Comme on pouvait s’y attendre, le sommet du G8 a été incapable de répondre aux grandes missions qu’il s’était pourtant données, le changement climatique et l’aide à l’Afrique. C’est donc la rue qui a mis à la lumière les grandes questions du moment : la guerre, les inégalités Nord/Sud, la dette, le racisme ou le climat. Ces thèmes ont été au centre de la grande marche historique « Make Poverty History » du 2 juillet, qui a réuni plus de 225 000 personnes. Ils ont ensuite été développés lors du sommet G8 Alternatives à Édimbourg dans neuf plénières et 72 ateliers, soit au total près de 6 000 participants. Des représentants de la LCR ont été invités à parler des résultats du référendum en France. La gauche écossaise a profité de la présence d’observateurs internationaux pour mettre à l’honneur les campagnes qu’elle mène contre la base de sous-marins nucléaires à Faslane ou contre le centre de réfugiés de Dungavel.
Il est 17 heures ce 6 juillet, près de Gleneagles, au golf où les dirigeants du G8 se réunissent. Une foule bigarrée assemblant l’armée des clowns, qui imitent les poses viriles des policiers, les banderoles et les drapeaux du SSP, les fanfares militantes, comme Infernal Noise, venue des États-Unis, défile depuis deux heures sur un petit chemin, encadrée par d’importantes forces de police. La manifestation arrive au point où les forces de l’ordre ont décidé qu’elle devait rebrousser chemin. La foule crie, pousse. Des clameurs surgissent : les barrières d’un champ sont mises à terre et une partie du cortège parvient à se déjouer de la police et à approcher de la zone rouge. Branle-bas de combat à « Blairland » : des brigades de robocops s’interposent, des flics à cheval galopent vers la brèche, des hélicoptères Chinook de transport de troupes apportent des renforts. L’image de cette opposition en plein champ d’avoine entre manifestants altermondialistes et « armée des clones » sortie tout droit de la guerre des étoiles pourrait relever d’une quasi-esthétique altermondialiste si elle n’avait une signification politique. Les efforts policiers n’ont pas empêché la foule de s’approcher de la zone rouge, et de signifier l’illégitimité du G8 et de dirigeants qui doivent s’abriter derrière une véritable armée pour se protéger de la population.
Résultat en demi-teinte
Ce contre-sommet est pourtant un demi-succès, surtout à cause d’une dispersion politique et géographique. En effet, la coalition G8 Alternatives rassemblait partis et syndicats de la gauche écossaise, ainsi que les ONG locales, et a été à l’initiative de la marche Make Poverty History et de la manifestation du 6 juillet à Gleneagles. Entre ces deux échéances, une série d’actions était organisée par le réseau Dissent et par les 2 000 à 3 000 activistes de la frange radicale du mouvement, libertaires, écolos radicaux, mais aussi par les militants français d’Attac Campus ou de Vamos, et par des militants du Bloc de gauche du Portugal, regroupés au sein de l’éco-village autogéré de Stirling. De cet éco-village sont parties des actions de blocage le jour de l’ouverture du G8, peu efficaces du fait du maillage serré de la police, même si un groupe a réussi à bloquer l’autoroute plusieurs heures. Peu de liens entre l’éco-village et G8 Alternatives, sans compter les ONG souvent d’origines chrétiennes de Make Poverty History et le charity business mâtiné d’un peu de politique des concerts du Live 8. Les forces politiques capables de faire le lien et d’organiser des convergences manquaient.
Pour toutes ces raisons, mis à part pour la manifestation du 2, ce contre-G8 n’est pas celui qui a rassemblé le plus de monde (seulement 6 000 personnes pour la manifestation du 6). Cette dispersion et cette division ont permis à la répression d’être plus efficace. Si le niveau de violence de Gênes n’a heureusement pas été atteint, les arrestations ont été très nombreuses. Les fouilles des militants altermondialistes ont été systématiques, comme le 4 juillet, lors du carnaval festif d’Édimbourg. Cyrille, militant de Vamos, raconte sa nuit après l’arrestation, « menotté jusqu’à deux heures du matin dans un fourgon de police », puis placé dans une cellule, alors qu’il n’avait commis aucun acte de violence. Julie Chansel, membre de la batucada (fanfare brésilienne) militante de Vamos, est restée emprisonnée jusqu’au vendredi 9 juillet.
Paradoxalement, du fait du lobbying des ONG et du show de Bob Gedolf, ce G8 a été l’un des plus médiatisés, avec un mélange parfois trouble de contestation et d’appel à la charité. Le mouvement altermondialiste, même s’il peine à obtenir des victoires concrètes, garde une fonction de politisation, et poussevers l’action de nouvelles générations militantes. Ainsi Sarah, vingt ans, étudiante française à Édimbourg, participait à ses premières manifestations altermondialistes. Pour elle, « tout s’est beaucoup mieux passé que ce qu’elle redoutait », et de tels événements lui donnent « l’envie peut-être de s’engager davantage ».