AU-DESSUS ET EN DESSOUS LE 4 MARS
La réalité se manifestait certes par de multiples signaux assez évidents, mais la photographie, noir sur blanc, des résultats électoraux du 4 mars fait quand même une certaine impression. Cinq ans de gouvernements faites d’arrogance, d’indifférence à la réalité, d’austérité, de réformes libérales du marché du travail et de l’enseignement, d’un climat politico-culturel anti-immigré.e.s avec les décrets Minniti, ont débouché sur un approfondissement de la dynamique politique qui avait déjà émergé lors des élections de 2013.
Ces élections-là avaient vu l’effondrement du Parti démocrate de Bersani et l’incroyable succès du Mouvement Cinq Etoiles (M5S). Aujourd’hui, le PD de Renzi arrive à perdre encore 2,5 millions voix, alors le M5S en gagne par contre 1,8 million, atteignant ainsi le score historique de 32% avec un total de 10,7 millions voix, ce qui est tout à fait inhabituel pour des « nouveaux » partis - comme le note l’Institut Cattaneo [1] - dont le résultat aux élections qui suivent leur lancement se traduit souvent par une débâcle, ce qui démontre que nous avons à faire à un phénomène tout autre que passager. Liberi e Uguali (Libres et Egaux) obtient exactement le même nombre de voix que SEL, Sinistra e Libertà, en 2013 (environ 1,1 million de voix), tandis que Potere al Popolo (Pouvoir au peuple), avec ses 370 mille voix, prend moins de la moitié de la désastreuse expérience de l’ancienne liste Ingroia. Le Centre droit gagne dans son ensemble 1,9 million de voix par rapport à 2013, avec un effondrement de Forza Italia qui en perd 3 millions et un exploit de la Lega qui en gagne 4,3 millions - en réussissant à exister dans le Sud - et un redoublement de Fratelli d’Italia qui augmente d’environ 800.000 voix. A cela s’ajoute le résultat des nazillons de Casa Pound et de Forza Nuova qui augmentent, ensemble, d’environ 300 mille voix, tout en restant en dessous d’un pour cent. L’abstention reste le « premier parti » atteignant de plus de 13 millions. 73% de votants, c’est un minimum historique, mais ce n’est que 2 points de moins qu’en 2013 contrairement à ce à quoi tout le monde s’attendait, y compris les sondages qui prédisaient 65% de votants.
Lors des élections de 2008, on avait assisté à la disparition au Parlement de la gauche radicale et on avait commencé à éprouver le résultat d’un bipolarisme au sein lequel droite et gauche ont effacé leurs différences. En 2013, l’approfondissement de la crise économique et la réponse du gouvernement technique ont produit l’explosion anti-caste et un système devenu de fait tripolaire. Les dernières cinq années de coalitions plus ou moins grandes entre centres droits et centre gauche, ainsi qu’une loi électorale conçue pour affaiblir Grillo [du M5S] et permettre une nouvelle coalition entre Renzi et Berlusconi, ont en fait renforcé le déplacement des voix vers les Cinq Etoiles et la Lega, tandis que les deux partis pronostiqués par tous comme futurs gouvernants se sont radicalement effondrés.
Il en suit une situation plus que jamais instable, où il est difficile de comprendre quel gouvernement pourrait avoir une majorité, avec Di Maio, l’actuel dirigeant des Cinq Etoiles, prêt à jouer sur tous les tableaux pour devenir Premier, Salvini [leader de la Lega] qui ne veut pas abandonner son nouveau rôle de chef du centre droit à hégémonie xénophobe et Renzi qui invente des « fake-démissions » pour ne pas quitter son (désastreux) rôle et ne pas être abandonné par ses parlementaires.
Surement il y a beaucoup de confusion sous les cieux et la situation ne semble pas du tout favorable. D’autant plus que le jour après les élections, on se retrouve à Florence avec un homme blanc qui tire sans raison sur un homme noir et le tue…
Les effets prolongés de la crise économique ; la croissance des inégalités ; la profonde crise de stratégie des classes dirigeantes qui prétendent dominer sans se préoccuper du consensus et sans céder une miette de leurs profits croissants ; l’absence de perception de la réalité des résidus de la « gauche historique », avec le PD qui propose de nouveau Renzi même après sa défaite sanglante au referendum et l’idée bizarre de Liberi et Uguali de refonder la gauche avec les dirigeants les plus impliqués dans les gouvernements libéraux et sécuritaires des différents centres gauches ; les initiatives de renonciation de la part des syndicats confédéraux face aux « gouvernements amis » ; la faiblesse des mouvements à une exception fondamentale prête (le mouvement féministe Non Una di Meno) à corroder l’idéologie dominante et à montrer que le roi est nu. C’est la somme de tout cela qui a donné lieu d’un côté au climat croissant de guerre [xénophobe] entre pauvres, en déplaçant l’attention non pas sur le 1 % le plus riche, mais sur les pauvres, présumé.e.s coupables, exploité.e.s et sans droits. De l’autre cela a dirigé toute la demande de changement vers les forces perçues comme les plus lointaines de celles qui ont gouverné, dans certains cas en dépit des contenus proposés.
Cependant il ne faut pas confondre, comme si c’était la même chose, le vote pour la Lega et le vote pour les Cinq Etoiles. S’il est vrai que le mouvement de Grillo a aussi recueille une partie de l’électorat sujet à la guerre xénophobe entre pauvres, les Cinq Etoiles - surtout dans leur « version Di Maio » - ont comme marque saillante d’être un parti « attrape-tout », qui recueille des aspirations même radicales aux changements, un besoin de sécurité et une nouvelle présence de l’Etat, un vote utile contre les droites et la demande d’un bon exercice du pouvoir par une liste de ministres « techniques » imaginaires présentée par Di Maio. Ils ont gardé une aura d’altérité surtout grâce aux attaques tous azimuts qu’ils continuent de subir de la part de tout l’establisment politique et médiatique, sans que personne ne remarque par exemple que le problème de la Junte communale de Raggi à Rome n’est pas « spelacchio » [2] et même pas combien les Cinq Etoiles sont plus honnêtes que les autres, mais bien la continuité politique substantielle, urbanistique et sociale, avec les précédentes Juntes de centre gauche et de centre droit.
Face à un tel cadre et à une campagne électorale définie unanimement comme « la plus mauvaise de l’histoire », il n’y a eu qu’un moment où on a trouvé de l’oxygène et où l’on a montré une véritable capacité de réaction commune : dans la superbe manifestation antiraciste du 10 février à Macerata.
Nous, on est resté de côté dans cette campagne électorale, bien que la proposition de Potere al Popolo (PAP) avait une position politique que nous pouvions en grande partie partager et qu’elle a recueilli de la sympathie et de l’espoir grâce au rôle et à l’imaginaire mutualiste créé par les camarades d’Ex Opg [3]. Mais ce qui ne nous convainc pas, après l’avoir tenté et retenté, c’est que l’on puisse improviser, par la voie électorale, d’autant plus en seulement trois mois, l’immense et urgente nécessité de reconstruction que nous devons affronter après l’effondrement du mouvement ouvrier.
Les parcours purement électoraux, d’autant plus s’ils finissent par proposer de nouveau de contreposer une « vraie gauche » à une « fausse », restent désormais depuis 10 ans systématiquement déçus face à la disparition substantielle de la gauche. On est tous et toutes plus ou moins passées par là et nous pensons qu’il faut s’en rendre compte. Le problème n’est plus la « vraie » et la « fausse » gauche, ou en tout cas pas prioritairement. Le problème énorme que nous avons est la reconstruction de fond des liens sociaux et de l’idée même de solidarité, et une réflexion de fond sur notre identité même. On se le dit depuis quelques années, mais, peut-être parce que personne parmi nous ne trouve des solutions convaincantes, quand arrivent les élections nous laissons de côté nos analyses et nous déposons généreusement nos espoirs dans le résultat électoral. Et ensuite nous restons déçu.e.s.
On ne dit pas d’exclure pour toujours des débouchés électoraux, mais si aujourd’hui la situation est celle-ci, il faut un saut qualitatif et pour réagir efficacement, la première chose à faire est de ne pas se faire comprimer [coincer] au milieu, en pensant peut-être déjà à quelle liste présenter aux prochaines élections européennes.
Ne restons donc pas au milieu et repartons du dessous et du dessus. De la manifestation de Macerata, née d’en bas avec une grande capacité de mobilisation large et enthousiasmante. Du mouvement féministe Non Una di Meno, déjà à partir de la journée de grève du 8 mars, qui vivra en Italie et dans plusieurs pays du monde. De la connexion entre pratiques mutualistes autogérées, de plus en plus diffusées dans notre pays, car elles sont en mesure de donner des réponses aux problèmes économiques immédiats, mais aussi de recréer des liens sociaux et un nouveau discours politique. Et repartons du dessus, en recommençant à réfléchir. A formuler des idées, à échanger, des élaborations à la hauteur de la phase de crise dans laquelle nous sommes plongé.e.s, avec pour objectif de démonter et de renverser les fausses narrations de la réalité.
Travaillons avec imagination pour nous faire trouver là où ils ne nous attendent pas, par là où ils ne nous ont pas déjà mesuré.e.s.
Communia