Udo Landbauer. Ce nom n’est guère connu du grand public et pourtant ce jeune homme de 31 ans est une figure montante du Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ), l’extrême droite autrichienne actuellement au pouvoir en coalition en Autriche.
Pour rappel, le FPÖ a obtenu 26,86 % des voix lors des élections législatives autrichienne du 15 octobre 2017. Peu après ce scrutin, le candidat arrivé en tête avec 31,47 %, Sebastian Kurz (ÖVP), avait entamé des négociations en vue de former une coalition avec le FPÖ. Au final, ce parti a hérité de cinq ministères sur treize dans ce gouvernement de coalition, dont entre autres la vice-chancellerie, les ministères de l’Intérieur et de la Défense.
Au début du mois de février 2018, Udo Landbauer a été au cœur d’une affaire politique qui l’a contraint à renoncer à tous ses mandats et à se mettre en retrait du parti, ayant refusé de désavouer un livre retrouvé dans les locaux d’une organisation étudiante, qui faisait l’apologie du nazisme et du Troisième Reich.
Dans ce recueil de chansons, on y trouvait, en outre, des références explicites au nazisme et à l’extermination des Juifs, notamment à travers ce « vers » :
« Gebt Gas ihr alten Germanen, wir schaffen die siebte Million »
(Mettez les gaz, vieux Germains, on peut arriver au septième million.)
Tête de liste aux élections provinciales de Basse-Autriche, qui se sont déroulé début 2018, il était membre d’une corporation étudiante à Wiener Neustadt, une ville située près de Vienne. Cette corporation, appelée « Germania », avait été fondée durant la Première Guerre mondiale et prônait le nationalisme allemand et le pangermanisme.
Le chancelier autrichien Sebastien Kurz n’a pas manqué de réagir tout de suite à la polémique que suscita cette affaire. Il a ainsi déclaré dans la presse qu’il comptait dissoudre cette organisation.
Une ambiguïté idéologique et historique savamment entretenue
Ce n’est pas la première fois que le FPÖ est accusé d’entretenir une ambiguïté idéologique et historique vis-à-vis du national-socialisme. Les élus, cadres et membres du FPÖ arboraient souvent le bleuet à leur boutonnière, considéré comme un signe de ralliement à la période nazie.. Ils y ont renoncé en 2017, lors de leur entrée au Parlement autrichien.
De nombreux observateurs ont vu dans ce changement intervenu une communication politique visant à prouver que le FPÖ était un parti respectable qui n’avait rien à voir avec le nazisme. Cette stratégie de « dédiabolisation » est courante dans les partis d’extrême droite qui aspirent à gagner en « respectabilité ». Néanmoins, il convient de souligner que, si les élus ne portent plus le bleuet, les militants continuent, eux, à le porter « fièrement » lors des manifestations politiques.
C’est aussi par un lexique sciemment employé et inspiré du vocabulaire nazi que le FPÖ sème la confusion. Pour preuve, le ministre autrichien de l’Intérieur, Herbert Kickl a évoqué, récemment, la possibilité de « Konzentrieren » (concentrer) les demandeurs d’asile dans des centres adaptés. Ce terme, faisant clairement référence aux camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale, n’a pas manqué de susciter l’indignation de la classe politique autrichienne.
Une imprégnation qui vient de loin
Petit retour en arrière : essayons de comprendre les raisons pour lesquelles le FPÖ est fortement imprégné du national-socialisme.
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Autriche va retrouver un système démocratique avec une nouvelle Constitution. Ses deux premiers articles sont d’ailleurs explicites. Ainsi, l’article 1 stipule que « La République démocratique d’Autriche est rétablie et sera dirigée dans l’esprit de la Constitution de 1929. » Quant à l’article 2, il insiste bien sur le fait que « L’Anschluss imposé au peuple autrichien en 1938 est nul et non avenu. » Le principal objectif était alors d’opérer la « dénazification » de la société autrichienne.
Ainsi, les premières années d’après-guerre permettaient de laisser penser qu’une formation politique d’extrême droite autrichienne ne verrait jamais le jour. Pourtant, le début des années 1950 va marquer un tournant dans l’Histoire autrichienne en dépit de la vigilance des leaders des partis en place.
En 1955, une nouvelle force politique apparaît : le FPÖ. Il succéda au Verband der Unabhängigen (VdU) (la Fédération des Indépendants), fondée en 1949. Le VdU regroupait en son sein, et il le revendiquait pleinement, de nombreux membres du NSDAP (Parti nazi) expulsés de l’Europe de l’Est. Toutefois, la vie de ce parti, du fait d’une lutte interne entre une approche plus libérale et une approche plus néo-nationaliste, sera de courte durée puisqu’il disparaîtra au profit du FPÖ.
Un choix des mots aux relents nazis
Jörg Haider, l’un des grands dirigeants du FPÖ, s’est servi de ce rapport ambigu à l’Histoire à des fins électorales. Ainsi se plaisait-il à dire, au cours d’interviews ou dans ses discours politiques, que « tout n’était pas si mauvais que cela sous le fascisme » ou encore que « les reproches faits aux nazis étaient peut-être exagérés. » Ses propos, loin d’être anodins, révélaient une orientation politique souhaitée.
En outre, la majorité de son électorat partageait cette ligne idéologique. Pour corroborer cette constatation, notons que nombre de responsables politiques du FPÖ ont eu des accointances avec le nazisme comme, par exemple, le premier chef de parti, Anton Reinthaller, ou encore son successeur, Friedrich Peter, un ancien membre de la Waffen-SS qui dirigea le parti entre 1958 et 1978.
Jörg Haider, à la fin des années 1980, va connaître un certain nombre de succès électoraux en utilisant des slogans inspirés du « Troisième Reich » et un vocabulaire proche de celui des dirigeants nazis entre 1933 et 1945. Par exemple, pour évoquer « l’invasion migratoire » dont serait victime l’Autriche, il emploie sciemment le terme d’« Überfremdung » qui rappelle la persécution dont ont été victimes les Juifs dans l’Allemagne nazie.
En octobre 1989, le FPÖ fait voter en interne par ses militants, une « Resolution zur Ausländerfrage » (résolution sur « la question des étrangers »). La reprise de la formulation : « la question de… » est-elle vraiment anodine ? L’immigration constitue bien un élément primordial du socle programmatique du FPÖ, tout comme la propagande nazie s’appuyait sur une politique antisémite. La « question des immigrés » du FPÖ semblerait ainsi faire écho à la « Judenfrage » (la question juive) de 1941.
Un examen de conscience toujours en attente
Pour être encore plus médiatisé, le FPÖ, sous l’impulsion de Jörg Haider, va dans les années 1990 jusqu’à accentuer son ambiguïté politique concernant la période de la Seconde Guerre mondiale. Raison pour laquelle, lorsque l’Autriche commémore le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre et de l’Holocauste, en 1995, les cadres et militants du FPÖ vont prendre leur distance vis-à-vis du gouvernement autrichien.
Ainsi, lors de rassemblements organisés par les militants du FPÖ, il ne sera pas rare d’entendre des personnes entonner des chants nazis ; ces mêmes personnes étant convaincues aussi que l’Autriche n’a pas à « s’incliner » devant la « pensée unique » européenne. Il faut savoir aussi que, jusque dans les années 1970, les hommes politiques du FPÖ se déclaraient « clairement antisémites ». En 1973, un membre du FPÖ, Hans Klement, déclarea notamment qu’il lui serait impossible de former une coalition politique avec « le Juif Kreiksy ».
L’évolution du FPÖ montre nettement qu’il existe des constantes idéologiques au sein de ce mouvement et la dérive individuelle d’Udo Landbauer ne constitue pas qu’un simple « fait divers ». Plus largement, l’ancrage du FPÖ, et ce d’une manière durable dans le paysage politique national, ne serait-il pas le résultat logique d’une Autriche qui n’a jamais totalement fait son examen de conscience sur son passé ?
Benjamin Rojtman-Guiraud
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