Alors que s’ouvre le sommet de Cancún (Mexique), la conviction de l’urgence climatique gagne du terrain dans l’opinion publique. Avec elle, l’idée que les citoyens sont un peu responsables de la fièvre qui gagne la planète. Et peuvent donc, au niveau local, agir contre le réchauffement. Daniel Tanuro, auteur de L’impossible capitalisme vert, prend le contre-pied de ce courant.
Pascal Lorent – En adaptant notre mode de vie, peut-on influer sur les émissions carbone ?
Daniel Tanuro – On doit le faire, même, dans la mesure où c’est socialement possible. Mais l’impact sera marginal. Selon le Giec, pour ne pas trop dépasser 2ºC d’augmentation de la température de surface de la terre (par rapport à l’ère préindustrielle), il faut réduire les émissions des pays développés de 80 à 95 % d’ici à 2050. Or pour atteindre un tel objectif, des mesures structurelles sont indispensables.
Lesquelles ?
Notre système énergétique est centralisé. Par exemple, on produit de l’électricité puis on la transporte sur des centaines de kilomètres. C’est irrationnel au niveau thermodynamique. Utiliser la chaleur cogénérée au plus près de sa source, pour éviter les déperditions, permettrait de réduire de 30 à 40 % la consommation d’énergie. Mais cela demande des investissements publics. Dans le secteur des transports, il faut planifier la sortie du « tout automobile » et développer des transports en commun efficaces et gratuits. Et réduire les distances entre domicile et lieu de travail, ce qui passe par une relocalisation de l’activité économique. L’action individuelle ne peut guère influer là-dessus.
Mais qu’en est-il du photovoltaïque ?
Avec les technologies actuelles, les énergies renouvelables pourraient satisfaire 6 à 18 fois la demande d’énergie mondiale. Le premier obstacle, c’est qu’elles resteront probablement plus cher que les énergies fossiles pour les vingt-cinq prochaines années. Les investissements capitalistes vont donc continuer à aller vers le fossile. Le second obstacle, c’est que changer de système énergétique nécessite des investissements massifs, ce qui implique, dans un premier temps, une hausse de la consommation d’énergie fossile afin de produire les matériaux nécessaires à l’utilisation des énergies renouvelables. Pour compenser cette hausse temporaire, il faut diminuer, dans le même temps, la consommation d’énergie globale. Et d’une manière telle qu’il faudra réduire la consommation de biens matériels. Et cela, le capitalisme en est incapable car il fonctionne sur base d’une logique d’accumulation et de maximisation des profits.
Que signifie produire moins ?
Ce sont des choix politiques. La production d’armes, par exemple : le chiffre d’affaire du secteur à l’échelle mondiale, c’est 1.000 milliards de dollars. Les dépenses liées à la publicité, cela représente 2 % du PIB de la France. Tout cela pour susciter des besoins auprès de la population. Et l’obsolescence des produits électroménagers, qui est planifiée par les producteurs. Bref, diminuer la production est possible sans réduire le bien-être de la population et même en l’améliorant. mais des changements de comportement sont inévitables.
Produire moins provoquera d’importantes pertes d’emploi…
Il faut réduire le temps de travail sans perte de salaire, afin de faire baisser le chômage. Mais cela va à l’encontre de la logique capitaliste. Il faut organiser la reconversion des travailleurs occupés dans les secteurs « nuisibles » de l’économie, avec maintien de leurs acquis. Je pense notamment aux travailleurs du secteur houiller. Sinon, on va en faire des adversaires de la politique de lutte contre le changement climatique.
Quelle est l’alternative globale ?
Il faut planifier le changement de système de façon démocratique à l’échelle mondiale. Et transférer massivement et gratuitement les technologies propres aux pays en développement. On ne peut réussir la transition énergétique vers le renouvelable sans remettre en cause la propriété privée de l’énergie. C’est un bien public qui doit être géré en tenant compte des enjeux du climat et des besoins de la planète. Et mettre en place une très grande décentralisation énergétique. En effet, l’utilisation du renouvelable va varier selon les régions, en fonction du vent, de la mer, de l’ensoleillement.
Y a-t-il des mesures qui peuvent être adoptées plus rapidement ?
Oui. La gratuité des transports en commun ou la création d’une entreprise publique d’isolation des maisons. Ce serait plus efficace que les primes et incitants car celles-ci ne s’adressent en Wallonie qu’à la demande solvable, qui se trouve dans les tranches les plus aisées de la population. Or le secteur du logement représente plus d’un quart des émissions dans l’Union européenne. Il est possible de ramener ce chiffre à zéro dans les quarante ans à venir.
Quel délai pour changer de cap ?
Si l’on en croit le Giec, d’ici à 2050, en commençant tout de suite. Car les émissions mondiales doivent décroître dès 2015. Au lieu de ça, on recule. À Copenhague, on a renoncé aux maigres avancées engrangées à Kyoto. Par contre, la capitale danoise a été le théâtre d’une mobilisation sociale de grande ampleur. C’est sur cette base qu’il faut construire. Pour que tous ceux qui luttent pour une existence digne et juste, prennent en charge la question du climat.
Au feu, la planète se réchauffe. Dans L’impossible capitalisme
Au feu, la planète se réchauffe. Dans « L’impossible capitalisme vert », Daniel Tanuro offre aux profanes l’occasion de comprendre l’urgence écologique. Et les menaces qui l’accompagnent.
Changer de cap ? Cela implique des modifications structurelles de grande ampleur qui vont à l’encontre de l’ADN du capitalisme. Bref, il faut renoncer au capitalisme pour l’éco-socialisme.
La démonstration de l’incompatibilité entre les changements salutaires et l’idéologie dominante est limpide. Par contre, sur l’alternative, on hésite à suivre l’auteur. Car s’il est une constante des systèmes, capitalistes ou non, c’est la domination. Dès lors, croire en une planification démocratique mondiale des besoins humains, relève pour l’heure de l’utopie. Et pourtant, l’heure, elle, est grave.
* Daniel Tanuro, « L’impossible capitalisme vert », Éditions La Découverte, Paris, 2010, 301 pages.