En effet, il convient de noter qu’à travers l’adoption de ce décret, qui est l’aboutissement d’un long processus de réflexions au sein du ministère en charge de l’aménagement du territoire et du développement communautaire, le gouvernement ne vise qu’un seul objectif, presque ouvertement assumé : se donner les moyens légaux d’avoir un droit de regard sur le secteur très florissant des ONG et associations de développement qui sont devenues, ces dernières années, des acteurs importants de la vie sociale et économique du pays ; et c’est bien dans cet esprit que les articles 4 et 5 de ce décret, qui abroge de fait celui de septembre 1992 (décret 92-292/PM/MF/P portant modalités d’application de l’article 20.1), ont explicitement instauré un régime d’autorisation ; alors que dans tous les pays démocratiques, l’exercice de la liberté d’association n’est assujetti à aucune autorisation préalable des pouvoirs publics.
Selon l’article 4 de ce décret, « l’exercice des activités des ONG/AD est soumis à une autorisation ou un agrément préalable du ministre chargé de l’intérieur » ; et l’article 5 précise que, même si la « la demande d’autorisation d’exercice ou d’agrément donne droit à un récépissé provisoire » valable pour trois (3) mois, celui-ci « ne vaut ni agrément ni autorisation d’exercice ». Les dispositions de ces deux articles constituent un recul grave en matière d’exercice de la liberté d’association consacrée par la Constitution de la République du Niger et divers instruments juridiques internationaux régulièrement ratifiés ; car, il importe de souligner que même l’ordonnance N°84-06 du 1er mars 1984 portant régime des associations et ses modifications ultérieures ne prévoient pas une demande d’autorisation d’exercice pour aucune des catégories d’associations prévues.
Aussi, importe-t-il de relever que la particularité de ce décret, adopté par le gouvernement le 24 février dernier, sans aucune forme de consultation des acteurs de la société civile, réside d’abord dans la remise en cause explicite du régime déclaratif prévu par le texte principal dont il tire son fondement ; et cela apparait de façon très nette à travers les intitulés même de son titre 2 (« de la procédure d’autorisation d’exercice d’une ONG/AD nigérienne ») et de son titre 3 (« de la procédure d’agrément d’une ONG/D étrangère »). Certes, ces intitulés sont identiques à ceux du décret 92-292/PM/MF/P du 25 septembre 1992 portant modalités d’application de l’article 20.1 de l’ordonnance N°84-06 du 1er mars 1984 portant régime des associations ; mais, les conditions d’autorisation des ONG/AD nigériennes et d’agrément des ONG étrangères sont devenues plus draconiennes que celles prévues par le décret de 1992.
Dresser des obstacles et abolir les privilèges
Selon l’article 6 du décret du 24 février, toute ONG/AD nigérienne, qui veut être autorisée à exercer, doit fournir, en cinq (5) exemplaires, toute une pile de documents : d’abord, les statuts et règlement intérieur, le plan d’actions, le procès verbal et les listes des participants à l’assemblée constitutive, des membres fondateurs, des membres de l’organe exécutif et du commissariat aux comptes ; ensuite, les documents d’état civil (certificats de nationalité, certificats de résidence) et les casiers judiciaires des membres fondateurs, des membres de l’instance dirigeante, et une déclaration sur l’honneur selon un modèle fourni par le ministère du développement communautaire relative au statut et à la fonction administrative et/ou politique occupée par les membres fondateurs et les membres dirigeants. La panoplie des documents constituant la demande d’autorisation indique clairement quel objectif est poursuivi ; elle augure des tracasseries auxquelles seront confrontées désormais les personnes désireuses de créer une ONG/AD.
A ce propos, il importe de noter que le décret prévoit des procédures et des délais d’examen des dossiers de demande d’autorisation, qui sont susceptibles de favoriser toute sorte d’abus de la part de l’administration. L’article 7 accorde un délai d’un mois au ministère de l’intérieur pour la transmission du dossier au ministère du développement communautaire ; et l’article 8 accorde à ce dernier un délai de deux mois pour la transmission au ministère de l’intérieur de son avis motivé. L’article 8 précise que le ministre chargé de l’intérieur prend une décision dans un délai de six (6) mois à compter de la date de réception du dossier ; mais, ce délai peut s’allonger lorsque, comme le précise l’article 9, le ministre de l’intérieur décide de demander des informations complémentaires dans le cadre de l’instruction du dossier de l’ONG/AD nigérienne. Ce qui signifie clairement que la procédure d’autorisation d’une ONG/AD nigérienne, y compris le délai pour la signature du protocole d’accord qui est de soixante (60) jours, peut banalement trainer pendant au moins une année.
Selon les dispositions des articles 12 et suivants du décret, la procédure d’agrément d’une ONG/D étrangère nécessite aussi la constitution d’un dossier comportant, outre les documents de l’organisation (statuts, règlement intérieur, acte de reconnaissance dans le pays d’origine, liste des membres fondateurs et des membres du conseil d’administration, dernier rapport d’activités et plan d’actions au Niger), les pièces d’état civil (casiers judiciaires, certificats de nationalité) de son représentant accrédité, des membres fondateurs et des membres des instances dirigeantes. Le dossier doit comporter également, comme pour les ONG/AD nigériennes, et une déclaration sur l’honneur relative au statut et à la fonction administrative et/ou politique occupée par le représentant accrédité et les membres fondateurs. Les délais de procédures sont identiques à ceux prévus pour les ONG/AD nigériennes ; ils peuvent aussi atteindre au moins une année en fonction des humeurs des agents de l’administration.
Par ailleurs, il importe de noter que le décret du 24 février est venu abolir certains privilèges importants accordés jadis aux ONG/AD nigériennes et étrangères à travers le décret du 25 septembre 1992. Le premier privilège aboli concerne l’exemption « de tous droits de douane, de tous les impôts et taxes indirectes, y compris la TVA, sur les fournitures, équipement, matériel et dons en nature importés au Niger dans le cadre de l’exécution des projets ou programmes d’assistance ». Le second concerne l’exemption « de tous les droits de douane, de tous impôts et taxes indirectes, y compris la TVA, sur tout le matériel et produits acquis par l’ONG dans le cadre de ses activités ; tandis que le troisième concerne l’exonération « de tout contrat, marché ou acte de toute nature, signés en vue de l’exécution de projets, du payement des droits d’enregistrement de timbre, de la taxe sur le chiffre d’affaires et la TVA ».
Ainsi, il convient de signaler que le seul privilège maintenu par le décret du 24 février concerne le régime d’admission temporaire pour le matériel roulant, le matériel volant et les hors-bords importés par les ONG/D étrangères dans le cadre de l’exécution des projets et programmes ; mais, il faut préciser là aussi que l’article 27 du décret dispose qu’à la fin du projet ou du programme, « ce matériel est cédé à titre gracieux à l’État qui décide de l’affectation dudit matériel », contrairement à la pratique jusqu’ici observée en la matière. L’article 28 du décret prévoit, toutefois, la possibilité pour les ONG/D étrangères de bénéficier de la mise à disposition d’un terrain lorsqu’elles en formulent le besoin ; tandis que l’article 32 prévoit un soutien de l’État pouvant se traduire par des financements directs sur ses ressources internes ou externes, la délivrance des lettres et autres formes de recommandation, d’autorisations de quête et de collecte des ressources au Niger et/ou à l’étranger. Ces privilèges sont naturellement bien maigres au regard de ceux qui ont été officiellement abolis (ils l’étaient déjà dans les faits depuis plusieurs années) ; et ils ne constituent qu’une bien dérisoire contrepartie par rapport aux énormes contraintes prévues par ce fameux décret.
Favoriser des abus d’autorité
A la lecture de ce décret, il est loisible de constater qu’il comporte de nombreuses dispositions qui ouvrent la voie à toute sorte d’abus d’autorité de la part de l’administration étatique vis-à-vis des ONG/AD nigériennes et étrangères. Ces dispositions concernent d’abord les obligations auxquelles elles sont désormais assujetties : signer un protocole d’accord avec l’État, obtenir l’approbation de l’État ou de ses démembrements pour tout projet ou programme avant exécution (article 41), impliquer et partager avec les ministères et institutions nationales en charge des domaines concernés les résultats des recherches et collectes de données (article 42), déposer auprès de l’administration un programme pluriannuel d’activités, signer un protocole de mise en exécution avec le ministère du développement communautaire et avec l’autorité territorialement compétente pour tout projet avant son démarrage, demander et soutenir la mise en place et l’animation d’un comité de pilotage pour tout projet ou programme, déposer un rapport annuel d’activités, publier au journal officiel ses états financiers annuels certifiés par un cabinet d’experts agréés au plus tard le 31 mars de l’année en cours (article 43) et se doter de mécanismes visant à documenter l’identité de leurs donateurs, à conserver les documents y relatifs pendant 10 ans et à respecter la confidentialité des bases de données les concernant (article 44).
Outre ces dispositions relatives aux obligations des ONG/AD, qu’elles soient nigériennes ou étrangères, il faut noter que le décret comporte également toute une série d’autres relatives à leur administration, suivi, évaluation et contrôle ; et ces dispositions sont particulièrement révélatrices de la volonté de l’État du Niger d’instaurer un système de contrôle des ONG, fort intrusif et digne des régimes les plus autoritaires au monde, qui les considèrent comme une menace pour leur existence. L’article 47 du décret dispose que le contrôle exercé sur les ONG/D par le ministère du développement communautaire « porte notamment sur le respect des dispositions réglementaires, le respect de ses propres textes par l’ONG/D, les flux financiers, l’utilisation des biens exonérés, l’utilisation des terrains et des volontaires de développement mis à sa disposition par l’État et des démembrements » ; tandis que l’article 50 dispose que l’évaluation de leurs activités, qui est assurée par le même ministère, porte sur le respect de leurs statuts et règlements intérieurs, le respect du cadre juridique régissant elles et leurs secteurs d’intervention, le respect des dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, la mise en œuvre de leurs plans d’actions et la gestion financière des ressources mobilisées.
Selon l’article 51 du fameux décret, le ministère en charge du développement communautaire peut, dans le cadre du contrôle des activités des ONG/D, entreprendre au besoin des missions d’audit et d’inspection ; et l’article 52 dispose que le ministère de l’intérieur peut, après avis du ministère du développement communautaire, retirer l’autorisation ou l’agrément d’une ONG pour toute une série de raisons : entreprise d’activités non conformes à ses statuts, refus de se conformer à la réglementation en vigueur, absence d’activités pendant deux ans, liens avec une organisation terroriste, financement ouvert ou dissimulé du terrorisme, détournement des fonds au profit d’autres personnes physiques et morales, conversion ou transfert illicite des biens acquis, détenus ou utilisés, dissimulation ou déguisement de la nature, de l’origine ou de l’emplacement des biens acquis, détenus ou utilisés. L’article 56 dispose que « l’ONG/D qui recrute, fait venir ou utilise de la main d’œuvre étrangère en violation des dispositions du Code du travail est sanctionnée conformément aux dispositions dudit Code » ; et l’article 57 édicte l’interdiction pour « des personnes liées par des relations de mariage (conjoints) et/ou de parenté de premier ou deuxième degré d’exercer pendant la même période à la fois, des fonctions, dont l’une dans l’organe exécutif et l’autre dans l’organe de contrôle d’une ONG/D ».
Brider et étouffer un secteur florissant
Au regard de toutes ces dispositions du décret du 24 février, notamment celles relatives aux obligations, à l’administration, au suivi, à l’évaluation et au contrôle des ONG/D, il est évident que l’objectif poursuivi par le gouvernement n’est pas d’améliorer l’environnement de ces organisations aujourd’hui si importantes dans la vie sociale et économique du pays ; et ce, même si certaines de ces dispositions, en particulier celles relatives au respect du Code du travail et aux principes déontologiques et éthiques bannissant les conflits d’intérêts et autres pratiques malsaines (abus des biens sociaux, détournements, fraudes, financement du terrorisme), peuvent sembler justifiées. L’adoption de ce décret, qui intervient dans un contexte national marqué par des restrictions flagrantes des libertés fondamentales, notamment les libertés d’expression et de manifestation, indique clairement que le gouvernement du Niger s’inscrit résolument dans une démarche répressive à l’encontre des organisations de la société civile ; même s’il est vrai que la plupart de celles qu’il veut voir affaiblies, ne sont pas classées dans la catégorie des ONG/AD (l’ordonnance 84-06 du 1er mars 1984 distingue sept catégories d’associations).
Quoi qu’il en soit, il importe de retenir qu’à travers ce décret, dont l’article 4 dispose que « l’exercice des activités des ONG/AD est soumis à une autorisation ou un agrément préalable du ministre chargé de l’intérieur », le gouvernement de la république du Niger persiste dans sa volonté de maintenir le régime d’autorisation préalable en matière d’exercice de la liberté d’association ; alors même que dans tous les pays respectueux des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits civils et politiques, la liberté d’association, tout comme d’ailleurs la liberté de manifestation et la liberté de la presse, est régie par un régime de déclaration préalable. L’adoption de ce décret, qui définit les modalités d’application d’une ordonnance elle-même datant de la période du régime d’exception du général Kountché, peut être considérée aussi comme une preuve éloquente de l’ignorance de la plupart des juristes qui conseillent le gouvernement ; même si on sait très bien qu’elle est d’abord et avant tout une preuve concrète non seulement de sa défiance à l’égard des principes élémentaires régissant les droits et libertés fondamentaux, mais aussi de l’esprit tordu de certains de ses membres qui ne conçoivent pas que le secteur des ONG, qui fait figure à leurs yeux de l’un des plus prospères du pays, ne fasse pas l’objet d’une prise en mains par l’État.
A.T. Moussa Tchangari
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