L’administration Obama a passé la vitesse supérieure en Afghanistan. Alors que l’administration précédente avait pour priorité l’éradication des champs de pavot, l’accent est aujourd’hui mis sur les réseaux de trafiquants liés aux talibans.
Pour mettre en œuvre cette stratégie, le nombre de personnels militaires américains présents en Afghanistan va monter jusqu’à 70 000. Une présence accrue qui concerne également les services de la DEA (Drug enforcement administration, les stups américains).
Le nombre d’agents de la DEA va en effet être multiplié par cinq, selon un rapport cité par le Baltimore Sun. De 13, le nombre d’agents devrait passer à 68 en septembre et à 81 en 2010. Un nombre inconnu d’agents ont également été envoyés au Pakistan, maillon important sur la route de l’opium afghan.
L’Afghanistan produit plus de 90% du pavot à opium (base de l’héroïne) dans le monde. Une province en particulier, le Helmand, où stationne un corps expéditionnaire de 4000 marines, produit la moitié de l’opium afghan et pourrait à elle seule faire figure de leader mondial sur ce marché.
Alors que toutes les factions afghanes sont impliquées dans le trafic d’opium, dont de nombreux officiels et seigneurs de la guerre liés au gouvernement Karzaï, les Etats-Unis et l’Otan s’intéressent plus particulièrment aux trafics alimentant l’insurrection talibane.
On estime que les talibans tirent chaque année des centaines de millions de dollars de la taxation des cultures de pavot, de l’escorte des caravanes de drogues et du trafic international.
Par le passé, ces derniers ont profité de deux manières différentes des campagnes d’éradication. D’abord, si tant est que ces campagnes soient efficaces, elles font monter le prix de l’opium, que les talibans ont largement stocké.
Ensuite, ces campagnes se sont avérées un outil puissant de recrutement pour les talibans puisque les paysans en colère de voir leur moyen de subsistance détruit sont tentés de rejoindre les rangs de ceux qui s’opposent à l’éradication.
Par DRCNet | ONG antiprohibitionniste | 20/07/2009 | 12H51
* Traduit de l’américain par Arnaud Aubron
* http://www.rue89.com/droguesnews/2009/07/20/les-stups-americains-en-renfort-en-afghanistan
Les Etats-Unis désarmés face à l’opium afghan
12/08/2007
La nouvelle stratégie annoncée jeudi n’a que peu de chances d’enrayer la hausse constante de la production depuis 2001.
« C’est un cercle vicieux. La priorité est aujourd’hui la stabilité… Or notre simple présence et le fait de combattre le trafic de drogues nourrissent l’instabilité que nous sommes censés combattre. » C’est ainsi que le directeur de la CIA, le général Michael Hayden, résumait, en novembre devant le Congrès, l’équation de l’opium afghan.
C’est cette équation aux multiples inconnues que la nouvelle stratégie américaine pour l’Afghanistan révélée jeudi entend résoudre. Il faut dire qu’avec une augmentation de la production de plus de 3000% depuis la chute des Talibans en 2001, il était plus que temps de révoir la copie. D’autant que la récolte 2007 est d’ores et déjà annoncée en augmentation de 15%…
L’essentiel de ce plan en cinq points (information des Afghans sur les conséquences de l’économie de l’opium, développement de ressources alternatives, éradication, lutte contre le trafic et réforme de la justice) consiste à augmenter les aides distribuées aux autorités locales qui seront jugées efficaces dans leur lutte contre les trafiquants.
« Nous voulons être sûrs qu’il y aura des récompenses plus importantes en cas de succès et des conséquences plus graves en cas d’échec, a résumé jeudi Tom Scweich, responsable de la lutte antidrogues au Département d’Etat. Une province dont la production d’opium a baissé verra dès l’années suivante le montant des aides s’accroitre pour construire des routes, des écoles… » (voir la vidéo, en anglais).
« En décidant directement quel gouverneur doit ou non être aidé financièrement, les Etats-Unis poursuivent leur politique de la carotte et du bâton et se substituent au gouvernement central afghan », regrette le géographe Pierre-Arnaud Chouvy, chercheur au CNRS et animateur du site Geopium. Car si les talibans sont officiellement désignés comme les seuls responsables du trafic -« La culture du pavot a très fortement augmenté (…). C’est le programme de développement économique des terroristes et des criminels », a ainsi déclaré jeudi le responsable de la lutte antidrogues à la Maison blanche (voir la vidéo ci-dessus)-, en coulisses les Américains accusent Kaboul de ne pas faire tout son possible pour lutter contre le narcotrafic. Le propre frère du Président Karzaï est ainsi accusé d’être l’un des principaux organisateurs du trafic.
Depuis des mois, Washington tente d’imposer un programme de fumigation aérienne des cultures de pavot, que Kaboul refuse obstinément par peur de voir les paysans mécontents grossir les rangs des Talibans. De ce point de vue, le plan révélé jeudi marque un nouvel échec des faucons américans : « Malgré la hausse annoncée de la production d’opium, Washington n’a toujours pas réussi à imposer à Kaboul la fumigation des champs de pavots. Peut-être parce que la menace talibane semble s’être stablisée et que les alliés des Américains sont eux aussi opposés à cette option », analyse Pierre-Arnaud Chouvy.
Signe de ces tensions au sein de la coalition, avec les Canadiens et les Britanniques en particulier, la publication de la nouvelle stratégie a déjà été reportée deux fois. A en croire le Herald Tribune, un officier supérieur britannique serait ainsi allé cette semaine jusqu’à demander aux Américains de retirer leurs forces spéciales du Helmand (de loin la principale région productrice d’opium), en raison du nombre trop élevé de pertes civiles qu’entraînent leurs interventions, alliénant le soutien des populations locales. Un porte-parole de l’armée américaine a démenti.
Mais les critiques viennent également de l’intérieur du gouvernement américain et sont de moins en moins voilées. Dans un rapport sur les stratégies antidrogues en Afghanistan paru la semaine dernière, l’inspecteur général du Département d’Etat qualifie les objectifs américains en matière d’éradication « d’irréalistes ».
« En 2006, les Etats-Unis ont dépensé 420 millions de dollars dans divers programmes antidrogues en Afghanistan. Une goutte d’eau comparée aux 38 milliards de dollars que pourrait rapporter, au prix de revente dans la rue, le pavot afghan s’il était entièrement transformé en héroïne. Il n’est donc pas réaliste de penser que ces incitations économiques puissent prendre le relais de l’économie de la drogue. »
« Ce nouveau plan va probablement très mal se passer, tout simplement parce que l’Afghanistan est trop instable, trop pauvre et ses responsables sont trop corrompus », résume Anthony Cordesman du groupe de réflexion américain CSIS. Opinion partagée par Bill Piper, de la Drug policy alliance, le lobby antiprohibitionniste financé par George Soros :
« Les Etats-Unis sont sur le point de transformer l’Afghanistan en un nouvel Irak. L’éradication du pavot par la force conduit les pauvres paysans afghans dans les bras de nos ennemis, renforçant les Talibans et nourrissant la rébellion. La guerre à la drogue mine la guerre à la terreur et pousse l’Afghanistan au bord de la guerre civile. »
Au moins un point positif du délicat dossier afghan, qui aura réussi l’exploit de réconclier antiprohibitionnistes et directeur de la CIA.
Par Arnaud Aubron
* | Les Inrocks (et ex-Rue89) | 12/08/2007 | 16H04
http://www.rue89.com/droguesnews/les-etats-unis-desarmes-face-a-lopium-afghan