L’action la plus massive a eu lieu à Kiev à l’appel de trois partis d’opposition ; elle avait pour leitmotive le soutien à l’intégration européenne. Ces deux dernières années le nombre de partisans de la ratification d’un accord d’association avec l’Union européenne a considérablement augmenté – et ce n’est pas tant le résultat des efforts de l’opposition et de sa traditionnelle rhétorique pro-européenne que de ceux du parti au pouvoir, le Parti des Régions, et de l’entourage du président Viktor Ianoukovitch.
Malgré une vaste campagne d’agitation en faveur de l’association à l’UE, le contenu et les conséquences réelles de l’accord ne sont pas vraiment au centre de l’attention du public. Pour l’immense majorité de ses partisans, l’association est à la fois le symbole d’une orientation pro-occidentale et d’une modernisation plus ou moins abstraite ainsi que l’incarnation de la rupture tant attendue avec le marasme du capitalisme postsoviétique.
L’ampleur impressionnante des manifestations reflète le niveau d’insatisfaction vis-à-vis du régime incarné par la figure de Ianoukovitch. Corruption massive dans les hautes sphères de la bureaucratie d’Etat, enrichissement tout aussi massif de l’entourage direct du président, renforcement du contrôle sur les médias et les tribunaux, économie en chute permanente et retards de paiement chroniques pour les fonctionnaires publics… et la liste n’est pas exhaustive.
Bien que la population ait pris la rue à l’appel de l’opposition, il apparaît évident que le système de partis, dans sa configuration actuelle, ne satisfait pas tout le monde. Comme on pouvait s’y attendre, les partis d’opposition n’étaient pas prêts à un mouvement de masse et ont mené leurs actions en fonction d’un scénario orienté exclusivement vers les élections de 2015. Les leaders Iatsenouk, Tiagnibok et Klitchko expriment leurs ambitions présidentielles sans ambiguïté et martèlent l’éternel cliché : « Liberté à Ioulia [1], démission du gouvernement, dehors la clique, l’Ukraine c’est l’Europe ! »
La rhétorique vide de contenu et l’impuissance des partis d’opposition irrite de plus en plus de participants aux manifestations. Ce n’est pas la première que la lassitude vis-à-vis de l’opposition traditionnelle se fait sentir. Mais cette fois elle s’est matérialisée sous la forme de plateformes alternatives, par exemple, « Euromaïdan » [2] à Kiev, une action a-parti parallèle qui s’est tenue sur la Place de l’Indépendance.
Ce Maïdan alternatif est d’une ampleur moindre que le camp monté par l’opposition. Cependant, on ne trouve en son sein aucune symbolique de parti et le principe du micro libre y fonctionne variablement.
L’un des membres de l’opposition les plus sensibles aux nuances de la politique de rue, le leader du parti nationaliste populiste de droite Liberté (qui jusqu’en 2004 portait le nom de « Social-national »), Oleg Tiagnibok, comprend très bien le danger que représente ce genre de plateformes alternatives. Au passage, le nationaliste taxe les partisans de la ligne « antiparti » d’agents de l’administration présidentielle.
La veille de ce développement un signal d’alarme avait retenti pour les nationalistes à Lvov, où le pouvoir est de fait aux mains de Liberté. Au point culminant de l’ « euromanifestation », le député nationaliste Mikhaltchichina a été expulsé de la scène, privé de son droit à la parole. Les organisateurs de l’action – des organisations étudiantes de Lvov – ont argué qu’ils ne souhaitaient pas entendre les discours de politiciens en fonction.
Le manque de confiance dans les partis parlementaires traditionnels ne fait pas naître d’alternative en soi. Mais si la vague de contestation actuelle donne lieu à l’avenir à une véritable politique démocratique, celle-ci verra le jour dans les espaces libérés de la présence corrompue de l’opposition officielle.
Vitaliï Atanasov (journaliste et activiste)