Rawalpindi, envoyé spécial. Rawalpindi brûle d’une puissante fièvre électorale. En cette ville satellite de la capitale Islamabad, l’ambiance est à la ferveur, samedi 11 mai, à l’orée d’une journée de vote jugée « historique » au Pakistan. Les rues sont sillonnées des motos chevauchées par des jeunes enthousiastes, fanions partisans au poing. Dès l’ouverture des bureaux de vote, la foule des électeurs était là, patientant sagement en file indienne, résolue à peser sur cette élection législative, la première dans l’histoire du Pakistan à sanctionner une transition pacifique entre deux gouvernements démocratiques.
Ici, pas de souci de sécurité. Rawalpindi, comme l’ensemble de la province du Pendjab à laquelle la ville est rattachée, est épargnée par les menaces des talibans du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), lesquelles visent principalement Karachi et la province pachtoune de Khyber Pakhtunkhwa (KP), proche de la frontière avec l’Afghanistan. En milieu de journée, trois attentats à Karachi, Peshawar (chef lieu de KP) et Mardan, près de Peshawar, avaient fait un total de onze morts et une cinquantaine de blessés.
A Rawalpindi, sous le manguier de la cour du bureau de vote de Muree Road, Yaya Mohyuddin exhibe son pouce bleui d’encre. Il vient de voter pour Imran Khan, l’ex-star de cricket devenu chef charismatique du Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), un petit parti qui promet de grossir. Foulard noir ceint au front, Yaya Mohyuddin est l’archétype du jeune Pakistanais des centres urbains galvanisé par le discours de rupture d’Imran Khan. « Nous voulons le changement au Pakistan, nous voulons des dirigeants qui servent enfin le peuple, clame-t-il. Le pays est en crise, l’économie sombre, il faut donner sa chance à Imran ! ».
Yaya Mohyuddin est étudiant en finance. A voir ses amis, étudiants comme lui, s’agglutiner autour de lui, exprimer leurs avis sous le regard approbateur de la foule, on comprend d’emblée qu’Imran Khan sera le grand bénéficiaire de cette participation s’annonçant élevée, dans le Pendjab à tout le moins. Le Pendjab, la province la plus peuplée du Pakistan qui envoie à l’Assemblée nationale plus de la moitié de ses élus, est le théâtre d’une âpre rivalité entre la Pakistan Muslim League Nawaz (PML-N) de Nawaz Sharif et le PTI d’Imran Khan. Les deux partis chassent globalement sur les mêmes terres : le rejet du gouvernement sortant du Parti du Peuple du Pakistan (PPP) – le parti de la dynastie Bhutto – et une idéologie empreinte de conservatisme religieux, parfois marquée de compréhension à l’égard de certaines organisations islamistes radicales.
« MUSLIM NEW BORN »
Imran Khan dont la popularité était initialement sportive – il était capitaine de l’équipe nationale de cricket championne du monde en 1992 – n’a cessé de monter en puissance ces dernières semaines, en particulier dans la jeunesse urbaine. Sa chute d’un monte charge lors d’un meeting à Lahore, mercredi 8 mai, n’a fait que doper le courant de sympathie qui se dessinait en sa faveur. Mais en face de lui, la PML-N de Nawaz Sharif bénéficie d’une meilleure implantation dans les campagnes et les zones semi-urbaines. Yaya Mohyuddin ne croit pas trop à la victoire de son champion mais il est convaincu de sa percée. A écouter ce jeune étudiant, habillé à l’occidentale – jean et chemise bleue échancrée – et s’exprimant ans dans un parfait anglais, on comprend mieux le glissement idéologique qu’est en train de connaître le Pakistan.
Yaya manifeste un nationalisme conservateur et islamisant qui n’a cessé de gagner du terrain dans le pays ces dernières années, nourri en particulier d’anti-américanisme. « Imran a raison de dire que le Pakistan n’a pas besoin de l’aide américaine, soutient-il. On peut générer nos propres ressources ». Lors de ses meetings, Imran Khan a enflammé les passions anti-américaines de son public, déclarant notamment qu’il ordonnerait – s’il accédait au pouvoir – à l’armée pakistanaise d’abattre les drones de la CIA qui ciblent des noyaux djihadistes dans les zones tribales. Yaya Mohyuddin est d’accord. Tout comme son ami Mohammed Omar Lodhi, étudiant en finance lui aussi. Mèche peignée en arrière et fines lunettes, Mohammed Omar Lodhi ne cache pas son amertume de voir le Pakistan soumis ainsi aux injonctions de Washington. « Les Américains gouvernent en fait notre pays grâce à l’argent de l’aide, grince-t-il. Nos dirigeants sont silencieux et serviles pour cette raison ».
Mais là où la discussion prend un tour plus éclairant encore, c’est quand Yaya Mohyuddin avoue sans états d’âme son admiration pour Oussama Ben Laden, tué en mai 2011 à Abbottabad, ville garnison située à 130 km au nord de Rawalpindi. « Oussama était un grand homme, dit-il. Il n’a pas vendu son intégrité ». Alors, on ne n’étonne plus vraiment quand il ajoute que les talibans, qui pourtant ont ensanglanté cette campagne électorale, « ne sont pas des terroristes ». « Les talibans appartiennent à notre nation, ils suivent la voie de l’islam, précise-t-il. S’ils sont devenus violents, c’est juste en réaction aux attaques qu’ils ont subies de la part de notre armée sous la pression des Américains. Mais ce n’est pas du terrorisme ». Tel est le fond de la pensée des jeunes supporteurs d’Imran Khan, le playboy qui fut dans les années 1980 à Londres un jetsetter confirmé et qui, dix ans plus tard, a redécouvert le Coran avec l’ardente foi d’un « muslim new born ».
Frédéric Bobin