Par sa puissance, le typhon Hagibis a provoqué d’énormes dégâts humains et matériels au Japon, et son bilan encore provisoire pose question sur la prévention de tels phénomènes, appelés à se multiplier sous l’effet du changement climatique. La tempête tropicale a traversé les 12 et 13 octobre le centre et le nord-est de l’Archipel. Selon les derniers chiffres communiqués mardi 15 octobre au matin, elle a fait 66 morts, 15 disparus et 212 blessés. De vastes zones sont toujours inondées et des dizaines de milliers de foyers privés d’eau et d’électricité.
Quelque 110 000 pompiers, policiers ou membres des Forces d’autodéfense (l’armée japonaise) s’activent toujours pour rechercher les disparus et secourir les milliers de personnes prisonnières des territoires sous l’eau. Les crues sont principalement liées à la rupture de digues, en 52 endroits, de 37 rivières dans sept départements, selon les données officielles.
Les autorités maintiennent l’appel à la vigilance face aux risques de glissements de terrain. Le gouvernement a lancé aussi les procédures de déclaration de l’état de catastrophe naturelle, a fait savoir le ministre de la gestion des catastrophes, Ryota Takeda. Dans les zones où l’eau s’est retirée, le fastidieux nettoyage a commencé, de même que l’évaluation des dégâts, importants notamment dans les régions du nord-est, à peine remises du séisme et du tsunami de 2011.
Le Japon savait pourtant qu’Hagibis serait un typhon puissant. Le 8 octobre, alors qu’il se trouvait encore au cœur du Pacifique, où il s’est formé, il affichait une pression très basse, à 915 hectopascals, signe de très grande force. Sa trajectoire au-dessus de l’océan, dont les eaux restent chaudes, n’a pas affaibli le cyclone. Quand il a touché les côtes de l’Archipel, le 12 octobre, son intensité et sa surface, élargie par les courants-jets – des vents soufflant à des altitudes élevées – étaient exceptionnelles.
Avant son passage, l’agence japonaise de météorologie (JMA) l’avait présenté comme le plus violent typhon depuis Kanogawa en 1958, qui avait fait 1 200 morts dans le centre du pays et à Tokyo. « Les pluies pourraient dépasser les niveaux de Kanogawa », avait averti la JMA, qui avait placé au niveau 5, le plus élevé, son alerte aux fortes précipitations. Lors d’une rencontre avec des officiels japonais le 11 octobre, le secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale, Petteri Taalas, tenait le même discours, rangeant le cyclone tropical Hagibis « parmi les plus dévastateurs de toutes les catastrophes naturelles ».
Pression très basse
Certaines régions ont enregistré en moins de quarante-huit heures des précipitations équivalentes à 30 % à 40 % de leurs moyennes annuelles. A Hakone, au sud de Tokyo, 1 001 millimètres d’eau sont tombés en deux jours, un record. Très vite après l’arrivée d’Hagibis, les conseils et ordres d’évacuation se sont enchaînés, concernant jusqu’à 6 millions de personnes. La crue de la rivière Chikuma, dans le département de Nagano (centre), a atteint 4,3 mètres de haut.
La violence des pluies a obligé les autorités à procéder à des délestages à sept barrages dans cinq départements, « une procédure extrêmement rare », a expliqué le ministère des territoires et des transports, car elle risque d’aggraver la situation en aval. En 2018, une telle opération menée dans l’urgence sur l’île de Shikoku avait provoqué une crue qui avait fait 9 morts.
Le lourd bilan d’Hagibis s’explique par le fait que le typhon a touché des régions moins habituées que d’autres à de tels phénomènes. Traditionnellement, les typhons passent plus sur le sud-ouest et l’ouest de l’Archipel que sur l’est et le nord-est. Depuis 2011, la région de Kanto, qui inclut Tokyo, et celle de Tohoku (nord-est) ont subi moins de typhons (entre 20 % et 40 % de moins) qu’à Kyushu, la grande île du sud-ouest.
En outre, Hagibis a balayé une zone déjà affectée, le 5 septembre, par le typhon Faxai, puissant lui aussi. Dans certains départements, comme Chiba ou Kanagawa, voisins de Tokyo, 40 000 maisons endommagées par Faxai n’avaient pu être réparées avant Hagibis, en raison notamment de la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la construction.
L’ampleur de la catastrophe et l’importance des pertes humaines interrogent également sur la prévention et la protection des populations, car de tels typhons risquent de devenir de plus en plus nombreux. « La fréquence de ces typhons dévastateurs et leur intensité maximale augmentent à cause du changement climatique », assure Kazuhisa Tsuboki, spécialiste de ces phénomènes de l’université de Nagoya.
Dans le Pacifique, les typhons se forment plus au nord, ainsi que le révèle une étude de 2019 de la Société américaine de météorologie, dont les auteurs constatent une « migration vers le pôle de la latitude de l’intensité maximum [des typhons] dans le nord-ouest du Pacifique », ce qui pourrait « influencer l’exposition aux dangers causés par les typhons ». Les régions jusque-là moins exposées, tel le centre, le nord et le nord-est du Japon, devraient l’être davantage.
Kazuhisa Tsuboki déplore par ailleurs une évaluation insuffisante de la puissance des typhons. La JMA travaille essentiellement sur la base de données recueillies par satellite. « Ce système permet de prévoir assez précisément la trajectoire d’un typhon. Mais il ne donne pas avec précision la vitesse des vents et la pression centrale. » Le professeur Tsuboki prône le recours, comme aux Etats-Unis, aux avions pour effectuer de telles mesures au cœur de la tempête, une initiative « essentielle » pour « mieux se préparer ».
Autres questions posées par le cyclone, celle de la gestion des digues – dans lesquelles les autorités japonaises auraient une confiance exagérée – et celle du stockage des déchets radioactifs. Dix des 2 667 énormes sacs noirs contenant terre et feuillages issus de la décontamination des sols de la province de Fukushima, entreposés près d’un cours d’eau, ont été emportés par la rivière. « Six ont pu être récupérés », a indiqué à l’AFP Keisuke Takagi, un porte-parole du ministère de l’environnement.
Une dernière inconnue réside dans le coût économique d’Hagibis. En septembre 2018, un autre puissant typhon, Jebi, qui avait touché l’ouest de l’Archipel et tué onze personnes, avait causé 11,4 milliards d’euros de dégâts.
Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)