénèse provoque des réarrangements non intentionnels du génome ou de ses relations
avec son environnement (épigénétique), générant des effets non intentionnels pouvant
passer inaperçus. La plupart des problèmes sanitaires engendrés par des OGM et aujourd’hui
documentés ne sont pas dus directement au transgène, mais à ce type de réarrangement.
La manipulation génétique du porte-greffe de l’INRA de Colmar engendre des risques
de recombinaison virale particulièrement importants
Christian Vélot, Docteur en Biologie et en génétique moléculaire à l’Université Paris-Sud
explique : « Le véritable danger de cette vigne (comme toutes les plantes transgéniques
résistantes à des virus), c’est qu’elle est un véritable réservoir à virus recombinants. Il s’agit
de plantes transgéniques dans lesquelles le transgène est un gène viral. La présence de ce
transgène les protège contre le virus en question ainsi que contre les virus apparentés (sans
qu’on n’en connaisse vraiment les mécanismes intimes). Or, les virus ont une très grande
capacité à échanger spontanément leur ADN (phénomène de recombinaison) : les séquences
d’ADN viral sont très recombinogènes. Par conséquent, quand cette plante est victime d’une infection virale, il peut se produire très facilement des échanges entre l’ADN du virus
infectant et l’ADN du transgène, ce qui conduit à l’apparition de virus dits recombinants dont
on ne maîtrise rien et qui vont pouvoir se propager dans la nature. Il est là le vrai danger
avec ces plantes, ! Avec des plantes conventionnelles, une telle situation ne peut se produire
que si la plante est infectée simultanément par deux virus. Avec ces plantes transgéniques,
au contraire, un seul virus suffit et on augmente donc considérablement la probabilité de
ces évènements. Tout ceci est expliqué en détail dans mon livre (OGM : tout s’explique) aux
pages 140 à 142. »
L’expérimentation menée à Colmar générait des risques importants et non maîtrisés de
dissémination dans l’environnement
A la demande du Comité de Liaison et de Surveillance (CLS), l’INRA a annoncé avoir pris
toutes les précautions nécessaires pour les risques de dissémination dans l’environnement. On
peut déjà s’interroger sur la durée de l’efficacité d’une bâche enfouie dans le sol pour
empêcher le passage hors du périmètre de l’expérimentation de tout nématode porteur du virus
du court-noués, ou de tout microorganismes du sol, bactérie ou virus… modifiés par la vigne
OGM. La suppression des fleurs empêchait toute dissémination éventuelle par le pollen. Mais
elle n’empêchait pas la dissémination par les insectes piqueurs-suceurs dont le rôle important
dans la dissémination des maladies virales dans la vigne est largement connu. Le responsable
d’une station viticole de l’INRA ne pouvait pas ignorer ce risque depuis que la flavescence
dorée, maladie transmise par un de ces insectes piqueurs suceurs, a justifié l’obligation
réglementaire de nombreux traitements insecticides dans le vignoble français. Il ne pouvait
pas non plus ignorer la capacité de tels insectes de disséminer des éléments du transgènes ou
les produits d’éventuelles recombinaisons génétiques ou virales provoquées dans le porte-greffe et/ou le greffon. Il ne pouvait pas non plus ignorer la capacité de tels insectes à
contaminer l’ensemble du vignoble à partir de l’échappement d’un seul agent pathogène. Il est
curieux qu’il n’en ait informé ni les « citoyens » consultés lors de la première expérimentation
sociologique précédant le premier essai, ni le CLS.
Le déroulement de l’essai en milieu ouvert empêchait de répondre aux questions
scientifiques les plus importantes
L’INRA de Colmar prétend qu’il était indispensable de mener cet essai en milieu ouvert pour
que le sol et la vigne puissent subir directement les influences du climat afin de vérifier « en
conditions réelles » l’efficacité de la transgénèse vis-à-vis de la maladie et d’évaluer les
risques de dissémination dans le sol. Ces deux questions sont certes importantes, mais
méritent-elles de courir les risques qui ont été pris ? Les sommes dépensées par l’INRA
pour faire semblant de « sécuriser » cet essai au prétexte qu’il se déroulait en milieu ouvert
ont en effet largement dépassé ce qui aurait été nécessaire à la construction d’une serre
simulant correctement les influences climatiques les plus pertinentes. Et surtout, ces deux
questions sont-elles pertinentes tant qu’on n’a pas répondu aux questions des risques de
recombinaison génétique ou virale, de passage du porte-greffe au greffon, au raisin ou au
vin, de dissémination dans l’environnement de parties ou de produits de l’OGM, et des
conséquences sanitaires, environnementales ou commerciales de tous ces risques ? Or, en
coupant les fleurs avant floraison, non seulement il devenait impossible de vérifier un
éventuel passage au raisin et au vin, mais en plus on a modifié le métabolisme de la vigne en
supprimant l’induction florale (première étape de la maturité), ce qui rendait peu pertinent
tout résultat scientifique concernant l’efficacité du transgène sur le développement du court-
noué dans la vie de la vigne. Il est clair que les questions scientifiques primordiales posées par
un tel essai ne peuvent être correctement étudiées qu’en milieu confiné, en gardant les fleurs.
Le but du déroulement de l’essai en milieu ouvert était avant tout commercial et non
scientifique
Le syndicat Sud-Recherche dénonce avec justesse les intentions commerciales de l’INRA mal
camouflées derrière les discours sur une recherche prétendue neutre : « La communication
développée aujourd’hui par la Direction de l’INRA sur le sujet nous interpelle :elle affirme
simultanément que cet essai sur la vigne vise à maintenir « l’existence d’une expertise
impartiale au-delà de celle des entreprises internationales », mais aussi que sa destruction
fait prendre le risque de « voir la France incapable de développer des produits alternatifs à
ceux des grandes firmes ». Alors, nécessité (bien compréhensible) de connaissances nouvelles
ou objectif (déjà annoncé) de valorisation commerciale ? C’est justement le débat de fond ! »
Le premier essai mené en champagne avait révélé une profonde irrégularité de l’efficacité
de la manipulation génétique pour conférer une bonne résistance au virus du court-noué. Le
but de l’INRA de Colmar était de repérer les clones réellement résistants et de se donner les
moyens d’améliorer la production de tels clones dans les conditions exigées pour l’obtention
de l’autorisation de commercialisation (essai CTPS en milieu ouvert pour l’inscription au
catalogue). Cette précipitation mercantile s’est faite au détriment d’une recherche en milieu
confinée indispensable pour se donner en préalable le moyens de répondre aux questions
scientifiques que pose l’acceptabilité sanitaire, environnementale, économique, sociale ou
éthique d’une telle production.
Les travaux de l’INRA sont destinés à conforter les profits de Monsanto ou d’autres
entreprises qui exploiteront les brevets protégeant la technologie utilisée
Christophe Bonneuil et Christophe Thomas indiquent dans leur ouvrage « Gènes, pouvoirs
et profits » (édition Quae-FPH) : « En 1985, Monsanto dépose une demande de brevet sur
une stratégie de résistance des plantes aux virus par introduction du gène de la protéine
capsidaire. A cette date, seule est réalisée expérimentalement l’insertion du gène de protéine
de la capside d’un virus de TMV, dans le tabac. Mais cette première application est mise
en avant pour démontrer la validité générale de la stratégie. Monsanto ne revendique pas
simplement ce qui est réalisé au moment du dépôt du brevet, mais demande que le brevet
couvre l’utilisation de cette stratégie de résistance aux virus pour toutes les plantes et tous
le virus ! Quand dans les années 1990, un consortium réunissant l’Inra, le Cnrs et LVMH
développe des porte-greffes de vigne résistants au virus du court-noué, Monsanto se signale
à leur attention : Monsanto les prévient que dès lors qu’une commercialisation des vignes
transgéniques serait envisagée, il faudra obtenir une licence car ils travaillent sous la
dépendance du premier brevet. (Joly P.B., 2002) »
La stratégie de résistance virale utilisée pour la production des porte greffe résistants au court-noué n’a donc pas été inventée par l’INRA, mais avait été mise au point et protégée par un
brevet avant le début de son essai. Ce premier brevet s’épuisant en 2005, Monsanto en a
déposé un nouveau en 2003 dont la protection s’étend jusqu’en 2023. En 2010, l’Université
de Cornell a déposé un nouveau brevet concernant une stratégie de protection virale
spécifiquement ciblée contre le court-noué de la vigne. Il est clair que les travaux menés
par l’INRA de Colmar ne serviront pas « le public » ou « la Science », mais avant tout ceux
qui exploiteront ces brevets et/ou un éventuel nouveau brevet déposé par l’INRA lui-même.
Le court noué est une « maladie commerciale » aggravée par la politique agricole
Contrairement à ce qu’affirme l’INRA (communiqué du 27 mai 2010), le virus du court noué
n’est pas une maladie qui « provoque la mort des vignes et rend les terres impropres à la viticulture ». Le court noué est sans incidence sur les vignes françaises plantées sans porte-greffe (actuels greffons). Ses dommages ne se manifestent que dans les vignes greffées sur
porte-greffe américain suite à l’épidémie de phylloxéra depuis bientôt un siècle. Ces vignes
ne sont pas mortes et les terres où il s’est manifesté ne sont pas devenues impropres à la
viticulture. Son incidence n’est économiquement insupportable que dans les vignes à haut
rendement qu’il pénalise trop. Dans les vignobles de qualité conduits avec des méthodes
naturelles, notamment en biodynamie, il ne menace pas la survie de la parcelle et est au
contraire un régulateur de rendement qui permet les années trop productives de conserver une
bonne qualité du vin. Dans les vignobles de production de masse, les vignerons ont depuis
longtemps appris à vivre avec en pratiquant des rotations de culture suffisamment longues (8
à 10 ans) entre deux plantations afin que les nématodes qui le propagent disparaissent tous,
avant de replanter avec des plants sains. Seuls ceux qui veulent replanter vigne sur vigne
sans aucune période de repos du sol n’ont pas aujourd’hui de solution sanitaire satisfaisante
face au court noué. A l’heure où la viticulture européenne se trouve confrontée à une crise
permanente de surproduction, on peut s’interroger sur la pertinence de la Politique Agricole Commune qui dépense chaque années des milliards d’€ pour diminuer le potentiel de
production. Elle élimine ainsi de nombreux vignerons qui vont directement ou indirectement
grossir le rang des chômeurs, alors qu’une aide au repos du sol entre deux plantations aurait
la même incidence sur les surfaces en production, tout en aidant les vignerons à faire face
aux maladie de la monoculture comme le court noué et en maintenant un nombre de paysans
bien plus nombreux. La « solution magique » de la vigne OGM résistance au court-noué n’est
qu’un expédient destiné à encourager des pratiques viticole anti-agronomique, anti-sociales et
anti-économique.
Contrairement à ce qu’affirme l’INRA, il existe de nombreuses alternatives à la solution
OGM
Il y a longtemps que les vignerons ont appris à vivre avec le court noué grâce à une multitude
de pratiques agronomiques de respect des sols et d’assainissement des plants de vigne,
chacune adaptée à chaque terroir et à chaque type de conduite du vignoble. En 2009, l’INRA
de Colmar a découvert l’une d’entre elles et communique depuis sur ses importants efforts de
recherche sur les alternatives aux OGM, alors qu’il n’a installé qu’une petite parcelle d’essai
chez un vigneron bio. Il s’agit de l’implantation de plantes nématicides, certes intéressante
mais dont l’efficacité nécessite la complémentarité d’autres pratiques comme le repos des
sols, la conduite à rendement modéré favorisant la qualité des vins, ce que les vignerons
savent depuis longtemps… En effet, ces plantes n’agissent que sur la premières couches
superficielles du sol alors que le nématode vecteur du court-noué peut se réfugier jusqu’à
plus d’un mètre de profondeur. Contrairement aux recherches officielles d’un pays comme la
Suisse, jamais l’INRA n’a daigné s’intéresser à la globalité des pratiques de chaque vigneron
qui seule permet de vivre avec la maladie, pratiques toutes gratuitement disponibles pour tous.
Il ne s’intéresse qu’à quelques recettes brevetables et toutes totalement insuffisantes dans la
plupart des situations.
Le plus surprenant reste l’absence totale de communication de l’INRA sur la mise au point
par pollinisation dirigée et non avec des OGM d’un porte greffe résistant au court-noué
par un chercheur de l’INRA de Montpellier, Alain Bouquet, porte-greffe qui disposera très
prochainement d’une autorisation de commercialisation démontrant l’inutilité totale de la
solution OGM.
Les citoyens et professionnels participant à « l’expérience pilote de co-construction de
ce programme de recherche » qui a précédé cet essai, puis du Comité de Liaison et de
Surveillance, n’ont jamais été informés des réelles questions scientifiques posées. On les a laissés (volontairement ?) ignorants des résultats scientifiques déjà connus sur
le passage du porte greffe au greffon, sur l’instabilité des transgènes, sur les rôle des
insectes piqueurs suceurs dans la transmission des maladies de la vigne, sur les enjeux
commerciaux découlant de la Politique Agricole ou des brevets déjà existant sur ces
manipulations génétiques et sur l’existence de réelles alternatives. L’entêtement de
l’INRA et du gouvernement à poursuivre cet essai, n’ont pour but encore une fois que de
manipuler l’opinion publique afin de forcer l’acceptation des OGM par des vignerons,
des citoyens et des consommateurs qui n’en veulent pas.
Guy Kastler, le 23 août 2010
Annexes 1 : extrait du rapport du Comité scientifique du HCB
3.3 Matériel faisant l’bjet de dissémination
Le matériel proposéau champ correspond aux porte-greffes transgéniques G68, G77, G206, G219
et G240 sur lesquels sont greffés des scions, ou greffons, provenant de la variété non transgénique
Pinot Meunier de vigne cultivée (Vitis vinifera L). Les greffons ne contiennent donc pas de transgènes, mais il serait vraisemblable d’en retrouver certains des produits de transg鈩èns (mRNA, siRNA,
protéines) par circulation dans le phlo ?e1 à partir du porte-greffe où ils sont initialement produits
(Mlotshwa et al., 2008 ; Palauqui et al., 1997). Les analyses réalisées par le pétitionnaire par ELISA et
RT-PCR n’ont pas mis en évidence d但RNm ou de protéines dans les feuilles ou les inflorescences
de scions, analysées après leur arrachage.
Concernant la détection des protéines, le CS indique que les analyses ELISA effectuées ne sont
pas les plus sensibles. En effet, si un tel transfert avait lieu, il s’effectuerait par le phlo鑪e, qui représente une portion infime (de l弛rdre de 2 à 3 %) des extraits qui ont été analysés par le péitionnaire.
Le seuil de détection de protéines dans le phlo鑪e par la méthode utilisée n’est pas préisé mais
il semble inadapté au CS. Des méthodes permettant de pallier l’effet de dilution des protéines
seraient plus appropriées. Le péitionnaire projette judicieusement de faire une analyse par immuno-
localisation
.1 Tissu conducteur dans lequel circule la sève 駘abor馥, transportant entre autres des acides aminés et des sucres, et également des peptides et des acides nucléiques.