REPONSE A P. PIERRE-CHARLES
Quand le GRS se trompe d’adversaire et de moment
Dans une tribune parue dans France-Antilles du 3 mai 2012, à la veille du 2e tour de l’élection présidentielle française opposant le socialiste François Hollande et le candidat de la droite UMP Nicolas Sarkozy, Philippe Pierre-Charles, dirigeant du GRS, s’en prend à Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche, et au PCF accusés de ne pas prendre en compte la question coloniale des DOM-COM. Accessoirement, il égratigne le PCM pour s’être « embarqué dans le vote salvateur pour le FDG »
Il reproche plus précisément à Jean-Luc Mélenchon ce qu’il appelle son « jacobinisme ». Et il remonte jusqu’aux années 1950 pour faire le procès du PCF taxé d’avoir trahi l’anticolonialisme et ne pas avoir soutenu « le droit à l’autodétermination du peuple algérien ». Et de poser la question : « Il fut un temps, pas très lointain, où le PCF soutenait ouvertement la position autonomiste des PCM et PCG. Est-ce toujours le cas ? Faudrait-il alors se laisser aller à la nostalgie sur cette modeste audace d’hier ? ».
S’agissant de Jean-Luc Mélenchon il sera à même de répondre sur sa conception de la République « une et indivisible » que, nous ne l’avons jamais caché, nous ne partageons pas. Nous relevons cependant qu’il considère que notre pays doit se tourner vers les pays d’Amérique latine et la Caraïbe (Alba, Celac) plutôt que vers l’intégration à l’Europe du libre-échange sauvage et de la « concurrence libre et non faussée ». Par ailleurs il dénonce notre situation d’ « économie de comptoir » dépendant en tout des importations de France et d’Europe qui « tue tout net tout objectif de développement endogène ». A lui de s’expliquer comment on peut changer la nature de ces relations de domination économique sans envisager de briser le statut néo-colonial départemental actuel.
Concernant le PCF, l’accusation de ne pas avoir soutenu la lutte de libération du peuple algérien est particulièrement mensongère. S’il y a un parti en France qui a payé cher son soutien tout seul en tant que parti à la lutte du peuple algérien, c’est bien le Parti Communiste Français. Qu’on se rappelle les 8 morts communistes du drame du métro Charonne, les saisies de « L’Humanité, les nombreuses manifestations pour « la Paix en Algérie », etc.
Nous sommes d’accord avec Philippe Pierre-Charles quand il déclare que « faire l’impasse sur cette question reviendrait à affirmer que la gauche française serait congénitalement incapable de secouer l’héritage colonial de la social-démocratie d’antan. C’est déjà dur de l’imaginer de Hollande, mais à sa gauche ? Nous refusons une telle facilité ». L’assimilationnisme de gauche est toujours un vrai problème.
Aussi, pour la vérité, nous devons citer à nouveau la position du PCF sur la question statutaire des DOM exprimée par son responsable du secteur DOM-COM, Jean-Louis Le Moing, dans l’organe du PCF « CommunisteS n° 467 » (Supplément à l’Humanité du 22 février 2012) : « Le statut politique des DOM, issu de la départementalisation, a certes généré des progrès - chèrement acquis par les luttes des populations -, mais il est aujourd’hui à bout de souffle. Il doit évoluer. La question de la responsabilité est cardinale, pour permettre aux ultra-marins de formuler et mettre en œuvre leurs projets de développement. Aucun modèle ne peut prévaloir en ce domaine ; le débat existe en France, y compris au sein du Front de gauche. Il reste que, en toutes circonstances, les communistes soutiennent tout processus visant à développer la responsabilité et la maîtrise par les populations concernées des questions liées à leur devenir. Pour les communistes, la responsabilité est une question de justice, de respect, mais aussi d’efficacité » (Voir présentation du texte dans Justice n° 10 du 8/03/2012). Cette prise de position nous paraît suffisamment claire en elle-même. Le PCF est une composante importante du Front de gauche de France. Le PCM ne fait pas donc l’impasse sur la question nationale martiniquaise. Mais aujourd’hui il faut admettre que la Martinique est à l’heure de l’urgence sociale avec ses près de 50 000 chômeurs officiels et ses 62 % de jeunes sans emploi notamment.
Notons que, comme d’habitude, l’extrême gauche se trompe d’adversaire et de moment. A la veille du 2e tour de l’élection présidentielle, le score très honorable fait par le candidat du Front de gauche tant en France qu’en Martinique semble déranger davantage que Sarkozy qui promotionne sans retenue les idées racistes et xénophobes de Marine Le Pen pour l’emporter. Or il était prioritaire de battre Sarkozy pour répondre à l’urgence sociale qui assaille le peuple travailleur de notre pays.
Par contre, on peut demander à Philippe Pierre-Charles si, lors de la consultation sur l’autonomie limitée permise par l’article 74 le 10 janvier 2010, la prise de position de son organisation tardive (à moins de 8 jours de la consultation) et alambiquée, après avoir des mois durant renvoyé dos à dos article 73 et article 74, était bien conforme aux principes de l’anticolonialisme dont il se fait aujourd’hui le gardien vigilant. Là aussi il s’est trompé encore d’adversaire et de moment.
Il reste que toute avancée de la Responsabilité martiniquaise au principal dépend de notre combat et surtout de l’unité des forces populaires et patriotiques martiniquaises. Tel est notre cap invariable.
Michel Branchi, Rédacteur en chef de Justice
F-D-F, le 4/05/2012
* http://www.revolutionsocialiste.com/pages/reponse-a-philippe-pierre-charles.html
CURIEUSES JUSTIFICATIONS DE BRANCHI
Laissons tomber sans regret certains procédés polémiques (relevant d’un autre âge) émaillant l’article de Michel Branchi (rédacteur en chef de « Justice », organe du Parti communiste martiniquais) et concentrons nous sur l’essentiel. Le débat suggéré par sa réponse à mon article porte : 1. sur une question historique (le PCF et la lutte de libération nationale algérienne), 2. une question tactique (les cibles et les moments dans le combat politique) et 3. une question plus profonde (l’attitude du mouvement ouvrier face à la question de la décolonisation aujourd’hui).
Sur le premier point, signalons que les nouvelles générations peuvent disposer d’une abondante documentation leur permettant de se faire une opinion éclairée. En défense du PCF, Michel Branchi évoque le prix payé par ce parti dans cette période : les 8 morts dont sept militants communistes du métro Charonne et les saisies de l’Huma. On pourrait ajouter que d’autres communistes ont aussi payé (Maurice Audin, condamné à mort et exécuté par le pouvoir colonial, Fernand Iveton, torturé puis guillotiné sous l’égide du garde des sceaux François Mitterrand, Henri Alleg, torturé par l’armée coloniale, entre autres) ; mais la question n’est pas là. Elle est dans les positions prises par le PCF, du massacre excusé de Sétif à la dénonciation des insurgés de la Toussaint 1954, en passant par le vote par le PCF des pouvoirs spéciaux au gouvernement colonialiste et par son choix du mot d’ordre central de « paix en Algérie » et non de défaite du colonialisme. Il est très curieux que plus de 50 ans après, Michel Branchi avalise une telle politique dénoncée avec virulence par le même Frantz Fanon dont Armand Nicolas (historien et ex-secrétaire général du PCM de 1962 à 1990) vient de faire les louanges dithyrambiques dans « Justice ».
Sur le second point, le GRS serait, selon le PCM, coupable de s’en prendre à Mélenchon, entre les deux tours, sur la question coloniale. Si même après son élimination au 1er tour, il ne faut rien dire à Mélenchon, on peut se demander : quand donc faudra t-il l’amener à s’interroger sur une politique erronée nous concernant au premier chef ? Et accessoirement sur qui faut-il compter pour ce faire ? Mais puisqu’on sent poindre ici de façon feutrée le vieil « argument » suivant lequel les critiques faites à un allié font le jeu de l’ennemi – en l’occurrence Sarkozy – qu’il me soit permis de faire humblement observer que notre opposition à Sarkozy et à sa politique, du premier au dernier jour de son mandat, n’a certainement pas été moins constante, moins active, moins déterminée et moins efficace que celle du PCM ! C’est bien pour être conséquent avec cette opposition que, sans accorder le moindre crédit au programme de Hollande, nous avons malgré tout voté pour lui en le déclarant publiquement.
Michel Branchi nous rappelle que le PCF a exprimé des divergences avec le programme colonial de Mélenchon. Fort bien. Malheureusement, là où il voit dans la déclaration du PCF « une position suffisamment claire en elle-même », c’est le vague et l’imprécision qui manifestement dominent. Citons : « les communistes soutiennent tout processus visant à développer la responsabilité et la maîtrise par les populations concernées des questions liées à leur devenir ». En 1981, Mitterrand n’avait pas dit moins et Hollande, voire même Sarkozy, pourraient signer sans problème aujourd’hui une telle déclaration qui gomme jusqu’au mot Autonomie !
Plus audacieux, Michel Branchi écrit lui-même, parlant de Mélenchon : « A lui de s’expliquer comment on peut changer la nature de ces relations de domination économique sans envisager de briser le statut néocolonial départemental ». Bravo ! Sauf qu’en appelant à voter pour lui dans un premier tour d’élection présidentielle, on envoie le message à tout le monde que cette question n’est pas essentielle, ce qui est curieux quand on prétend donner des leçons d’anticolonialisme conséquent ! Le Parti communiste guadeloupéen semble plus conséquent avec l’anticolonialisme en refusant, à cause de cette « lacune », de voter Mélenchon !
On en arrive ainsi au reproche qui est fait au GRS concernant le fameux débat 73 versus 74. D’abord, s’il est vrai que nous avons défendu nos idées sur le sujet « pendant des mois » (dizaines de milliers de tracts distribués, articles, tribunes et même une brochure éditée, meetings publics), il est faux d’affirmer que nous aurions « renvoyé dos à dos » ces deux options. Il est facile de se reporter à nos analyses, mais répétons-les brièvement.
1. 73 et 74 sont deux articles très voisins de la Constitution française sur lesquels les Martiniquais-e-s n’ont jamais eu leur mot à dire. C’est donc le gouvernement français qui a fixé unilatéralement le cadre et les termes du débat.
2. La seule façon de sortir du piège tendu par le pouvoir colonial, c’était et c’est encore de reprendre la lutte pour l’Assemblée Constituante défendue hier par le parti communiste martiniquais et la Convention du Morne-Rouge (16 au18 Août 1971), abandonnée par les mêmes, aujourd’hui où la question se pose pourtant plus concrètement qu’à l’époque. Faisons remarquer que Mélenchon parle, quant à lui, et avec force, d’une Assemblée Constituante pour la France. Si’y bon pou zwa …
3. Dans le choix piégé du 73 et du 74, on pouvait affirmer que le 74 était moins pire. Nous l’avons dit et nous persistons. Nous ajoutons un principe que Michel Branchi ne semble pas connaître : quand on n’a pas le rapport de force pour faire triompher une position juste, après l’avoir défendue, il est responsable de voter pour le moins pire, sans illusion ni compromission.
L’inconséquence dans l’anticolonialisme ne réside pas là, dans la bataille en deux temps : d’abord pour ce qui est juste, ensuite pour le moindre mal, mais bien dans le renoncement opportuniste aux positions justes pour se soumettre sans combat aux injonctions du pouvoir colonial. Si nous nous sommes retrouvés seuls dans ce combat, c’est bien parce que le PCM, oubliant ses propres principes d’antan s’est passivement aligné sur plus gros que lui !
Michel Branchi conclut en faisant l’éloge de « l’unité des forces populaires et patriotiques ». Toute la question est de savoir si cette unité se construit autour de « l’urgence sociale » dont il rappelle avec raison l’importance, et de l’anticolonialisme réel, c’est-à-dire allant au-delà d’une Constitution française qui n’a même pas la décence de nous reconnaître comme peuple. Urgence sociale et anticolonialisme vrai, cela nous convient. Est-ce le cas du PCM et de ses alliés actuels ?
Fort-de-France le 14 mai 2012
Philippe Pierre-Charles
* http://www.revolutionsocialiste.com/pages/memoire-un-peu-courte-de-michel-branchi.html