Envoyé spécial à Rusutsu (Japon),
La communauté internationale ne pourra plus échapper à ses responsabilités », jure l’Allemande Angela Merkel. « Nous sommes passés à un niveau contraignant, un véritable progrès », vend Nicolas Sarkozy. Quoi de mieux pour assurer le service après-vente de ses décisions que d’envoyer au mastic les chefs d’Etat qui les ont paraphées ?
Un nouveau « nouvel » accord historique sur le climat du G8, signé au Japon ? Disons une petite avancée dans la politique des (tout) petits pas climatiques des géants économiques. Le G8 convient « d’envisager et adopter » un « objectif de réduction d’au moins 50 % d’ici à 2050 » des émissions mondiales de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. L’an passé en Allemagne, le G8 avait crié au deal sans précédent pour seulement « envisager sérieusement » une telle réduction. On peut imaginer l’intense bataille de sherpas pour arriver à ce seuil de précision diplomatique.
« Pathétique ». Sauf que : les communiqués des pays les plus riches, c’est un peu la vitrine des grands et beaux magasins d’Etat de l’ex-URSS. La vitrine joue les aguicheuses, mais les rayons, à l’intérieur, sont vides. Yvo de Boer, patron de l’ONU pour la lutte contre le changement climatique, par nature partisan du compromis, l’a bien compris. S’il note « certains éléments positifs », c’est pour mieux surligner les failles du compromis. L’objectif à moyen terme de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 ? Cela « manque complètement », dit-il à l’AFP. Et s’il « n’est pas clairement dit que les pays riches vont montrer la voie, pourquoi les pays pauvres devraient-ils suivre » ? Exit, aussi, l’année de référence, que le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) fixe pourtant à 1990. « Les pays non européens du G8 ne voulaient pas en entendre parler », note un diplomate. Et pour cause : ils militent, Japon et Etats-Unis en tête, pour que l’objectif de réduction de 50 % se fasse à compter des émissions, beaucoup plus importantes, d’aujourd’hui…
Les ONG, elles, sont vertes. Le G8, « une nouvelle fois, repousse l’action », regrette Greenpeace, cet accord « n’empêchera pas le chaos climatique ». A ce rythme, renchérit Oxfam, « le monde sera cuit en 2050 ». Le WWF juge « pathétique » la persistance du G8 « à esquiver sa responsabilité historique ». Mais le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, balaie la fronde montante des environnementalistes : « L’accord garde le monde sur les rails pour un accord mondial en 2009. » Car à cette date se réunira la conférence sur le climat de l’ONU à Copenhague : il s’agira alors de lancer le protocole de Kyoto deuxième génération, pour la fin 2012.
« Slogan vide ». « Je ne dis pas que c’est parce qu’on fixe un objectif qu’on le tient, mais on n’a aucune chance de le tenir si on ne le fixe pas », s’est défendu, de son côté, Nicolas Sarkozy. Réponse de Marthinus Van Schalkwyk, le ministre de l’Environnement sud-africain : cela tient du « slogan vide ». Car les membres du G8 vont également devoir composer avec huit autres puissances (Afrique du Sud, Chine, Inde, Brésil et Mexique, c’est-à-dire le G5, ainsi que l’Australie, la Corée du Sud, l’Indonésie) lors d’un sommet dans le sommet, aujourd’hui : celui des « principales économie », lancé en septembre 2007 par George Bush pour tenter, justement, de torpiller le processus de l’ONU sur le climat.
La discussion promet d’être chaude. Car le G8 compte bien embarquer les autres puissances dans son deal sur le climat : le G8 et les « principales économies » émettent à elles seules 80 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Une déclaration commune du G5, lu par le président mexicain, Felipe Calderón, a préféré appeler les « pays développés à montrer la voie » en réduisant en 2020 « leurs émissions d’au moins 25 à 40 % par rapport à 1990 et en 2050 de 80 à 95 %». Précisément ce que préconisent les scientifiques du Giec.
CHRISTIAN LOSSON
* Paru dans le quotidien Libération du mercredi 9 juillet 2008.
Climat : « L’avancée tant vendue par le G8 est pathétique »
Mardi, les dirigeants des huit pays les plus industrialisés se sont accordés pour réduire de moitié les émissions mondiales de gaz à effet de serre, responsable du changement climatique. Et ce d’ici 2050. Mais l’avancée vendue comme un « accord historique » par les signataires laisse sceptiques les ONG qui n’y voient que de la poudre aux yeux. Kathrin Gutmann, responsable « climat » de WWF, parle de « pur scandale ».
Vous êtes dans votre rôle en fustigeant le « deal » climat du G8, mais à l’échelle des petits pas du G8, cet engagement a-t-il quelques vertus ?
D’accord, on peut dire que les Etats-Unis entrent dans la danse sur la pointe des pieds, et que chaque microscopique avancée se fait au prix d’une intense bataille. D’accord, on n’attendait rien ou presque de ce G8, après les attentes déçues du G8 de Heiligendamm. Mais confirmer ce qui a été entrevu l’an passé n’a rien d’un résultat remarquable. C’est même une occasion ratée d’aller encore plus de l’avant, vu l’urgence. Et vu la responsabilité du G8, qui pèse 62% des émissions de CO2 sur la planète…
Quelles décisions des pays riches auriez-vous espéré ?
Qu’ils admettent la réalité décrite par les scientifiques du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr). Et qu’ils disent que les émissions doivent connaître un pic avant de décliner d’ici 10 à 15 ans. Et que pour cela, il faut absolument que les nations industrialisées réduisent de 25 à 40% leurs émissions d’ici 2020. Du coup, faute de cet objectif à moyen terme, l’avancée tant vendue par le G8 est plus pathétique qu’autre chose.
Vouloir embarquer dans cet objectif les huit autres pays des « économies majeures », est-ce une erreur ou est-ce bien joué ?
Mettre les grands pays émergents dos au mur n’a rien d’une stratégie avisée. Cela ne fera que les cabrer un peu plus. Admettre des responsabilités communes et différenciées, c’est bien. Montrer l’exemple, c’est autre chose. Le G8 ne s’est même pas engagé financièrement sur un sujet clé pour les pays du Sud : le financement d’un fonds d’adaptation aux changements climatiques.
Le fossé sur le climat entre Européens et non-Européens du G8 est-il irréconciliable ?
Les Européens voulaient jouer la locomotive. A l’arrivée, les wagons derrière ont tant de mal à suivre que les négociations sur le climat, essentielles pour l’avenir de la planète, ont toutes les chances de dérailler. L’écart entre les Européens et les autres n’a jamais semblé aussi profond. La référence à 1990, [comme date de départ, ndlr] à partir de laquelle ils réduiraient leurs émissions de moitié en 2050 a sauté sous la pression américaine, avec l’aval du Japon, et le suivisme du Canada et de la Russie. A l’arrivée, cela veut dire que l’objectif de 50% en 2050 avec le niveau d’émission d’aujourd’hui [bien supérieur à celui de 1990, ndlr] revient à baisser de moins de 40 % les émissions de CO2. Un pur scandale.
* LIBERATION.FR : mercredi 9 juillet 2008. RECUEILLI PAR CHRISTIAN LOSSON.