ATTAC fait peau neuve. Pour sortir de deux années noires de crise interne et redevenir un « mouvement populaire tourné vers l’action », l’organisation altermondialiste a modifié son fonctionnement.
Basta la présidence très contestée de Jacques Nikonoff qui, suite à des fraudes avérées lors de sa réélection, a été contraint à la démission en août. Composé en majorité des « refondateurs », le nouveau conseil d’administration élu début décembre a tranché : les décisions et les grandes orientations seront désormais prises de manière collégiale. Et pour ébaucher cette nouvelle page dans l’histoire d’ATTAC, deux nouvelles têtes assurent la coprésidence.
La première s’appelle Aurélie Trouvé. À vingt-sept ans, cette ingénieure agronome et chercheuse en économie, jusque-là responsable du comité de Côte-d’Or, symbolise la volonté de rénovation d’ATTAC. À ses côtés, Jean-Marie Harribey, membre du conseil scientifique et maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux IV.
Face à la chute du nombre d’adhérents et les finances déficitaires de l’organisation, les deux présidents se retroussent les manches. Premier défi de taille : injecter les préoccupations du mouvement altermondialiste dans le débat d’idées des campagnes présidentielle et législative. Pour ce faire, sort aujourd’hui en librairie un Manifeste altermondialiste d’une centaine de pages pour « construire un monde solidaire, écologique et démocratique ».
C’est le fruit à petit prix (2,50 euros) d’un travail de réflexion de neuf mois des adhérents, comités locaux et commissions nationales, synthétisé lors de l’université d’été 2006 à Poitiers. « Tout donne à penser que la question d’une alternative au néolibéralisme ne sera pas la caractéristique première des programmes des principaux candidats, peut-on lire dès l’avant-propos du texte, également disponible sur Internet. En plus du livre édité chez Mille et une nuits, une version abrégée de quatre pages a été tirée à 100 000 exemplaires.
À l’instar d’une initiative similaire lors de la présidentielle de 2002, le texte se veut un panel plus abouti des conséquences néfastes du néolibéralisme du local à l’international, tant en termes sociaux, économiques, politiques, culturels qu’écologiques. Mais pour la version 2007, l’organisation a axé sur la proposition d’alternatives concrètes. Sont ainsi lancées en pature citoyenne 105 propositions pour « scier les sept piliers du néolibéralisme ».
Fidèle à la conception de convergence des luttes, le conseil d’administration a officiellement décidé de ne pas donner de consigne de vote. Reste que plus d’un an et demi après la victoire du « non » au projet de traité constitutionnel européen, pour lequel elle affirme avoir « joué un rôle déterminant », ATTAC aimerait profiter des débats électoraux pour retrouver un dynamisme de fond.
Christelle Chabaud
Une page s’est-elle tournée à ATTAC ?
Aurélie Trouvé. La collégialité devient le mode de fonctionnement non contesté de l’organisation. Le nouveau conseil d’administration est une équipe rajeunie, féminisée, avec une diversité de compétences... À nous d’en profiter. De notre fonctionnement en interne découlera aussi notre capacité à restaurer la confiance avec le reste du mouvement altermondialiste. Les relations doivent se renouer dans la construction - d’événements.
Jean-Marie Harribey. La situation d’ATTAC a été clarifiée par des élections légitimes entachées d’aucune irrégularité. La période difficile, due à la crise interne mais aussi plus généralement aux questionnements sur la place de l’altermondialisme aujourd’hui, est derrière nous. Désormais de nouveaux défis se posent. Après une dizaine d’années d’existence, une mutation s’amorce dans le mouvement altermondialiste. L’attitude critique de dénonciation des méfaits du néolibéralisme ne suffit plus. Il faut élaborer progressivement des propositions à l’échelle locale, européenne et mondiale pour réellement mettre à mal cette phase du capitalisme où tout a été subordonné aux exigences des marchés financiers. Le livre se veut symbole de cette avancée et tente une mise en cohérence synthétique des propositions déjà formulées.
Justement, le Manifeste altermondialiste est sorti ce matin en librairie (lire ci-contre). Pensez-vous pouvoir lui frayer une place dans la campagne - électorale ?
Jean-Marie Harribey. Cela sera plus difficile encore que lors de la bataille contre la réforme des retraites ou le traité constitutionnel européen car il y a une focalisation politique et médiatique sur les candidats officiels. ATTAC n’est pas un parti politique, ne se présentera pas aux élections présidentielles et ne soutiendra aucun candidat. En revanche, par des interventions publiques, des soirées, des conférences... nous allons tout faire pour mettre la démocratie, les objectifs sociaux et écologiques au centre du débat politique. Evidemment nous saisissons l’opportunité de la proximité des élections pour avancer nos idées. Mais dans notre esprit, cela va au-delà des échéances de 2007. Poser les fondements d’un autre ordre international, abattre les sept piliers du néolibéralisme, ne sont pas des enjeux qui vont se résoudre en 2007. Avec ce Manifeste, nous mettons un document en débat sur la place publique qui n’est pas seulement un prêt-à-penser pour construire clé en main.
Aurélie Trouvé. Le but du Manifeste est aussi de briser le carcan politicien, en y injectant la question internationale par exemple. Tout porte à penser que cette dernière sera absente de la campagne électorale. Or dès juin, le nouveau président devra représenter la France au G8 en Allemagne et adopter une position quant à la volonté d’Angela Merkel de remettre le traité constitutionnel européen sur la table.
En filigrane tout au long du livre, vous alertez sur la mise en danger de la démocratie...
Jean-Marie Harribey. Si l’on veut revivifier la démocratie, il faut inventer de nouvelles articulations entre les formes de représentations politiques nécessaires à l’expression démocratique et des formes d’interventions plus directes dans laquelle l’intervention citoyenne est possible. Particulièrement malmenée par le néolibéralisme, on n’évoque jamais l’absence de démocratie dans l’entreprise. Or, c’est un point essentiel pour remettre en cause ce qui fait le cœur du système capitaliste, c’est-à-dire le pouvoir des actionnaires. La réduction du temps de travail est ainsi intéressante dans le lien entre l’obtention de droits sociaux et les exigences démocratiques car elle a pour vertu de donner du temps pour l’insertion des citoyens dans la vie de la cité. La démocratie, ça prend du temps.
Aurélie Trouvé. Il est anormal que les citoyens aient autant de difficultés à faire entendre leur avis sur la vie économique de la France. À l’échelle de l’Union européenne, le défaut démocratique est plus criant encore puisque les peuples n’ont pas de prise sur les décisions de la Commission européenne. Pour rééquilibrer ces lacunes, nous proposons entre autres un référendum européen d’initiative populaire par une pétition rassemblant cinq millions de signatures, le droit de vote aux étrangers non communautaires à partir d’un temps de résidence à déterminer, l’instauration d’une citoyenneté européenne de résidence... Tout cela est réalisable si le système éducatif s’acquitte de sa mission de formation à la démocratie. L’éducation civique doit devenir un temps important de l’enseignement.
Que pensez-vous des annonces gouvernementales sur le droit au logement opposable, qui fait partie des mesures que vous préconisez ?
Aurélie Trouvé. C’est une avancée mais il faut faire attention à ne pas être enfermé dans une vision idéaliste du droit au logement. Il faut faire attention que cette problématique de société ne retombe pas sur les élus locaux, que cela ne devienne pas un moyen de concentrer les compétences sur les communes, en particulier les plus pauvres. La responsabilité de l’Etat est de premier plan. Le droit au logement opposable doit s’accompagner d’un travail sur l’équilibre de l’aménagement du territoire, et d’un véritable service public national du logement.
Comment expliquer le recul des - régulations publiques ?
Jean-Marie Harribey. La place qu’accorde le néolibéralisme aux services publics se révèle de plus en plus rabougrie du fait de l’ouverture à la concurrence et à la menace de restriction de capacité budgétaire, par application du nouveau dogme sur la diminution des impôts et les prélèvements obligatoires. De manière logique, le tarissement partiel des recettes publiques oblige alors à diminuer les dépenses publiques et donc à restreindre l’offre en matière de services publics. Les privatisations des postes, des télécommunications, du transport ferroviaire ou dernièrement de l’énergie sont dans ce sens des cas d’école.
Aurélie Trouvé. Un certain nombre de tâches étant ainsi renvoyées dans la sphère domestique, les femmes se retrouvent à jouer le rôle d’amortisseur social de la suppression des services publics. Dans la même veine, elles servent également de variable d’ajustement pour les entreprises en cas de ralentissements de l’activité économique. Par le temps partiel et plus largement la précarisation du travail, on fragilise les femmes.
Qu’entendez-vous par « dénaturation » des politiques publiques ?
Aurélie Trouvé. La dénaturation correspond à une libéralisation de l’économie, c’est-à-dire à une déréglementation, à une levée de tous les obstacles pour les actionnaires et pour les spéculations financières. Le but : que les grands propriétaires de capitaux soient gagnants.
Jean-Marie Harribey. ATTAC s’est créée sur l’idée de la taxe Tobin, sur les transactions de change. Progressivement, cette idée s’est élargie pour aboutir à celle de taxes globales. Celles-ci ont pour but, étant prélevées à une échelle internationale, de financer les biens publics et la protection des ressources vitales. Les taxes globales sont un moyen concret et opérationnel pour rebâtir un ordre international qui mette au premier rang la préservation des besoins essentiels et inaliénables. C’est une idée qui progresse.
Au moment où beaucoup d’entreprises délocalisent, vous expliquez qu’il est possible de relocaliser. Que préconisez-vous ?
Jean-Marie Harribey. Nous voulons montrer que la fermeture d’entreprise, décidée par des investisseurs internationaux, n’est pas une fatalité. Il faut trouver un équilibre entre un échange libéral international et un protectionnisme forcené. La délocalisation doit redonner un sens au territoire. Le capitalisme de cette fin de XXe siècle a fait éclater l’unité du corps social. Il s’agit donc de retrouver une forme de cohésion sociale sur le plan politique, économique, démocratique et culturel.
Aurélie Trouvé. Il faut des mesures restrictives sur le pouvoir de délocalisation de certaines entreprises mais cela passe aussi par des mesures d’encouragement de l’économie solidaire et des circuits courts. Dans l’agriculture, on peut aider les coopératives qui vendent des produits locaux. Au niveau international, nous proposons une régulation politique des marchés tout en accordant le droit à la souveraineté alimentaire, en particulier pour les pays du Sud. Dans cette nouvelle régulation politique des marchés, il faut une suppression des subventions aux exportations, qui ruinent les agricultures du Sud.
Quel rôle devrait jouer l’Europe ?
Jean-Marie Harribey. La vague d’élargissement bat son plein et nous pensons qu’il faut la subordonner à une augmentation du budget européen. Nous proposons de placer la Banque centrale européenne sous contrôle des institutions politiques et du peuple. Elle ne rend des comptes qu’aux marchés financiers. Mais, à ATTAC, il reste en débat la question de la reprise du processus constituant soit de manière radicalement différente soit l’abandon de l’idée même d’une constitution pour l’Europe. Enfin l’Europe a, de par son histoire, une responsabilité qu’il faut assumer. Elle doit proposer des réformes de la Banque mondiale, l’OMC ou le FMI.
Aurélie Trouvé. On a un processus original, en lien avec le manifeste, qui se traduit par une recherche de propositions d’alternatives communes avec les autres ATTAC d’Europe, malgré des divergences liées à des cultures et des histoires différentes. Prochainement, nous allons lancer un projet de document commun avec les autres ATTAC d’Europe. Une série de propositions est en cours d’élaboration et nous souhaitons que l’anniversaire des 50 ans du traité de Rome soit une des occasions de les porter sur la place publique. On ne peut que regretter le peu d’impact que le non à la Constitution a suscité dans la vie politique - française.
Vous insistez beaucoup sur les liens entre enjeux sociaux et environnementaux. Quelles sont vos analyses sur cette nouvelle préoccupation ?
Jean-Marie Harribey. C’est un des fils conducteurs du manifeste et une des préoccupations essentielles des comités locaux d’ATTAC. Les dangers écologiques menacent la planète et l’espèce humaine. Cette prise de conscience s’articule avec l’aspect social. La dégradation écologique touche les plus pauvres. S’il y a une élévation du niveau des mers consécutives au réchauffement climatique, ce sont les régions côtières les plus pauvres du monde qui seront noyées les premières. Cela exige de redéfinir radicalement le développement. Au sein d’ATTAC et de l’altermondialisme, le débat reste ouvert. Il y a ceux qui préconisent la décroissance, et ceux qui disent que ce mot d’ordre n’est pas adapté à l’humanité entière et qu’il faut redéfinir le développement sur d’autres bases. L’une des responsabilités de l’altermondialime du XXIe siècle sera de réussir cette articulation-là, sinon la transformation sociale sera bancale.
Le Forum social mondial s’ouvre - samedi à Nairobi. Que peut-on en - attendre ?
Aurélie Trouvé. Ce Forum se tient dans un pays africain, on ne peut que s’en féliciter. Au niveau mondial, le processus s’étend. Au niveau européen, il y a une certaine pause. Pour le Forum de 2008, nous comptons bien toucher l’ensemble des pays européens et associer ldes acteurs sociaux. Ces forums se limitent à des débats et des discussions sans initiatives concrètes. Ce sont des rendez-vous indispensables pour la poursuite du mouvement et pour la recherche d’alternatives.
Jean-Marie Harribey. Depuis la création du FSM à Porto Alegre en 2001, il y a eu une prise en compte de tous les aspects de l’altermondialisme et des mouvements sociaux dans tous les continents. Une délégation d’ATTAC sera présente à Nairobi. Aujourd’hui, la question de la finalité des forums sociaux reste d’actualité. Doivent-ils rester un lieu de débats généraux ou peut-il y avoir une étape supplémentaire, lieu d’élaboration de mesures et d’actions alternatives concrètes alternatives ? C’est l’enjeu du quatrième jour du forum qui doit se saisir de la question des campagnes et des mobilisations futures.