Saint-Denis (île de la Réunion).– Le cas de figure est peu banal : condamné à de l’inéligibilité à quelques jours du scrutin, un candidat aux élections régionales sollicite les suffrages des citoyens en arguant du caractère suspensif de l’appel interjeté par ses avocats. Didier Robert, président sortant (LR) du conseil régional de l’île de la Réunion, a été condamné ce vendredi 21 mai par le tribunal correctionnel de Saint-Denis à 15 mois de prison avec sursis, assortis d’une peine d’inéligibilité de trois ans.
« Nous ferons appel, dès aujourd’hui : le candidat Didier Robert continuera sa campagne et d’aller à la rencontre des Réunionnais », confirmait son conseil, Me Jean-Jacques Morel, lui-même candidat aux élections de juin prochain sur la liste de son client. Les dés ne sont pas jetés, s’il le faut nous irons jusqu’à la Cour de cassation. » Dans un communiqué publié au matin du vendredi 21 mai sur Facebook, l’intéressé ajoutait : « Je contest[e] ainsi fermement les termes du délibéré en droit et dans les faits. Le principe de la présomption d’innocence s’applique. »
Quelques minutes auparavant, au tribunal, lors de la lecture de la décision, le président du tribunal insistait sur « la volonté de dissimulation, les manquements répétés à la probité et la confusion entre les intérêts sociaux et l’intérêt personnel » du prévenu. Abus de biens sociaux, prise illégale d’intérêts, omission de déclarations de revenus à la Haute Autorité de transparence de la vie publique (HATVP) : la liste des griefs reprochés à Didier Robert est longue. Il s’agit de sa première condamnation. Les débats lors du procès, qui s’est tenu en avril 2021, se sont concentrés autour de l’affaire connue à la Réunion comme celle « des salaires de la “SPL RMR” ».
Entre 2017 et 2018, Didier Robert a perçu, sans l’aval du conseil d’administration et après avoir annoncé publiquement renoncer à ces émoluments, un salaire de 6 800 euros net par mois de la part de la Société publique locale (SPL) Réunion des musées régionaux (RMR). Révélé par la presse, le préjudice a dépassé la centaine de milliers d’euros. Didier Robert a remboursé les sommes perçues indûment. L’organisme public, qui regroupe la gestion des établissements muséaux de l’île, se trouvait à l’époque en grande difficulté économique : la société publique a dû procéder à sept licenciements à la même période.
« Le versement de ces sommes a eu lieu en toute illégalité : le conseil d’administration de cette société était un conseil d’administration croupion, qui n’a même pas été consulté, on peut parfaitement caractériser les infractions reprochées à M. Robert », résumait lors de l’audience de jugement le procureur, Éric Tufféry. Avant de requérir le niveau de sanction qui a finalement été infligé à l’élu, le représentant du ministère public fustigeait « un processus, une organisation, un préjudice, dans la durée ! ».
Maire, député, sénateur, président de région depuis 2010 : l’élu de droite est une figure de la vie politique locale. Depuis son élection à la tête de la collectivité, les dépenses de l’institution mais aussi son train de vie personnel posent question. « La collectivité a des difficultés à contenir l’évolution de ses effectifs permanents, qui progressent de 10,44 % sur la période, ainsi que les subventions de fonctionnement, qui sont de 159 millions d’euros en 2017, contre 135 millions d’euros en 2015 », notait par exemple la chambre régionale des comptes dans un rapport peu amène pour la région Réunion, datant de 2018.
Sur un plan plus personnel, Didier Robert est coutumier des emplois familiaux : son épouse, Corine Robert-Beaulieu, est directrice de la communication de la collectivité depuis son élection. D’abord rattachée au cabinet, où les salaires sont notoirement élevés et les effectifs pléthoriques, comme le soulignait la chambre régionale des comptes dans son rapport de 2018, elle a été par la suite employée directement par la direction générale des services (DGS) de la collectivité. Il s’agissait alors, en novembre 2017, de se mettre en conformité avec la loi sur les emplois familiaux, dite « Pénélope Fillon ».
Selon les informations obtenues par Mediapart et le média local d’investigation Parallèle Sud, Corine Robert-Beaulieu a effectué plus d’une centaine de voyages en avion hors de la Réunion, en deux mandatures de Didier Robert. Seychelles, Paris, Madagascar, New York : ces voyages ont été effectués en tant qu’agent de la collectivité, avec des ordres de mission dont Mediapart a pu consulter la liste exhaustive.
Au rythme d’un voyage par mois en moyenne et d’une publication intensive de photos de représentation, c’est la confusion des genres qui règne. Directrice de la communication, rôle protocolaire d’épouse du président, responsable de la collectivité chargée de la politique culturelle : à quel titre Corine Robert-Beaulieu a-t-elle voyagé ? Elle n’a pas retourné nos appels.
Sollicité au téléphone et par courriel, le service communication de la région Réunion a fourni une longue réponse écrite. En commençant par s’étonner « d’une enquête de presse ciblée sur une seule personne », les services de la collectivité précisent que « le statut de cet agent est fonctionnaire puisqu’elle est titulaire du concours de cadre de la fonction publique depuis de très nombreuses années. Elle occupe un poste permanent de directrice de la Communication, mission rattachée à la Direction Générale des Services. À ce titre, les dispositions de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique ne s’appliquent pas. […] Les chiffres erronés mentionn[és] ne peuvent être évidemment confirmés par la collectivité. Par ailleurs, il n’appartient pas à la collectivité de tracer et comptabiliser les déplacements des agents à titre personnel durant leurs congés. »
Aline Murin-Hoarau, élue sur la liste de Didier Robert en 2015, chargée de la politique culturelle, devenue opposante politique à l’approche des échéances électorales, a un début d’explication, mais il est tout autre que celui fourni par le service communication : « À la région, “il faut voir si Corine valide” revient tout le temps : pour moi, elle n’a pas pris que la direction de la communication, elle a aussi pris les affaires culturelles et j’ai été mise de côté, systématiquement, dès le début de la mandature. Plusieurs de mes déplacements ont été empêchés, voire non financés par la collectivité ! »
Missions de représentations aux quatre coins du monde, entrevues avec des personnages aussi officiels que le pape François, lors de sa visite à Madagascar, le couple Robert s’affiche, sur les réseaux sociaux notamment. Un goût pour la représentation, le clinquant et même le luxe, qui se donne à voir jusque dans la production artistique personnelle de la directrice de communication de la région Réunion. Une exposition de Corine Robert-Beaulieu, l’artiste peintre, est actuellement visible dans un magasin de design de Saint-Denis, capitale de la Réunion. Il s’agit surtout de bouteilles de champagne représentées dans des décors abstraits et colorés. Une partie des revenus générés par cette vente de tableaux doit être reversée à des œuvres de bienfaisance.
Lâché par une partie de ses affidés et de ses proches dans la campagne des régionales qui a déjà débuté, Didier Robert n’en a pas moins recueilli le soutien officiel de la totalité de la droite locale. Alors que la peine d’inéligibilité prononcée vendredi 21 mai est suspendue par l’appel formé par ses avocats, l’homme et l’institution sont toujours visés par une enquête préliminaire du Parquet national financier (PNF) dans l’affaire de l’attribution à Bouygues et Vinci de l’énorme marché de la Nouvelle route du littoral (NRL).
Julien Sartre