Quel rapport existe-t-il entre l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, la Mongolie, la Pologne, le Salvador et Taïwan ? Réponse : ils font partie de la « troisième vague » de démocratisation, celle qui s’est développée après la chute du mur de Berlin. C’est du moins ce qu’expliquent les autorités taïwanaises, qui, à l’initiative du président Chen Shui-bian, ont convié, il y a quelques jours à Taïpeh, les représentants des cinq autres pays.
Les cinq pays invités étaient tous représentés par des « ex », d’anciens chefs d’Etat qui ont quitté le pouvoir voilà quelques années. Il ne pouvait guère en être autrement. Mis à part le Salvador, aucun de ces pays n’a de relations diplomatiques avec la République de Chine, dénomination héritée de la Chine précommuniste, après que les nationalistes menés par Tchang Kaï-chek se furent réfugiés sur l’île de Taïwan en 1949. Leurs représentants officiels n’auraient pu être présents sans s’exposer à l’ire de Pékin et la liste des invités avait été tenue secrète pour éviter les pressions.
Les cinq « anciens » avaient quelques droits à être là. Tous ont présidé d’une manière ou d’une autre, au passage d’un régime répressif, autoritaire, voire dictatorial, à la démocratie : Frederik De Klerk en contribuant à mettre fin à l’apartheid, Lech Walesa en dirigeant les grèves contre le pouvoir communiste, Kim Young-sam en étant le premier président élu démocratiquement en Corée, le Mongol Punsalmaagiyn Ochirbat en ayant mis à profit l’effondrement de l’URSS et Francisco Florès en participant au désarmement et à la réinsertion des guérilleros salvadoriens.
Les thèmes du débat avaient été choisis en fonction des préoccupations des Taïwanais. Le rôle de la justice dans la période de transition fait débat sur l’île. Après l’arrivée au pouvoir, en 2000, du président Chen Shui-bian et de son Parti démocratique progressiste, beaucoup s’attendaient à un examen des quarante années de « terreur blanche » (1947-1987) pendant lesquelles Taïwan a vécu sous la loi martiale, et des pratiques du Kuomintang, qui s’est enrichi sur le dos de la collectivité tandis que ses dirigeants s’enrichissaient aux dépens du parti. Il n’en a rien été. Le président, dont la femme est l’objet d’une enquête pour corruption, en fait un thème de bataille politique, mais aucun retour sur le passé n’a été entrepris, contrairement à ce qui s’est passé en Afrique du Sud avec la Commission vérité et réconciliation.
Le deuxième thème, les institutions de la période de transition, avait aussi une résonance locale. Taïwan vit encore avec la Constitution de la République de Chine (nationaliste), qui date de 1926. Elle a été amendée six fois entre 1991 et 1997, mais conçue pour la Chine tout entière (qui englobait encore la Mongolie...), elle est inadaptée à un Etat démocratique moderne de 23 millions d’habitants. Toutefois, toute tentative de donner à Taïwan une nouvelle Loi fondamentale serait interprétée par les autorités communistes de Pékin comme une réfutation du principe « une seule Chine », comme un pas vers l’indépendance de l’île, donc comme un casus belli.
Chen Shui-bian agite de temps en temps l’idée d’un référendum, mais les Américains, vrais garants de la survie de Taïwan, l’incitent à la prudence. La ligne officielle se borne à répéter qu’il reviendra aux Taïwanais de décider un jour de leur destin. Selon les sondages, l’écrasante majorité est, faute de mieux, pour le maintien du statu quo. Une situation où Taïwan est indépendant sans pouvoir proclamer son indépendance, sans être membre des organisations internationales, en ayant des relations diplomatiques avec une poignée de petits Etats dont le nombre se réduit. Un statu quo politique est-il tenable alors que l’intégration économique entre Taïwan et la Chine continentale progresse à un rythme accéléré ?