Le 26 juillet 2018, dans son discours de victoire électorale, Imran Khan fut sobre, contrairement au langage très violent qu’il a utilisé tout au long de la campagne électorale. Il a « gagné » 116 sièges de l’Assemblée nationale qui en compte 342, dont 278 sièges sont directement contestés dans le système du scrutin majoritaire uninominal majoritaire à un tour. Il lui manque les 137 sièges nécessaires à la majorité au parlement. Cependant, il y a beaucoup de parlementaires élus en tant qu’« indépendants » qui devraient rejoindre son parti ou voter pour lui.
Des manifestations dans plusieurs villes se déroulent contre le truquage des votes après le scrutin. Pour plusieurs douzaines de candidats qui avaient obtenu la majorité, des « mains inconnues » ont transformé du jour au lendemain ces votes majoritaires en minoritaires. Ces « inconnues » sont connues de tous, mais si vous écrivez avec le bon nom, vous pouvez disparaître pour ce crime. Presque tous les médias commerciaux sont sous contrôle de ces « inconnus ». Les médias sont quotidiennement informés par ces « inconnus », tout cela pour obtenir un mandat favorable pour leur bien-aimé « le grand Imran Khan » qui était autrefois le capitaine du jeu le plus populaire au Pakistan, le cricket, et qui a remporté une coupe du monde pour en 1992. Imran Khan est un politicien conservateur qui a développé ces dernières années son amour magique pour les généraux de l’armée et garde un coin dans son cœur pour les fanatiques religieux.
Ce sont les élections les plus truquées de l’histoire du Pakistan. De la période de préscrutin jusqu’à aujourd’hui le 28 juillet, tous les efforts ont été faits pour qu’Imran Khan obtienne une majorité simple. Avant les élections, il y avait des attaques constantes contre la Ligue musulmane du Pakistan – Nawaz (PML-N), le parti au pouvoir, de la part du pouvoir judiciaire au nom du fait qu’il devait rendre des comptes.
Le PML-N s’est séparé de l’establishment militaire et judiciaire principalement sur deux questions. Le plus important était la suprématie des civils sur l’armée. La deuxième était la relation avec l’Inde. PML-N voulait plus de commerce avec l’Inde et pas de guerre. Mian Nawaz Sharif, l’ancien Premier ministre et politicien de droite, doit payer un lourd tribut pour avoir insisté sur le fait qu’en tant que Premier ministre, c’est lui et non l’armée qui dirige le Pakistan. Il a été évincé par la Cour suprême, disqualifié à vie et purge actuellement une peine de dix ans avec sa fille dans une prison de Rawalpindi.
Quand les dates des élections ont été annoncées, les médias ont décrit Imran Khan comme l’homme politique le plus propre avec un plan pour réduire la corruption. Ses principaux slogans électoraux étaient « changer » et « un nouveau Pakistan ». Des milliards de roupies ont été dépensés en publicité par ses hommes de parti milliardaires. Les plus riches sentent toujours les vents changeants du pouvoir et ils changent en conséquence leurs affiliations politiques. La plupart d’entre eux sont appelés « élus », un politicien qui pourrait dépenser des milliards sur les élections et acheter des votes. Le parti d’Imran Khan, Pakistan Tehreek Insaaf (PTI, Mouvement de la Justice), a vu un afflux de ces « élus » qui ont changé de parti, du PNL-N à PTI sans un soupçon de honte. Ils ont toujours fait de même au moment des élections.
Quand le PML-N a donné des billets (investitures) à leurs probables candidats, des appels téléphoniques ont été faits par ces « inconnus » aux personnes nommées et on leur a demandé de rendre les billets à la onzième heure et de participer aux élections en tant qu’indépendants. Ceux qui ont refusé ont été battus physiquement dans leurs bureaux et leurs maisons. Menaces et intimidations ont fonctionné et environ 40 de ceux qui ont été nommés par le PML-N ont renvoyé leurs billets et ont effectivement annoncé se présenter en tant qu’indépendant.
Pendant la campagne électorale, plusieurs candidats du PML-N ont été arrêtés et certains ont été disqualifiés à vie et envoyés en prison sous prétexte de corruption. Toutes ces mesures donnaient l’impression générale que les institutions militaires et judiciaires voulaient qu’Imran Khan remporte à tout prix les élections générales. Imran Khan a déjà créé un mythe parmi les jeunes selon lequel nous avons besoin d’un changement et d’un gouvernement sans corruption. Il y a eu une euphorie parmi une grande partie de la jeunesse au Pakistan qu’Imran Khan n’est pas corrompu et qu’il a besoin d’être « élu » pour gagner la majorité.
Les deux organisations interdites de fanatiques religieux ont été autorisées à se présenter aux élections par la Commission électorale. La stratégie était que si l’extrême droite participait aux élections, cela réduirait les votes du PML-N qui étaient avait été favorisé par ces groupes religieux dans le passé. Un groupe religieux, le Tehreek Labaik, est devenu le troisième plus grand parti en termes de candidats sur le terrain à travers le Pakistan après le PTI et PML-N.
Plus de 300 000 militaires ont été déployés dans tous les bureaux de vote avec un pouvoir judiciaire pour les officiers militaires à la « demande » de la Commission électorale afin d’assurer une sécurité complète. Cela a été aidé par les terroristes religieux qui ont mené des attaques suicidaires lors d’une réunion publique pendant la campagne électorale, tuant des centaines de personnes, y compris les candidats. Dans une telle attaque, plus de 150 personnes ont été tuées dans le district de Mastung dans la province du Baloutchistan, y compris le candidat. La plupart des groupes de défense des droits de l’homme dans le pays, notamment la Commission des droits de l’homme du Pakistan (HRCP), ont critiqué cette tricherie préélectorale lors de conférences de presse jugeant que ces mesures extraordinaires favorisaient certains partis politiques.
Le jour dit, le scrutin s’est déroulé sans heurt et les militaires étaient omniprésents. Cependant, le travail de truquage a commencé après 22 heures, quatre heures après le début du comptage. Soudain, la plupart des résultats des circonscriptions où la différence était entre 1000-5000 ont été arrêtés. Ensuite, il y a eu une quasi-panne de comptage, qui a refait surface tôt le matin, les élections remportées la nuit ont été perdantes et les candidats PTI ont toujours été les gagnants.
Les résultats finaux ont été retardés pendant plus de 72 heures, cela ne s’est jamais produit auparavant.
Les résultats ont donné pour le PTI 116 sièges, pour le PML-N 63 et pour le PPP 43 sièges au parlement national. Le PPP, sous la direction de Bilawel Bhutto, a amélioré son précédent résultat dévastateur (28 sièges !). Le PPP a gardé le contrôle de l’assemblée de Sindhn avec plus de sièges qu’ils n’en détenaient auparavant, Khaiber Pukhton Khwa a vu le glissement du PTI. Au Pendjab, le PMLN est resté majoritaire avec une réduction drastique des sièges et le PTI a promis de former le gouvernement au Pendjab également avec l’aide des élus « indépendants ».
Les deux groupes religieux fanatiques qui se présentaient n’ont pas eu de siège à l’Assemblée nationale, mais l’un d’entre eux, le Tehreek Labaik, a obtenu deux sièges à l’assemblée du Sind. Ils ont obtenu des scores significatifs. Dans presque toutes les circonscriptions, ils ont obtenu de 1 à 10% des voix et dans certains cas ils ont obtenu plus de 20% des voix. C’est une situation plutôt alarmante.
La gauche n’a disputé que près de 50 sièges nationaux et provinciaux dans tout le Pakistan. Pourtant, Wazeer Ali, du groupe The Struggle, qui fait partie du Left Democratic Front, a remporté le siège d’une assemblée nationale dans l’ancienne zone administrée par le gouvernement fédéral, appelée FATA. La zone est dominée par des fanatiques religieux. La majorité confortable de 16 000 voix d’Ali Wazeer a donné un nouvel espoir aux forces de gauche au Pakistan. Ali Wazeer s’est présenté en tant que candidat indépendant. Il était le leader du mouvement Pashtun Tahafaz qui a organisé cette année des rassemblements publics de masse à travers le Pakistan pour l’indemnisation des victimes de la « guerre contre le terrorisme ».
Dans ma circonscription, Toba Tek Singh, où j’ai disputé les élections de l’Assemblée du Pendjab en 2013, le candidat de l’AWP, Mohammed Zubair, est arrivé en troisième position avec 4586 voix laissant derrière lui les candidats des partis fanatiques religieux et du Parti populaire pakistanais. Je ne me suis pas présenté en tant que candidat en raison de problèmes de santé, cependant, j’ai fait campagne pour notre candidat avec deux rassemblements de masse dans la circonscription.
Presque tous les partis politiques à l’exception de PTI ont qualifié cette élection générale comme étant la plus truquée de l’histoire. Ils ont rejeté les résultats. Le PTI, qui a lancé un mouvement de trois ans contre le truquage lors des élections de 2013 na qualifié cette élection de la plus libre et équitable de l’histoire du Pakistan ; ce fut le seul parti à le dire !
Le nouveau gouvernement est en train de se constituer. Il est évident qu’Imran Khan deviendra le nouveau Premier ministre. Ce nouveau gouvernement sera faible et devra faire face à une grave crise économique. Le ministre des finances désigné par le PTI a déjà suggéré de se tourner vers le FMI pour un nouveau prêt. Les prêts étrangers massifs obtenus de la Chine durant le mandat de cinq ans du PML-N, constituaient l’un des principaux axes de la campagne du PTI. Maintenant, ils n’ont aucune honte à dire, avant même de prendre le pouvoir, qu’ils doivent se tourner vers le FMI.
Le gouvernement essaiera d’améliorer l’assiette fiscale au cours de la période initiale et cela les mettra en contradiction avec le lobby des commerçants qui n’ont pas l’habitude de payer des impôts. Imran Khan a laissé entendre vouloir promouvoir une relation amicale avec l’Inde. Cela ne sera pas fait. Avec un soutien ouvert des généraux de l’armée, il est hors de question d’améliorer les relations entre le Pakistan et l’Inde.
Imran Khan s’est déjà engagé à « négocier » avec les talibans et il a toujours eu une attitude conciliante envers les fanatiques religieux. Il a soutenu des madrasas [écoles coraniques] connues pour être lié aux talibans, leur attribuant des subventions de l’Etat alors qu’il contrôlait le gouvernement du KP en 2013-2018. Dans ce contexte, les partis d’opposition ont annoncé une mobilisation contre les résultats des élections et ont exigé de nouvelles élections. Cependant, ils pourraient ne pas réussir dans cette campagne. Les temps à venir seront intéressants.
Farooq Tariq, 28 juillet 2018