Athènes,
La semaine écoulée a donc été décisive. Loin d’être découragés par les violences policières du 8 juin, les étudiants ont renforcé leur mobilisation : 411 départements universitaires sur 475 sont désormais occupés, et de très grosses manifestations ont eu lieu le 15 juin, avec désormais une couverture télé... pas forcément favorable ! Et, comme lors de la lutte anti-CPE en France, des sondages montrent la popularité du mouvement : dans l’un d’entre eux, 38 % des sondés se prononcent pour la mesure phare, la création de facs privées, et 54,2 % contre ! Par ailleurs, 78 % pensent que, pour revaloriser les diplômes grecs, il n’est pas besoin de facs privées (15 % pensent le contraire), mais qu’il faut une augmentation du budget et la modernisation des facs publiques. Et la mobilisation avec occupation se justifie aux yeux de 60,5 % des sondés. On peut parler d’une leçon de choses : alors que le gouvernement et une bonne part des médias tentent de faire croire qu’il s’agit d’un petit mouvement très minoritaire, manipulé par des « gauchistes », les formes de la mobilisation et les efforts de popularisation d’une lutte qui concerne l’ensemble de la population portent leurs fruits.
Dans ces conditions, le Premier ministre Caramanlis a concédé un recul : les livres scolaires resteront fournis (par une sorte de chèque crédit), l’asile universitaire ne sera pas aboli (mais le sondage cité plus haut montre une nette majorité en faveur d’une réforme). Et, surtout, la discussion du projet de loi n’aura pas lieu avant l’automne. Le gouvernement invite désormais à dialoguer avec lui autour d’un « préprojet » qui sera publié dans la semaine.
Ce recul est évidemment tactique : un journal de droite, Kathimerini, du 18 juin s’empresse de dire en une que Caramanlis tient à sa réforme ! Pourtant, les choses sont désormais bien moins simples pour le gouvernement : il lui est difficile d’envisager une discussion sur ce thème avant les élections municipales d’octobre, qui ne peuvent avoir lieu sur fond de manifestation ! Et novembre et décembre sont, traditionnellement en Grèce, les mois où ont eu lieu les plus grosses mobilisations de la jeunesse scolarisée. La gêne est donc très forte à droite, certains accusant d’intransigeance Marietta Giannakou, la ministre de l’Éducation - genre de Robien -, d’autres s’en prenant à la droite universitaire, en tête des élections étudiantes mais incapable d’étouffer le mouvement ! Et pour couronner le tout, la gauche radicale étudiante a affirmé haut et fort qu’il n’était pas question de dialogue sur la base du fameux préprojet.
La coordination nationale étudiante du 16 juin l’a confirmé : les occupations continuent. Jeudi 22 juin, une nouvelle journée nationale de manifestation devait marquer une étape importante : la GSEE (la confédération syndicale du privé) appelle à un débrayage de trois heures, et Adedy (la fédération nationale du public) à la grève de 24 heures, en soutien aux mobilisations étudiantes. Le lien avec les organisations de travailleurs se renforce donc, le soutien s’élargit - notons l’accueil chaleureux qui a été donné aux messages de solidarité de la FSU et de SUD étudiants, ainsi qu’à celui d’Olivier Besancenot et des JCR.
Face aux manœuvres des uns et des autres (droite, PC) pour canaliser ou étouffer la mobilisation, la question de l’élargissement à l’ensemble du champ éducatif pourrait être aussi posée, ce qui devient urgent quand on sait que, comme le note un ancien député de gauche dans Kathimerini, la part des familles dans les dépenses pour l’éducation scolaire représente (chiffre 2004) 29,3 % contre 28,7 en 1994, les familles payant d’ores et déjà 2,5 milliards d’euros (chiffre 2004) pour assurer les différents cours de « soutien » privés. En discussion aussi, une mobilisation à l’occasion de la rencontre prévue les 28 et 29 juin à Athènes des ministres de l’Éducation des pays de l’OCDE. Dans le contexte, ce pourrait être géant.