1- Prenez un groupe de pays hautement développés (l’Europe), instaurez un grand marché intérieur permettant la libre circulation des biens, des capitaux (Acte unique 1986). N’y ajoutez surtout pas de close de convergence sociale, et vous obtenez…
= un début de zone de libre échange
2- Dans la même période, instaurez un peu partout une déréglementation des marchés financiers (en France, Livre blanc sur la réforme du financement de l’économie, 1986). A l’inverse soyez très fermes sur quelques règles en vue d’une intégration monétaire (Traité de Maastricht, 1992), entre autres : déficit budgétaire [1] inférieur à 3% du PIB [2], endettement public [3] inférieur à 60% du PIB [4], afin bien sûr de maîtriser l’inflation et par conséquent les taux d’intérêt sur emprunt et le coût du capital.
3- A cette étape, établissez une monnaie unique (1999-2000) afin de parachever la zone de libre échange qui par nature évidemment n’est munie ni d’un budget européen, ni d’une politique économique d’ensemble. Au contraire, laissez chaque « adhérent » continuer à jouer sa propre carte compétitive.
4- Appuyez-vous sur le dogme d’une « concurrence libre et non faussée » (Traité de Lisbonne, 2007). N’ouvrez surtout pas de processus de convergence sociale et encore moins en matière de fiscalité sur les bénéfices. Laissez chaque pays jouer à fond sa propre partition compétitive afin que les taux d’imposition des entreprises et le coût du travail jouent du coude et se poussent mutuellement vers le bas. Faites en sorte que l’Union devienne une vaste de zone de délocalisations internes et limitez toute politique de développement des territoires qui ne soit pas dictée seulement par les besoins du marché.
5- Elargissez l’Union (2003 et 2007) à des pays n’ayant pas au départ la même productivité du travail en faisant jouer à la monnaie unique le rôle d’un cheval de Troie disciplinaire. Essayez d’en profiter pour déréguler un peu plus le marché du travail (directive Bolkestein sur les services, 2005). Et vous obtenez…
= une zone de libre échange élargie sur une intégration monétaire bancale
6- Puis laissez le leader allemand s’engager dans une politique de déflation salariale pour accroître ses parts de marché à l’exportation. Vous creusez alors l’écart entre les excédents allemands et les déficits de la majorité des autres pays. Les taux de croissance des pays de la zone euro ont alors tendance à diverger.
7- La crise financière (à laquelle vous avez largement contribué) accélère le processus de fractionnement. D’un côté, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche bénéficient d’importants excédents commerciaux et leurs déficits publics restent modérés. De l’autre, les fameux « PIGS » (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) affichent de forts déficits commerciaux et publics. Dans les pays intermédiaires la situation se dégrade à son tour faute de croissance et de revenus fiscaux.
= Juste avant de servir le plat aux populations, vous continuez comme avant : pas de budget commun, pas de convergence sociale, le tout nappé d’une bonne dose de sauce recuite de « concurrence libre et non faussée ».
Claude Jacquin
Expert auprès des Comités d’entreprise