Connue pour être, il y a vingt ans, un éden économique, la Côte-d’Ivoire descend peu à peu en enfer, sous la conjonction d’une crise économique exacerbée par les plans d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale, de la dévaluation du CFA décidée par le gouvernement français en 1994, et d’une corruption intense largement favorisée par les réseaux néocoloniaux français.
Depuis quatre ans, la Côte-d’Ivoire est coupée en deux. Au Sud, le gouvernement de Laurent Gbagbo. Au Nord, les forces rebelles, appelées aussi Forces nouvelles, composées du Mouvement patriotique de Côte-d’Ivoire (MPCI), qui contrôle les régions de Bouaké et de Korhogo près de la frontière du Burkina Faso, et, à l’Ouest, du Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (Mpigo) et du Mouvement pour la paix et la justice (MPJ).
Entre les deux, les forces de l’Onuci et, surtout, les forces françaises, déployées le long de la ligne de partition, dans le cadre de l’opération Licorne. La France est présente dans tous les secteurs clés de l’économie ivoirienne : TotalFinaElf détient 25 % du capital de la Société ivoirienne de raffinage ; Bouygues, majoritaire dans les compagnies de distribution d’électricité, possède une société de distribution d’eau, des entreprises de bâtiment et travaux publics ; Bolloré est actionnaire de Sitarail et contrôle les entreprises de logistique des transports maritimes, ainsi que celles exploitant les ressources naturelles ; France Télécom contrôle Côte-d’Ivoire Télécom et la Société ivoirienne de mobiles ; le secteur bancaire est aux mains de la Société générale, du Crédit lyonnais et de BNP Paribas. À tout cela, s’ajoutent des centaines de sociétés françaises.
La France a tout intérêt à une stabilité politique en Côte-d’Ivoire, d’un point de vue économique mais aussi pour éviter les risques de contagion et de déstabilisation d’une région qu’elle a toujours considérée comme son pré carré. D’où les accords de Marcoussis, qui préconisent notamment le désarmement des troupes rebelles, un calendrier électoral et la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Le calendrier n’a pas été tenu, les élections ont été repoussées sine die et les citoyens ivoiriens payent le prix de cet immobilisme.
Dans la partie administrée par les forces rebelles, on assiste, de plus en plus, à une économie de guerre, où le non-droit règne, permettant un enrichissement aussi rapide qu’illégal, en particulier dans le trafic d’armes et la vente des exploitations de richesses naturelles. Le rejet du désarmement est, en quelque sorte, la garantie du maintien du rapport de force. De l’autre côté, le régime de Gbagbo et ses ultras - notamment les jeunesses patriotes - ont tout fait pour saboter le processus électoral, en perturbant parfois de manière très violente les audiences foraines, structures qui permettaient la délivrance des papiers nécessaires au vote. La question est d’importance dans un pays où l’ivoirité déchaîne les passions. Tous les politiciens impliqués dans ce conflit ont joué sur ce concept, pour exclure tel ou tel du jeu politique. D’autant que se greffe la question agraire : pouvoir voter, c’est être ivoirien, et donc, du même coup, devenir propriétaire des terres sur lesquelles on a travaillé depuis des années.
Mais aucun des deux camps ne représente une solution pour les Ivoiriens. L’alternative ne pourra venir que de la société civile où, à l’image du Mali ou du Niger, un processus d’organisation de la population se développe, avec des succès remarquables. Un tel processus, en Côte d’Ivoire, devra s’affranchir de toute politique ethniciste d’exclusion, afin de fédérer les citoyens autour d’une rupture avec l’ordre néocolonial et en faveur du partage des richesses.