Le monde dans son ensemble est, de façon morbide, fasciné par l’émergence des conflits violents. Que nous soyons hommes politiques ou journalistes, militants pacifistes ou humanitaires, intellectuels ou profanes nous avons tous la même tendance à séparer les problèmes de paix et de conflit de ceux de justice et d’injustice. Les théories sur les causes des conflits actuels prolifèrent grâce à certains érudits et de soi-disant experts ainsi qu’aux médias qui les divulguent. Nous croyons à tort que nous « connaissons » sans l’ombre d’un doute les causes de ces conflits sauvages, leur concentration importante dans les pays les plus démunis et les plus pauvres et leur rare apparition dans les pays industrialisés occidentaux.
Nous sommes persuadés que nous « comprenons » les raisons de la violence actuelle du terrorisme, style Al-Qaeda. Certains experts affirment avec certitude que nous vivons une période de conflits d’identité, que nous assistons au choc des civilisations, des cultures, des religions et des classes. Ils croient qu’il s’agit de l’affrontement entre des pauvres pervertis et révoltés et des riches innocents et pacifiques, entre des musulmans fondamentalistes et des chrétiens dévoués, entre le Sud misogyne et antidémocratique et le Nord égalitariste et démocratique. Je pose la question : est-ce vraiment la réalité ? Qu’est-ce qui cause réellement les conflits et sur quelles bases bâtir réellement la paix ?
Les causes du terrorisme
Au cours de ces dix dernières années, je me suis attaquée aux problèmes de la paix et de la justice, surtout en Afrique mais aussi dans d’autres pays en développement. Au cours des douze mois qui ont séparé le Forum social mondial de Porto Alegre au Brésil en 2003 et celui de Mumbai (Bombay) en Inde en janvier 2004, j’ai eu le modeste privilège de me rendre dans divers pays plus ou moins engagés dans la guerre et la reconstruction de la paix. Et j’ai pu ainsi entrevoir la réalité que cachent les théories communément considérées par les experts comme causes des guerres et du terrorisme.
En février 2003, j’étais au Sri Lanka qui se débattait alors pour sortir de décennies de conflit et qui semble proche d’y sombrer de nouveau aujourd’hui. « Conflit ethnique ! » entre la minorité tamoule et la majorité sinhala, s’empressent de proclamer les experts. « Conflit religieux ! » entre une majorité bouddhiste et une minorité hindoue et musulmane, affirment d’autres. Mais rarement sont prises en compte les décennies de marginalisation politique et opportuniste des minorités par la majorité, pas plus que l’érosion de la nature multiculturelle et foncièrement tolérante de cette « Dharma Dweepa » ou Ile aux multiples croyances.
En mars 2002, je me trouvais en Inde. « Guerre nucléaire ! », s’écriaient les experts. « Des armes de destruction massive dans des mains irresponsables ! ». L’attention des médias et de la politique internationale se focalise exclusivement sur la folie mutuelle que représentent les essais nucléaires menés par les deux voisins belligérants, l’Inde et le Pakistan. Mais on ferme les yeux sur la guerre d’usure quotidienne qui est menée de façon bien plus insidieuse dans ce pays considéré toujours naïvement comme la plus grande démocratie du monde. Ils ignorent les fausses divisions, fomentées par des politiciens fanatiques, entre hindous et musulmans, entre ceux qui possèdent et ceux qui n’ont rien, entre les prédateurs et leurs proies.
Mumbai, la ville où j’ai passé les années de mon enfance, dans l’entente harmonieuse des différentes communautés, est devenue depuis 1990 la scène d’une haine réciproque, voulue et politiquement orchestrée. Gujarat, l’Etat qui a donné naissance à Mahatma Gandhi est devenu il y a deux ans « l’abattoir » d’un génocide programmé. Si ces symptômes, révélateurs de conflits violents, et l’incitation délibérée de politiciens fanatiques et intéressés ne sont pas pris en compte très rapidement, ce pays qui a donné naissance à Bouddha et à Mahatma Gandhi et au concept même de l’Ahimsa (non-violence active) pourrait sombrer dans un bain de sang plus horrible qu’en 1947 qui vit la violente partition du pays en deux nations jumelles, l’Inde et le Pakistan.
Inégalités et marginalisations
D’avril à août 2003, j’ai passé beaucoup de temps en Afghanistan, un pays ravagé par plus de vingt ans de guerre et qui fut la première victime de la nouvelle « guerre contre le terrorisme ». « Encore un conflit ethnique ! », se hâtaient de confirmer les experts alors que la population est à 95% musulmane. On oublie pourtant les inégalités et la marginalisation qui ont provoqué la première lutte des communistes contre une monarchie despotique et corrompue. On ferme les yeux sur les dommages causés à des Afghans innocents lors de la guerre froide entre les USA et l’URSS, lesquels inondèrent le pays d’armes meurtrières. On ne tient pas compte des rivalités internes créées entre les différentes tribus et les partis dans leurs luttes pour obtenir le soutien financier et militaire des USA et du Pakistan ; du soutien apporté au départ par les deux pays aux Talibans et aujourd’hui aux seigneurs de la guerre qui y font la loi.
En août et septembre 2003, j’étais au Guatemala, qui sortait en 1996 de plus de trente années de guerre civile. « Guerre idéologique ! Communistes ! », déclaraient les experts. Dans cette nation à prédominance chrétienne, témoin d’une montée d’un christianisme fondamentaliste et évangélique d’une part, et d’une redécouverte des rites mayas d’autre part, il ne s’agissait pas d’un conflit entre religions ou ethnies différentes ni même tout simplement de l’idéologie communiste. Il s’agissait d’inégalité et d’injustice. Tandis que la population indigène maya opprimée ainsi que d’autres populations souffrant de l’inégalité résistaient à un gouvernement autocratique oppressif, les Etats-Unis, voisins hégémoniques, formaient et entretenaient les dictatures militaires successives et attisaient la guerre répressive dans le but de protéger leurs intérêts économiques. Sept ans après, certaines élites politiques et militaires du Guatemala violent à nouveau, en toute impunité, les accords de paix qui menacent leurs privilèges.
En décembre 2003, j’assurais en Ouganda une formation de professeurs d’université de l’une des parties du monde les plus conflictuelles : les Grands Lacs et la Corne de l’Afrique. Les professeurs représentaient des pays qui rassemblent tous les stéréotypes que nous véhiculons en Occident au sujet des conflits africains. Il y avait là le Soudan, victime du conflit le plus long d’Afrique et qui, actuellement, recherche avec incertitude la paix. « Conflit religieux ! » entre les musulmans du Nord et les chrétiens et animistes du Sud, se sont exclamés les experts. Mais rarement sont mentionnés l’exploitation économique et les conflits concernant les ressources, pas plus que les modèles historiques qui ont conduit à la marginalisation et à l’oppression et qui sont les vraies causes de la guerre.
Le Rwanda et le Burundi étaient aussi représentés. Ce sont des pays qui ont connu des génocides ethniques et qui sortent tout droit de structures inégalitaires et oppressives héritées des colonisateurs belges. Il y avait là aussi des représentants de la République Démocratique du Congo (RDC), pays où la guerre est entretenue par la cupidité des nations qui veulent s’accaparer les richesses minières. Sans oublier l’Ouganda qui a la faveur des aides financières de la communauté internationale et qui a été néanmoins le théâtre de plusieurs conflits violents.
La rencontre des civilisations
Samuel Huntington, écrivain américain, avait prédit un « conflit des civilisations » après la Guerre froide. Aussi a-t-on considéré les événements du 11 septembre 2001 comme la justification de sa thèse : un monde divisé entre civilisations et cultures considérées comme incompatibles. Historiquement, c’est le « brassage des civilisations », cette merveilleuse rencontre entre cultures et peuples, qui fit faire un grand bond en avant - au niveau intellectuel, artistique, scientifique et politique - à l’évolution et aux innovations de l’humanité. Dans le passé, ce fut la « rencontre » des civilisations qui fut célébrée. On n’y voyait pas un « choc » qui aurait pu pâtir à une culture mais un enrichissement mutuel et une célébration joyeuse pour les deux parties.
Face à la théorie d’Huntington, il faut se poser cette question : « Une authentique « civilisation », qui mérite vraiment ce nom, pourrait-elle encourager un conflit avec une autre ? Essaierait-elle de dominer une autre civilisation, tacitement ou ouvertement, ou de proclamer de quelque manière que ce soit sa supériorité politique, morale ou économique ? ». Il faut s’interroger quand on découvre par exemple la peur ou l’agressivité que certains politiciens européens ethnocentriques insufflent à leur public en inventant un Armageddon de l’islam fondamentaliste ou décrivent des vagues déferlantes de réfugiés et d’immigrants - qui ne sont autres que des gens cherchant à échapper à la guerre et à la pauvreté causées par l’économie libérale mondiale. Il faut d’urgence se poser cette question face à certaines puissances qui cherchent à enfermer le monde dans la seule vision d’une démocratie de marché.
Depuis 1990 et la fin de la Guerre froide, nous nous sommes contentés de ces théories faciles selon lesquelles les identités, les ethnies, les religions et les civilisations sèment la discorde. Nous avons même accepté la séparation effective de la planète que nous habitons, que nous aimons, en deux parties : le « Nord » pacifique, prospère, où vivent des citoyens honnêtes, travailleurs, démocrates et le « Sud » guerrier et appauvri où vivent des sujets corrompus, paresseux, musulmans, animistes, païens, et quelquefois chrétiens, tous antidémocrates. Cette division sert des buts politiques et économiques puissants. Cette division du monde nous permet de considérer les deux parties comme distinctes et fermées l’une à l’autre. La première n’ayant aucun impact, ni historique ni actuel sur la politique et l’économie de l’autre.
Les téléspectateurs du Nord sont portés à croire que le Sud est responsable de ses problèmes. La thèse populaire de l’universitaire américain Francis Fukuyama qui dit que la fin de la Guerre froide marque la « Fin de l’Histoire » peut justifier le rejet de toute responsabilité du Nord face aux guerres et aux privations actuelles du Sud. Malgré leur proximité dans le temps et leurs séquelles toujours présentes, on balaie d’un revers de manche les ravages de siècles d’esclavage, de colonisation, de guerres de décolonisation et de la brutale Guerre froide qui a sévi particulièrement dans le Sud.
L’inégalité entre les groupes
A présent, venons-en au cœur du problème. Qu’y a-t-il donc réellement derrière ces théories populaires sur les conflits ? Comme nous l’avons déjà vu, la justice ou plutôt l’injustice constitue l’un des facteurs sérieux qu’on a tendance à passer sous silence.
Une des théories populaires proche de cette prise de conscience affirme que pauvreté et analphabétisme sont causes de conflit. Dans les pays riches aussi, les ghettos pauvres, où vivent des minorités et des migrants, sont considérés comme des antres du crime et de la violence que la police elle-même évite. D’ailleurs pauvreté et analphabétisme ne sont pas seulement considérés comme causes de conflit ou de génocide dans des pays lointains tels que le Rwanda ou l’Afghanistan mais comme source de terrorisme également chez nous. Cette thèse sur la pauvreté omet pourtant le point crucial et est à la fois erronée et dangereuse.
Des études économiques systématiques montrent que ce n’est pas la pauvreté en soi mais l’inégalité entre groupes qui constitue un facteur courant de conflit. Quand tel groupe de la société est délibérément marginalisé et exclu d’une bonne part des ressources économiques, politiques et culturelles, il se crée des mécontentements qu’on peut mobiliser - ou manipuler - pour provoquer le conflit. Cette mobilisation peut se faire à partir de groupes d’identité fondés sur la race, la religion, la classe, l’idéologie ou n’importe quel autre élément. Dans la plupart des cas, le conflit n’éclate que si le groupe marginalisé sent qu’il a épuisé toutes les possibilités légales du système politique en place pour aboutir à une amélioration de sa situation.
Les anciens guérilleros au Salvador et au Guatemala, qui combattaient l’oppression, affirment qu’ils auraient choisi une tout autre alternative à la guerre s’il y en avait eu une. De toute façon, ce qu’on occulte souvent c’est que ce ne sont pas les opprimés qui le plus souvent provoquent les conflits mais les élites économiques et politiques qui résistent violemment à tout changement du statu quo et à toute redistribution juste des biens et du pouvoir. L’apartheid en Afrique du Sud d’une part, et la politique ethnocentrique de Le Pen (France) et de Haider (Autriche) basée sur la haine à l’encontre des immigrés d’autre part, en sont des exemples flagrants.
S’attaquer d’abord aux injustices
Nous nous attaquons vraiment au côté sensationnel des injustices commises pendant les guerres : génocide, crimes de guerre, viol des femmes. Ces injustices sont une conséquence du conflit et doivent être combattues. Mais il nous faut aussi nous attaquer d’abord aux injustices qui sont à l’origine du conflit et l’ont précédé : les injustices structurelles, systémiques, profondes entre groupes dans la société. Il nous faut apprendre à identifier les symptômes révélateurs de l’injustice - les signes d’alarme qui annoncent la violence causée par de profonds griefs, l’impossibilité de trouver une aide juridique, l’impunité des auteurs - qui, combattus à temps, pourraient empêcher les violences excessives.
Le facteur clé dans la plupart des conflits est une conjonction de mécontentements et de besoins. Si on ne prend pas en compte les mécontentements sociaux basés sur les inégalités et les injustices liées au système et s’il y a des politiciens et des individus égoïstes qui saisissent l’occasion de manipuler les sentiments de mécontentement dans leur propre intérêt, la violence peut dégénérer. Ces politiciens ou individus se servent de deux mécanismes simples pour fomenter la violence et le conflit, que ce soit la violence d’un génocide comme au Rwanda ou en Inde ou plus simplement celle de l’ethnie prise comme bouc émissaire comme c’est le cas en France, en Autriche, au Danemark ou ailleurs.
Ces deux mécanismes simples s’appellent « peur » et « cupidité ». En premier lieu, l’appel à la peur soigneusement orchestré. Vous faites partie de la minorité, on vous dit : « Si vous ne vous battez pas comme groupe opprimé pour obtenir vos droits, vous serez exterminés ». Vous faites partie de la majorité, on vous dit : « Si vous ne vous battez pas pour maintenir le statu quo et vos privilèges, vous serez au chômage comme les immigrés, pauvres comme les Noirs ou marginalisés comme les musulmans ».
Puis, on fait appel à l’intérêt personnel ou à la cupidité : « Vous-mêmes et vos enfants serez plus riches s’il n’y avait pas ces gens exécrables qui vous volent votre travail, prennent la place de vos enfants à l’école et salissent votre environnement ». Ou plus directement : « Vous pourriez profiter des luttes et des querelles. Vous pourriez vendre davantage d’armes, vous pourriez piller plus de maisons, vous pourriez violer plus de femmes, vous pourriez extorquer plus d’argent à vos clients ». Dans les deux cas, la peur et l’avidité jouent effectivement leur rôle et des citoyens bien pensants se laissent prendre, acceptent ou tolèrent conflit et violence croyant que c’est dans leur intérêt et celui de la nation.
Si dans nos structures et nos systèmes il n’y avait pas d’injustices, si leurs symptômes et leurs causes étaient combattus dès le début, nous ne créerions pas ces situations de grief qu’on peut manipuler jusqu’à provoquer ces terribles conflits. Et s’il n’y avait pas ces politiciens égoïstes et ces fauteurs de guerre qui ne cherchent que leur profit personnel en manipulant ces situations on n’en arriverait pas à ces conflits violents. En Inde, nous avons assisté à d’innombrables conflits collectifs depuis 1947. Seules leurs conséquences ont été combattues nommément à travers la création de commissions d’enquête ; mais on a rarement donné suite à leurs rapports et les coupables n’ont guère été inquiétés.
Cependant, on n’a jamais remédié aux causes plus profondes qui prennent racine dans les structures sociales d’injustice. Et aujourd’hui, nous vivons une situation proche d’un génocide dans un pays connu pour sa non-violence. Vers où allons-nous en Inde si nous tolérons et fermons les yeux sur une situation proche de celle de l’apartheid et si de plus nous proclamons que la religion hindoue exige cette violence fanatique ? Que pouvons-nous espérer sinon la division et la violence quand une poignée d’hommes politiques manipulateurs et leurs semblables contraignent les religions et la spiritualité elle-même à servir leurs objectifs ?
L’humanité partagée
Revenons en Ouganda où nous parlions de paix et de justice dans un contexte de guerre et d’injustice. Le même concept ne cessait de nous hanter. C’est le concept de l’Afrique du Sud, l’Ubuntu, celui de notre commune humanité. C’est sur ce concept qu’a travaillé la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud, sous la direction de son coprésident, l’évêque Desmond Tutu. Ubuntu veut dire, tout simplement humanité commune ou humanité partagée : « J’existe parce que tu existes. Sans toi, je n’existe pas ». Mais en approfondissant nos recherches, nous avons compris que ce concept n’était pas uniquement sud-africain mais qu’il existait dans chaque pays africain, dans chaque culture, dans chaque tribu du continent. Alors que le monde considère l’Afrique comme un continent submergé par les conflits, chaque petite tribu, chaque culture met en pratique la notion d’humanité partagée et la conserve comme un trésor sacré.
Comme je revenais d’Ouganda en Europe et que je repartais pour le Forum social mondial à Mumbai, je fus frappée à plusieurs reprises par le fait que l’Ubuntu, ou l’humanité partagée, n’était pas seulement un concept sud-africain mais un concept universel. En effet, c’est le concept le plus universel, le plus intemporel que vénère chaque tradition religieuse et spirituelle, chaque culture et chaque civilisation. A travers les âges. Chaque prophète, chaque visionnaire nous a transmis une seule vérité : nous sommes un, nous sommes tous en lien les uns avec les autres, nous avons tous part à une même conscience collective. Quelle que soit la langue, quel que soit l’écrit, quelle que soit la voix qui le dit, chaque prophète et visionnaire nous a transmis un seul message : au-delà des dualités, des discordes de nos vies quotidiennes, il y a une unité infinie. Et ce qui nous lie tous ensemble, c’est l’amour universel.
Cependant, et c’est tragique, ironique, paradoxal, chaque religion a pris ce message fondateur d’unité et l’a retourné de force en message de division. Chaque religion dit à ses adeptes : « C’est vous et nul autre qui êtes les élus. Vous êtes supérieurs aux autres. Notre vérité est plus vraie que la leur ! ». Les religions ont prêché et même entretenu la peur et la haine de l’autre : « Si tu ne peux convertir, alors détruis et tue ». Et de façon tragique, à travers les âges, nos hommes politiques, notre société, notre économie ont accentué cette dualité et cette discorde en utilisant les mêmes mécanismes : la peur et la cupidité.
Chaque spiritualité, chaque religion insiste sur la nécessité absolue d’être humble, de dépasser ou de faire disparaître son ego afin qu’il y ait égalité et humanité commune ou unité. Et pourtant, tous nos systèmes religieux, économiques et politiques reposent fondamentalement sur le développement de l’ego en faisant appel sans cesse à la peur et à la convoitise. C’est pourquoi nos identités et nos religions sont devenues sources de conflit et de division au lieu d’être sources d’unité et d’humanité partagée comme cela devrait être.
Est-ce inévitable ? Je crois que, malheureusement, conflit et violence seront notre lot aussi longtemps que nous accepterons de nourrir notre ego en écoutant le message de la peur et de la convoitise. Que ce soit le conflit violent du Rwanda ou du Gujarat ; que ce soit le terrorisme de la Palestine ou celui du 11 septembre ; que ce soit la haine ethnocentrique style Le Pen, qu’importe, tous provoquent la peur et l’avidité qui attisent le souci exclusif du moi.
Mais ce n’est pas inéluctable. Je pense vraiment que chacun peut retrouver la source de notre commune humanité, de cette unité qui transcende les dualités et les divisions de notre vie quotidienne. En restant simplement ouvert et attentif à notre propre voix intérieure plutôt qu’aux voix des sociétés et des politiques corrompues, nous pouvons résister aux appels de notre ego et agir en notre âme et conscience.
Pour finir, méditons ces mots de Hafiz, poète perse soufi du 14e siècle :
« J’ai tant appris de mon Dieu que je ne puis plus dire que je suis chrétien, hindou, musulman, bouddhiste ou juif. La vérité s’est tellement imposée à moi que je ne puis plus dire que je suis un homme, une femme, un ange ou même un pur esprit. L’amour m’a tellement habité qu’il m’a consumé et libéré de tout concept, de toute image jamais conçus dans mon esprit ».
Suivons Hafiz en libérant notre esprit des notions préconçues de division et de différence qui nous viennent du passé. Libérons notre esprit et ouvrons notre cœur à la seule réalité aussi éternelle que réelle : nous partageons tous une même humanité, une conscience collective.