À l’issue d’un suspens insoutenable, largement mis en scène par les gouvernements et les médias aux ordres, le sommet de Copenhague, censé être le sommet de la dernière chance pour les équilibres climatiques, aura finalement accouché d’une souris, selon l’expression consacrée. Or cette souris n’est pas verte, mais bien noire, noire comme le pétrole qui devrait tranquillement continuer de couler à flots pendant que les grandes puissances continueront à tergiverser et à défendre les intérêts de leurs industries.
Que ce soit du coté des États-Unis ou de l’Union européenne, l’objectif premier des dirigeants semble n’avoir pas été le sauvetage du climat, mais bien la recherche d’un bouc-émissaire, en l’occurrence la Chine. Que n’a-t-on pas entendu sur les responsabilités du premier émetteur de gaz à effet de serre dans le blocage des négociations ? C’était oublier un peu vite le refus des États-Unis, confirmé à Copenhague, de prendre un minimum d’engagements correspondant aux projections du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec). C’était oublier aussi la tiédeur, pour ne pas dire plus, des négociateurs européens qui se sont retranchés derrière l’immobilisme des uns et des autres, pour ne prendre aucune initiative ambitieuse.
Résultat, une déclaration politique vide de contenu, qui renvoie à plus tard – mais quand ? – les nécessaires décisions. Par contre, du point de vue des États dominants, une chose est claire : on a assez donné la parole aux pays pauvres, qui n’ont aucun poids dans les rapports de forces internationaux. Retour aux vraies valeurs de la démocratie à la sauce capitaliste : le G20, ou d’autres instances encore plus restreintes, doivent à l’avenir désormais régler le sort du climat ; cette petite musique risque de se faire entendre de plus en plus, à l’image de la façon dont on été menées les négociations à Copenhague, en dehors de toute transparence et de l’intégration de tous les États concernés.
Pourtant, si on laisse faire les grandes puissances, c’est à un réchauffement compris entre 3,2 et 4,9°C qu’il faut s’attendre à la fin du siècle. Les seules « décisions » prises à Copenhague touchent à la lutte contre la déforestation – ce qui, une nouvelle fois, renvoie la tâche de lutter contre les dérèglements climatiques aux pays du Sud –, et aux aides accordées à ces mêmes pays pour lutter contre les effets du dérèglement.
Mais si les quelques milliards distribués dans les trois prochaines années peuvent sembler une grosse somme – loin de ce qui est nécessaire en réalité –, on peut avoir beaucoup d’inquiétude sur un plan de financement inscrit dans la durée, tant du point de vue de l’origine de ces fonds (ne s’agira-t-il pas d’un simple transfert des fonds destinés à l’aide au développement ?) que des institutions chargées de leur gestion. Banque mondiale et Fonds monétaire international sont en effet toujours sur la brèche pour administrer cette manne financière.
L’absence d’accord contraignant est-il finalement une si mauvaise nouvelle ? L’issue des négociations montre aujourd’hui, y compris aux commentateurs les moins critiques, l’ampleur des blocages dus aux grandes puissances. Si le débat doit se poursuivre sur la responsabilité des uns et des autres, on doit rappeler que la reconnaissance de la dette écologique implique d’abord de dénoncer les vieilles puissances industrielles, responsables historiques de la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre, et pourvoyeuses d’un modèle de développement destructeur, imposé au reste de la planète.
Vincent Gay
* Paru dans Hebdo TEAN # 36 (24/12/09).
Négociations de Copenhague : l’échec à l’intérieur, l’espoir à l’extérieur
Dimanche 20 décembre 2009
Samedi 12 décembre, 13H, place du parlement à Copenhague, l’immense manifestation a du mal à démarrer. Les manifestant-e-s se pressent les uns contre les autres, et l’on peut déjà percevoir à la fois l’immense diversité réunie ici et la radicalité qui s’exprime de toutes parts. Les représentants des peuples du Sud sont bien là, côte à côte avec les syndicalistes, les mouvements écologistes, les petits paysans, les yesmen, les organisations altermondialistes, celles de solidarité Nord-Sud, de soutien aux migrants, les partis de la gauche radicale… Face à cette multitude en mouvement, joyeuse et bigarrée, l’incapacité des négociateurs, et en premier ceux des grandes puissances économiques, à faire émerger un accord international contraignant laisse planer les plus vives inquiétudes.
Chronique d’un échec annoncé
Les quelques naïfs qui croyaient qu’il pouvait sortir quelque chose de bon de la conférence de Copenhague en ont été pour leurs frais. La révolution Obama n’a pas eu lieu, et l’Union Européenne a largement emboité le pas aux Etats-Unis. En effet, pendant une semaine, l’affrontement s’est focalisé sur deux grandes questions, d’une part le degré de contrainte auquel devraient être soumis les Etats, d’autre part les montants de l’aide à l’adaptation pour les pays les plus pauvres, les premiers menacés par les changements climatiques. Cela laisse dans l’ombre un certain nombre d’autres questions, également en discussion, mais qui n’ont pas fait la Une des médias, à savoir les moyens de parvenir à une réduction massive des émissions de gaz à effet de serre (GES) : plus de marché, plus de finance carbone, plus de droits à polluer ? Ou une planification en vue d’assurer une transition énergétique misant sur la baisse globale de la consommation énergétique dans les pays du Nord et le développement des renouvelables ?
Le conflit s’est focalisé entre les grandes puissances et le G77 (les pays en voie de développement), conduit par la Chine. La stratégie de l’Union Européenne et des Etats-Unis a consisté à considérer la Chine comme faisant partie du bloc des pays les plus pollueurs, de façon à la détacher du pôle des pays pauvres et à lui imposer des objectifs contraignants de réductions de GES, condition préalable à ce que les Etats-Unis s’engagent.
Or si la Chine est effectivement désormais le premier pays émetteur de gaz à effet de serre d’un point de vue global, c’est loin d’être le cas rapporté à son nombre d’habitants, un Etats-Unien émettant environ quatre fois plus de GES qu’un Chinois en moyenne. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait aucun problème avec la Chine et qu’elle doive suivre un développement semblable aux vieilles puissances industrielles, basé sur le charbon et le pétrole, mais l’épouvantail du péril jaune, souvent brandi à mi-mots est bien pratique pour les négociateurs Etat-Uniens. Au demeurant, rien de surprenant l’administration Obama n’ayant jamais annoncé d’objectifs supérieurs à une baisse de 4% des émissions Etats-Uniennes en 2020 par rapport à 1990 ; l’un de ses négociateurs précise : « Je ne m’attends pas a quelque changement que ce soit dans notre engagement de réduction d’émissions de gaz a effet de serre a Copenhague ».
Mais la supercherie la plus flagrante est peut-être venue de l’Union Européenne, malgré son image médiatique de locomotive des négociations. Après avoir fait adopter par le parlement européen, juste avant le sommet de Copenhague, une résolution plaçant le nucléaire au rang des énergies à même de répondre à la crise climatique, l’UE s’est docilement rangée derrière les Etats-Unis au prétexte qu’elle ne peut être seule à s’engager.
Donc pas d’accord contraignant, des objectifs inférieurs aux minima exigés par le GIEC (23% de réductions en 2020) et des financements en faveur du Sud ridiculement bas : un soit-disant plan d’urgence de 2,4 milliards d’euros annuels pendant trois ans, mais surtout aucune perspective de financement à long terme ; bref, une petite goutte de charité au milieu d’un océan de marché carbone. Tout cela n’est en fait guère étonnant et correspond grosso modo aux objectifs fixés pour le paquet climat-énergie de l’UE adopté en décembre 2008.
Quand on compare aux propositions du G77, on mesure à quel point les écarts sont immenses entre les deux groupes de pays, même si on peut soupçonner les dirigeants chinois de faire monter les enchères : 52 % de réduction de GES en 2017, 80 % en 2030 et 100 % en 2050 pour les pays riches, afin de contenir la hausse de température à 1,5°C maximum. La Chine considère de son coté qu’elle peut fixer un plan national de diminution de ses pollutions, mais que rien ne doit lui être imposé pour le moment ; elle s’engage essentiellement sur une réduction de son intensité carbonique (quantité de carbone nécessaire pour produire un point de PIB) de 40 à 45 % d’ici à 2020, par rapport à 2005, ce qui ne peut que constituer une faible déviation de la courbe en hausse de ses émissions de GES au vu de la croissance économique du pays.
Au moment où cet article est écrit (17 décembre), les chefs d’Etat se préparent à intervenir publiquement, peut-être pour mimer la possibilité d’un accord et assurer le monde entier de leur capacité d’initiative. Nicolas Sarkozy, en grand bateleur, n’hésitera pas à afficher sa solidarité climatique avec le Sud. C’est pourtant le même Sarkozy qui en plein sommet de Copenhague propose aux patrons routiers d’être exonérés de taxe carbone et lance un grand investissement qui consacre un milliard d’euros au réacteur nucléaire de 4e génération.
A travers ces quelques éléments lacunaires d’analyse des négociations en cours, il ne faudrait cependant pas croire que le monde se divise entre méchants pays du Nord et gentils pays du Sud, ou du G77. Chacun de ces groupes n’est pas homogène et ne défend pas les mêmes intérêts. La concurrence inter-impérialiste Etats-Unis – Union Européenne se joue également dans le domaine énergétique et sur la façon d’être en position de leadership dans les négociations internationales. De l’autre coté, la Chine cherche plus à protéger ses propres intérêts industriels qu’à défendre les intérêts des peuples du Sud ; sans parler de l’Arabie Saoudite, également membre du G77 qui a beaucoup à perdre dans un accord qui limiterait à terme la consommation mondiale de pétrole.
Par contre, les déclarations des dirigeants Cubain, Vénézuélien et Bolivien font entendre un autre son de cloche. S’appuyant sur les revendications des mouvements sociaux, Evo Morales propose par exemple un référendum mondial, en autres pour, entre autres, « changer le modèle de surconsommation et de gaspillage qu’est le système capitaliste », que « les pays développés réduisent et réabsorbent leurs émissions de Co2 à effet de serre pour que la température ne monte pas de plus d’un degré centigrade », pour « transférer tout ce qui a été dépensé dans les guerres et pour consacrer un budget supérieur à la défense de la Terre face au changement climatique » et mettre en place « un tribunal de justice climatique pour juger ceux qui détruisent la Terre Mère »
Du coté des mouvements sociaux, un moment historique
Face àce constat, la réussite des mobilisations àCopenhague est d’autant plus importante qu’elle marque un véritable tournant, à la fois d’un point de vue politique, radicale et bien souvent anticapitaliste, et par la diversité des acteurs et actrices engagé-e-s. En 1999, Le contre-sommet de l’OMC à Seattle avait enclenché une dynamique semblable, du point de vue de cette diversité (des défenseurs des tortues aux chauffeurs routiers disait-on à l’époque), mais le nombre et la radicalité étaient moins au rendez-vous.
En dix ans, malgré des reflux importants, les mouvements altermondialistes se sont repositionnés, et c’est désormais la question climatique, de par sa globalité et sa dimension systémique, qui est le lieu de convergences des luttes sociales et environnementales. Il ne s’agit pas bien sûr de s’emballer, mais de voir là la naissance d’un mouvement mondial pour la justice climatique qui a des possibilités de s’étendre et de s’ancrer dans la durée, à condition qu’il tienne de front plusieurs objectifs, notamment :
* Le travail d’analyse et de dénonciation des politiques climatiques menées internationalement pas les puissances capitalistes doit se poursuivre et être de plus en plus popularisé, afin de sortir le climat des mains des experts, climatologues ou économistes, pour démocratiser et politiser les questions qui tournent autour de la crise climatique.
* Mais un tel mouvement ne peut simplement être quelque chose qu’on réactive chaque année au moment des négociations internationales puis qui semble dormir pendant un an. Bien au contraire, il doit permettre de dépasser l’isolement des luttes locales (antinucléaires, contre les aéroports et les nouvelles autoroutes, pour des aménagements des territoires alternatifs, contre le tout-bagnole, pour les transports gratuits…), de leur donner une cohérence. Ainsi le mouvement pour la justice climatique ne peut se contenter d’analyser les négociations internationales mais doit s’ancrer au plus près du vécu de tout un chacun.
* Un tel mouvement doit également tenir ensemble « urgence climatique » et « justice sociale », c’est-à-dire se faire la voix des plus pauvres, des plus précaires, des salariés, dont les conditions de vie se dégradent ; cela nécessite donc de saisir la dimension antisociale des politiques actuellement menées et d’être par exemple en capacité de prendre des initiatives unitaires contre la taxe carbone dans le cas français.
* Il doit également renforcer sa capacité à fédérer différents secteurs militants, pas seulement sur le papier, mais par des actes concrets, tant en collaboration avec le mouvement syndical (encore trop faiblement représenté à Copenhague) qu’avec des mouvements de solidarité Nord-Sud, des collectifs de sans papiers, des associations de défense de l’environnement… , afin que la question climatique traverse les débats publics, à grande ou petite échelle.
* Enfin, à plus ou moins court terme, ce mouvement doit être l’occasion de débattre et d’élaborer une « stratégie de transition »1, économique et énergétique, qui se pose en alternative au capitalisme mondialisé. La plate-forme adoptée par le KlimaForum2 (forum alternatif à Copenhague) peut être un début pour lancer largement de tels débats.
Vincent Gay (article à paraître dans la revue du NPA, TEAN)