Les compagnies chinoises sont nombreuses à se livrer à la surpêche en toute impunité au large de l’Afrique de l’Ouest. Le constat en soi n’est pas nouveau. Enquête après enquête, Greenpeace Afrique s’efforce d’en mesurer l’impact sur ces eaux longtemps considérées comme un eldorado aux richesses inépuisables. Précisons que les Chinois n’y sont pas seuls.
Après s’être penchée sur les pratiques des navires de l’Union européenne, puis des russes en 2010 et 2012, l’équipe de Greenpeace installée à Dakar consacre cette fois l’intégralité de son dernier rapport à la pêche chinoise. Le document rendu public le 6 mai s’intitule : « Razzia sur les côtes africaines : la face cachée de la pêche chinoise et des sociétés mixtes au Sénégal, en Guinée-Bissau et en Guinée ».
« En 2013, nous avons identifié 462 navires battant pavillon chinois ou appartenant à des propriétaires chinois opérant dans 13 pays du continent, dont 407 sur les côtes atlantiques, témoigne Ahmed Diamé, naturaliste et chargé de campagne « océan » pour l’ONG. Le problème, c’est que lorsqu’ils partent pêcher dans un pays voisin, certains changent de nom et de tonnage en même temps, comme s’ils rétrécissaient au passage. »
Triche sur les tonnages
En effet, la pêche illégale n’est pas seulement le fait de bateaux pirates qui s’approchent des zones côtières durant la nuit, tous feux éteints et sans nom apparent sur leur coque. Cette fois, il s’agit de tricher sur le volume des cargaisons, donc sur les quantités de poissons prélevées.
Ainsi, selon l’ONG, depuis près de trente ans, la plus grande entreprise de pêche lointaine de la Chine, la China National Fisheries Corporation (CNFC), sous-déclare régulièrement le tonnage brut de ses chalutiers. Greenpeace la soupçonne d’avoir, entre 2000 et 2014, sous-estimé de 43 % en moyenne par an ses capacités de stockage de poissons dans ses déclarations aux autorités sénégalaises.
Rien que pour 2014, cette fraude équivaudrait aux captures faites par « six grands navires de pêche industrielle ». Elle correspondrait à un manque à gagner d’environ 566 000 euros de licences de pêche non payées au Sénégal.
Au total, dans les trois pays pris en compte dans cette étude (Sénégal, Guinée-Bissau et Guinée), la CNFC faisait travailler 59 navires de pêche en 2014. Les militants estiment que pour cette seule année, les tonnages que cette société aurait délibérément revus à la baisse pour au moins 44 de ces bateaux équivaudraient à ajouter 22 gros chalutiers supplémentaires dans leurs eaux.
Déclarations contradictoires
Or la concurrence est déjà rude non seulement entre gros chalutiers venus de l’autre bout du monde, mais aussi vis-à-vis des pirogues artisanales. Certaines zones près du littoral ne sont accessibles qu’à des bateaux de capacité réduite. Déclarer une cargaison inférieure à la réalité donne le droit d’y accéder indûment.
Pour parvenir à ces évaluations, Greenpeace Afrique a traqué les invraisemblances chez les compagnies de pêche. L’ONG a travaillé à partir de listes de navires établies par les autorités chinoises, des données enregistrées auprès de sources maritimes accessibles comme Lloyd’s, MarineTraffic.com ou GrossTonnage.com, de déclarations contradictoires auprès de différents Etats, voire de plans permettant d’évaluer l’ensemble des volumes clos d’un navire.
Cette étude constitue au passage une plongée dans l’univers trouble de la pêche industrielle en Afrique où le changement de pavillon et de nom est une pratique courante. « Créer des sociétés mixtes entre des dirigeants asiatiques et des locaux qui jouent les prête-noms est devenu le moyen le plus simple de pêcher en toute impunité, confie Ahmed Diamé. Car ainsi on n’est plus soumis qu’à des gouvernements ne disposant pas de moyens suffisants pour contrôler l’application de leurs lois. Il faudrait au moins que les Etats d’Afrique de l’Ouest coopèrent dans une base de données commune. »
Martine Valo
journaliste Planète