Délégués : Dominique Giannotti (SNES), Jean Paul Lainé (SNESup) pour la FSU, Marylène Cahouet, Roger Ferrari pour le SNES
Le Forum Social Mondial qui s’est déroulé à Bamako fut un événement à plusieurs titres.
A peu près 25000 participants ont débattu sur les thèmes de l’eau, de l’immigration, de la souveraineté élémentaire, de la dette, etc.
La routine des FSM de Porto Alegre est définitivement rompue comme en témoigne la cérémonie d’ouverture qui après une manifestation de 20000 personnes n’a pas donné la parole aux ténors habituels de l’altermondialisme, mais aux travailleurs du coton, aux ouvrières en lutte de l’entreprise « Yves Rocher » délocalisée au Burkina, aux jeunes : pas de langue de bois, mais une dénonciation des effets objectifs de la privatisation galopante et du néolibéralisme à partir de situations vécues et de problèmes concrets. Les tambours du Burundi, les masques dogons et les acrobates guinéens ont illustré la diversité culturelle africaine.
* C’est la première fois que les différentes composantes de la société civile africaine ont l’opportunité de tisser des liens entre elles d’une part, avec différentes organisations d’autres continents d’autre part.
Par exemple dans l’éducation, l’ONG Aide et Action a travaillé avec l’Internationale de l’Education pour dénoncer les régressions provoquées en matière de services publics par les ajustements structurels. « On assiste au meurtre de l’intelligence » dit un délégué nigérien. Un mouvement citoyen en faveur de l’éducation est en train de se constituer.
Des plateformes contre la dette, en faveur de la souveraineté alimentaire, pour obtenir la justiciabilité et l’exigibilité des Droits économiques, sociaux et culturels, ou encore pour le droit à un travail décent se sont constituées ou consolidées.
Déjà au Bénin ou au Niger existaient des coalitions contre la vie chère.
* Il ne faut pas se masquer les difficultés de tels partenariats. On voit bien dans l’éducation par exemple que certaines ONG parent au plus urgent en mettant par exemple des « éducateurs » non qualifiés devant les enfants dans des écoles communautaires ne dépendant pas de l’Etat. Mais le discours a déjà changé : Aide et Action met maintenant en avant l’exigence de qualité de l’éducation et de la formation des enseignants, et présente les « mesures d’urgence » qu’elle met en place comme une étape vers un services public d’éducation remplissant pleinement ses missions. Il y a même des ONG qui aident à la création de syndicats (en Inde dans le textile par exemple).
D’un point de vue syndical étaient présents la CGT, la CFDT, la FSU, l’UNSA, Solidaires, la CSC Belge, la CGIL Italienne, la Confédération Paysanne, la CMT, l’IE et quelques syndicats africains : Mali, Niger, Sénégal, Togo, Mauritanie, Tunisie, etc. Il est nécessaire de renforcer la présence syndicale mais les rapports avec les ONG, nouveaux, ne sont pas simples. La participation aux forums est une nouvelle manière de militer qui en désarçonne plus d’un : se pose le problème du leadership dans ces coalitions.
On se rend compte que cette logique de coopération entre syndicats et ONG est en construction. « Les forces syndicales du Nord montrent à l’Afrique qu’on a droit à mieux » a même dit Aminata Traore (écrivain Malien).
La dynamique s’est amorcée à Bamako. Reste à la renforcer par une participation nombreuse et active des syndicats valorisant travail, formation et qualification pour arriver à créer une opinion publique consciente et des mobilisations efficaces pour des actions d’envergure.
L’endroit le plus bouillonnant d’idées et d’activités a été le palais de la culture investi par les femmes en lutte : non seulement lieu de débats de haute tenue sur « femmes du Sud et pouvoir », la « souveraineté alimentaire », la « lutte contre l’excision », etc.... mais également lieu de gastronomie africaine, de danses, de chants et de vente de leurs produits. Le ton est grave et passionné dans les débats. Plus de 200 personnes à l’atelier « la marche des femmes », 98% d’africain-e-s. Bilan et perspectives de cette action qui multiplie les débats sur la charte dans les régions, les villages, impulse un réseau avec deux points prioritaires : dénoncer les violences faites aux femmes aggravées par le phénomène de l’immigration et lutter contre la précarisation qui les touche les premières. « La marche est un mouvement irréversible » conclut l’une d’elle.
Sans rien masquer des difficultés voire des régressions constatées dans certains pays elles analysent la prise de conscience grandissante ailleurs. Il reste beaucoup à faire et déjà à mettre en œuvre les initiatives.
Un moment fort dans l’atelier « le patriarcat » : une déléguée de Somalie évoque les luttes contre les chefs de guerre.
Autres ateliers (rapidement)
– Au centre du forum la question des migrants bien sûr avec l’image présente de Mélilla (des immigrants tués à la frontière marocaine). La foule est immense au Centre des Congrès, les témoignages fusent, la colère. Les ateliers ont un titre sans ambiguité : migration et néolibéralisme, place des migrants dans la conception du développement, dans les pays d’origine et dans le pays d’accueil, les coopérations, les élèves dits « sans papiers », les migrants. Le thème est débattu pendant trois jours dans une dizaine d’ateliers et l’actualité française résonne terriblement « Car il est plus difficile de vivre dans le mépris que dans la pauvreté », rappelle une déléguée qui explique que l’Afrique dépossédée n’a pas le choix de décider : elle est sommée d’obéir. « Ils nous ont volé notre indépendance », rappelle un autre.
– Au centre universitaire qui surplombe la ville, ce sont les ouvrières de la Gacilienne (groupe Yves Rocher) qui témoignent de leur lutte opiniâtre pour leur dû, pour améliorer des conditions de travail épouvantables. Elles évoquent aussi des solidarités créées sur place et en France et leur victoire.
– Et bien sûr un atelier pour évoquer l’avenir du forum au mémorial Mobibo Keita. Premiers bilans et perspectives. Les lieux éclatés n’ont pas permis d’avoir une idée d’ensemble mais ils marquent la volonté indéniable de s’immerger dans la ville. Pendant trois heures, une centaine de délégués, échangent, s’interrogent. Comment mieux lier les questions locales et internationales, transversales ? Comment faire pour que le pays organisateur s’approprie mieux le forum ? Comment créer les convergences ? Faut-il garder le principe d’ouverture, de diversité ou privilégier une avant-garde par souci d’efficacité ? Comment créer un « acteur collectif » ? Quelle perspective politique ? La discussion est passionnée... La préoccupation est de ne pas laisser retomber les convergences, les mobilisations en attendant Nairobi.
Le gouvernement Malien a beaucoup aidé à la réussite du FSM d’un point de vue logistique. Des parlementaires ont assisté aux débats. Par exemple, un député a demandé qu’on lui fournisse une expertise des résultats des mesures d’ajustement structurel sur la santé et a appelé à faire des propositions pour une autre gouvernance : comment sortir des pressions des institutions internationales ?
Les médias également ont été très présents.
Un des moments les plus impressionnants reste le concert de Tiken Yah Fakoly tout à fait dans le ton du FSM, entraînant 40.000 jeunes sur un rythme endiablé, symbole d’un forum pas comme les autres.
L’an prochain un seul FSM et ce FSM se tiendra au Kenya à Nairobi : le processus des forums devrait continuer à se développer résolument en Afrique.