La seule prévision qui s’est vérifiée, dimanche 10 juin, est celle d’une abstention élevée. Plus de 40 % des électeurs inscrits sur les listes électorales – on ignore le nombre des Français qui négligent de s’y inscrire – ont décidé de ne pas participer au premier tour des élections législatives. Cette proportion, supérieure à celle qui avait été enregistrée au précédent scrutin de ce type, en 2007, représente un record pour des élections législatives sous la Ve République.
Les électeurs les plus jeunes, les moins instruits ou les moins bien placés sur l’échelle des revenus sont ceux qui ont eu le plus tendance à s’abstenir, selon un sondage réalisé par l’institut Ipsos dans les jours précédant le scrutin. La même enquête indique que les personnes qui avaient voté pour Marine Le Pen ou pour François Bayrou au premier tour de l’élection présidentielle ont été les plus nombreuses, proportionnellement, à ne pas se rendre aux urnes dimanche.
Ainsi la composition de l’électorat qui a voté dimanche explique-t-elle, pour une part, que les partis de gouvernement sortent du scrutin renforcés. Le Parti socialiste, au premier chef, obtient un résultat supérieur à celui que laissaient attendre les sondages, en particulier celui d’Ipsos pour LeMonde, France Télévisions et Radio France, publié vendredi 8 juin, qui créditait le PS – avec ses alliés traditionnels radicaux de gauche et divers gauche, plus quelques circonscriptions offertes au Mouvement républicain et citoyen de Jean-Pierre Chevènement – de 31,5 % des voix. Or ce même groupement en a recueilli 34,43 %, et le Front de gauche, crédité de 8 % des suffrages vendredi, en a réuni un peu moins de 7 % dimanche.
DÉSAFFECTION POUR LE FRONT DE GAUCHE
A l’évidence, la préoccupation du « vote utile » a profité au parti porté au pouvoir par la victoire de François Hollande à l’élection présidentielle. Elle a guidé le choix des électeurs de gauche qui sont allés voter, comme celui d’électeurs qui ont préféré s’abstenir plutôt que d’émettre un vote « inutile » ou vain, dans la situation née du 6 mai, en faveur des partis composant le Front de gauche – PCF et Parti de gauche (PG) – ou de l’extrême gauche.
Cette désaffection pour le Front de gauche – qui avait déjà obtenu, au premier tour de la présidentielle, un score inférieur à ceux qu’il atteignit, un temps, dans les sondages – a frappé sa figure de proue, Jean-Luc Mélenchon. L’ancien candidat à la présidentielle, ayant décidé de se parachuter à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, pour y affronter Marine Le Pen, n’a même pas obtenu le niveau requis – les voix de 12,5% des électeurs inscrits – pour pouvoir se présenter au second tour. Il ne faisait aucun doute, au demeurant, que, devancé par le candidat socialiste, il respecterait la discipline de « désistement républicain » de rigueur, à gauche, en faveur du candidat du même camp mieux placé.
La mauvaise performance de la coalition formée autour de la candidature de M.Mélenchon à la présidentielle n’est pas propre à son parti, loin s’en faut. Les candidats du PCF, beaucoup plus nombreux que ceux du PG, obtiennent des résultats médiocres, qui pourraient priver leur parti de son groupe à l’Assemblée nationale.
LE « COUP » DES DISSIDENTS SOCIALISTES
La concentration du vote de gauche sur les candidats PS et apparentés a nui aussi aux écologistes. Avec 5,57 % des voix, les candidats d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), présents dans les quatre cinquièmes des circonscriptions, avec le soutien officiel du PS dans une soixantaine d’entre elles, font beaucoup mieux, en moyenne, qu’Eva Joly, représentante de leur parti, au premier tour de l’élection présidentielle. Pour autant, la formation écologiste n’est pas assurée de faire élire, le 17 juin, les quinze députés nécessaires, au minimum, pour former un groupe.
Les dissidences de socialistes refusant de s’effacer au profit de candidats écologistes et qui, s’ils ont été exclus par la direction nationale de leur parti, ont bénéficié parfois de la bienveillance de responsables et de militants locaux, ont limité les gains espérés par EELV. Le cas le plus spectaculaire est celui du pédagogue Philippe Meirieu, devancé à Lyon par un candidat radical de gauche, Thierry Braillard, que soutenait le socialiste Gérard Collomb, maire de la ville.
L’UMP ENDIGUE LA PERCÉE FRONTISTE
A droite, l’UMP et ses alliés du Nouveau Centre, du Parti radical ou divers droite sont les bénéficiaires d’un vote utile symétrique de celui dont le PS a profité à gauche. Avec 34,10 % des voix, le rassemblement opéré par le parti ex-présidentiel s’est révélé efficace pour limiter la progression du Front national et détourner ou décourager les électeurs du MoDem.
Celui-ci est frappé dans la personne de son président, puisque M. Bayrou va devoir disputer, à Pau, une triangulaire périlleuse l’opposant au Parti socialiste et à l’UMP. La défaite de l’ancien candidat à la présidentielle priverait le centre indépendant, qu’il s’est employé à incarner, de son unique figure nationale.
Avec 13,77 % des voix, les candidats qui se présentaient sous la bannière de Marine LePen ont atteint, au total, un niveau très supérieur à celui de leur parti en 2007 et même en 2002. La présidente du FN peut donc se prévaloir d’avoir fait prospérer le fonds qu’elle a reçu de son père au printemps 2011. Mais elle doit constater que la percée qu’elle avait elle-même réussie le 22 avril ne s’est pas transformée en adhésion durable dans une partie de son électorat.
La présence du FN au second tour, le 17 juin, certes pas négligeable, sera très inférieure aux espoirs nés de la présidentielle, et les chances de victoires de ses représentants se comptent à peine sur les doigts d’une main.
En somme, le vote réaliste pour donner au président élu le 6 mai les moyens d’appliquer son programme s’est accompagné, dans le camp adverse, d’un ralliement également réaliste au parti qui fait profession de s’y opposer sur toute la ligne. Les nuances du centre bayrouiste et les préoccupations sociales dont le Front national fait désormais étalage ont paru hors de saison à une partie de leurs électeurs d’avril. Les chefs de file de l’UMP ont été bien traités dans les urnes, signe qu’eux-mêmes, leurs idées et leur parti ne sont pas disqualifiés par la défaite de l’ancien chef de l’Etat.
L’antisarkozysme, toujours exploité par François Hollande et son gouvernement, soude la gauche sans désunir la droite.
Patrick Jarreau