Le journal Le Monde s’interrogeait sur les grèves suite au changement de service des conducteurs de train de la SNCF. L’interrogation était légitime : comment est-ce possible qu’en 2006, en France, des salariés se révoltent, allant jusqu’à faire grève, tout cela parce qu’on leur dégraderait leurs conditions de travail ? Un vrai moment d’incompréhension dans le cerveau de ces maîtres à penser du libéralisme dominant. La réponse est pourtant tellement simple : chaque année, la direction locale de la SNCF renégocie le temps de travail ainsi que l’articulation des journées de service des conducteurs de train.
Ces journées ont des heures de prise et de fin de service différentes, ainsi que des temps de travail différents (quatre heures de travail ou onze heures par exemple). Aucune journée ne ressemble à une autre, la seule chose de sûre c’est que, chaque année, la direction essaye de faire travailler un peu plus son personnel. Cependant, manque de chance, dans le rail, et notamment chez les agents de conduite, le fatalisme et les résignations productivistes ont un peu moins d’emprise que dans d’autres secteurs, conduisant souvent à des conflits, comme l’année dernière sur les lignes D et B du RER ou, cette année, sur la ligne C, au dépôt de Caen ou encore à Clermont-Ferrand.
À ces problèmes dus au changement de service d’hiver s’ajoute, cette année, une discussion plus globale, sur le métier d’agent de conduite. Depuis 2003, le marché des trains de fret est libéralisé, c’est-à-dire que les entreprises peuvent se passer de la SNCF et avoir recours à d’autres opérateurs - sept au total (EWSI, Connex, etc.) - pour transporter leurs marchandises. La direction affirme que la SNCF serait trop chère : 30 % de plus en moyenne. Donc, afin d’être plus concurrentielle et de maintenir ses parts de marché, la SNCF devrait baisser ses coûts...
Pour cela, elle met en place, entre autres, trois mesures phare : embauche de conducteurs en CDD, augmentation du temps de conduite, notamment la nuit, à plus de six heures (celui-ci est limité pour les chauffeurs routiers à quatre heures) et, enfin, diminution de huit mois du temps de formation de certains conducteurs de train de marchandises (quatre au lieu de douze). Économie sur nos conditions de travail ainsi que sur la formation des agents, voilà donc les éléments réunis pour qu’une dégradation de la circulation ferroviaire ait lieu à très court terme.
Face à cela, seuls SUD-Rail et FO ont proposé aux agents un mouvement d’ensemble à partir du 10 décembre. Hélas, le manque d’unité syndicale ainsi que la confusion entre les grèves régionales sur les changements de service et la grève nationale sur le métier n’ont pas permis de convaincre la majorité des agents de rentrer dans la lutte.
Le seul point positif de ce conflit national, finalement peu suivi, a été que, face à la peur d’une généralisation du conflit, partout où la grève était localement suivie, la direction a lâché sur les revendications de terrain. Si cela ne suffit pas, face à l’enjeu, faire grève et gagner, ne serait-ce qu’un peu, devient un luxe que l’on ne se privera pas d’apprécier.