La une anxiogène du Sun de Vancouver, ce samedi 3 juillet, ne laisse aucun doute sur l’horreur en vigueur : cette vague de chaleur spectaculaire et accablante qui s’est abattue sur le nord du continent américain. Au Canada, elle a déjà causé environ 700 morts (trois fois plus qu’en temps normal) et provoqué, en Colombie-Britannique, plus de 150 incendies – dont 89 pour les seuls deux derniers jours.
Le symbole de ce phénomène est sans doute Lytton, partie en fumée. Situé à 250 kilomètres au nord-est de Vancouver, soudainement connu pour avoir enregistré cette semaine un record national de chaleur à 49,6 degrés, le village a été détruit à 90 %, « y compris le centre-ville », a annoncé le député du cru, Brad Vis. L’incendie s’est déclenché mercredi et la coroner en chef de la Colombie-Britannique, Lisa Lapointe, a déclaré vendredi 2 juillet, au cours d’une conférence de presse, que deux personnes auraient trouvé la mort dans le brasier de Lytton, mais qu’une enquête ne pouvait encore être menée tant le secteur reste dangereux.
Le directeur des opérations provinciales du service contre les incendies de forêt, Cliff Chapman, a précisé que les équipes étaient en « alerte rouge » à Lytton mais qu’elles ne pouvaient « pas grand-chose » pour contrôler la propagation rapide de l’incendie. Selon lui, de nombreux membres du personnel local auraient vu leurs propres maisons brûler tout en aidant la communauté à évacuer les lieux – le petit millier d’habitants de Lytton et de ses environs n’a eu que quelques minutes pour déguerpir mercredi 30 juin au soir.
Cliff Chapman a ajouté, vendredi 2 juillet lors d’une conférence de presse : « Nous anticipons au cours des sept prochains jours en quelque sorte la tendance dans laquelle nous sommes actuellement, qui verra des températures supérieures à la saison, avec un peu plus d’influence du vent que lorsque nous étions sous le dôme de chaleur, ce qui encore une fois remettra en cause nos efforts de lutte contre les incendies. »
Il a spécifié que rien que pour la journée du jeudi 1er juillet, les tempêtes avaient provoqué 12 000 éclairs. Face à cette situation cataclysmique, le service contre les incendies de forêt travaille avec le gouvernement fédéral et l’armée canadienne. M. Chapman a estimé qu’entre 2 500 et 3 000 personnes combattent actuellement les incendies au sol et par voie aérienne.
« Le premier ministre et tous les ministres ont convenu qu’il fallait que le gouvernement du Canada soit là pour la Colombie-Britannique et qu’il lui offre les ressources nécessaires afin de l’aider à gérer la situation et à assurer la sécurité de tous », a indiqué le bureau de Justin Trudeau dans un communiqué, au soir du 2 juillet. Le texte souligne que les « besoins en soutien pourraient augmenter au cours de l’été ».
Une telle volonté ainsi proclamée semble dérisoire face aux éléments déchaînés. La prise de conscience que le phénomène est mondial, lié au dérèglement du climat et donc sans doute d’origine anthropique commence enfin à gagner l’esprit public planétaire. Il apparaît désormais vain et criminel de s’aveugler en attendant que passe le phénomène à l’autre bout du monde ou même du pays.
D’autant que les foyers d’inquiétude se multiplient. La Californie, habituée des méga-incendies depuis les années 1980 avec des records d’incandescence à l’été 2020, a enregistré plus de cinq cents éclairs dans les dernières 24 heures. Trois feux de forêt ont anéanti plus de 15 000 hectares dans le nord de cet État. L’Oregon et l’État de Washington ont été harassés toute la semaine par des températures records. La sécheresse y est telle que tout départ d’incendie peut prendre des proportions horrifiques.
Au Canada, outre la Colombie-Britannique, des provinces centrales comme l’Alberta, la Saskatchewan, ou encore le Manitoba vivent sous la menace. En Saskatchewan, dix-neuf feux sont actifs donc cinq échappent à tout contrôle. Exemple le plus spectaculaire, le brasier qui ravage la mine de Cigar Lake – son gisement d’uranium à haute teneur en fait le deuxième site le plus important au monde après celui de McArthur River également canadien. La production a été suspendue, 230 travailleurs de la mine ont été évacués – environ 80 personnes demeurent sur place pour tenter d’assurer la sécurité des lieux.
Dans ce sinistre palmarès éclaté, évolutif et redoutable, la Colombie-Britannique fait figure de symbole terrifiant. Ce samedi 3 juillet, un éditorial du Devoir de Montréal, sous le titre « Une vallée de la mort au Canada », constate sans fard : « Une partie de la Colombie-Britannique est sous un dôme de chaleur qui lui donne les allures d’une “vallée de la mort”, comme dans le désert du Mojave, en Californie. » Son auteur, Bryan Miles, ajoute ceci, qui semble faire écho à la pandémie de Covid-19 : « Cette chaleur infernale qui englobe également l’Alberta et six États du nord-ouest des États-Unis est lourde de conséquences funestes. Les urgences débordent, le personnel de la santé et les premiers répondants ne savent plus où donner de la tête. »
Voici l’avenir que nous léguerons à nos enfants
Bryan Miles, éditorialiste au « Devoir » de Montréal
Surtout, l’éditorialiste du Devoir ne se contente pas de fixer le phénomène aux abords du Pacifique mais le situe dans une dynamique n’ayant pas vocation à épargner quelque territoire que ce soit : « Les morts de la Colombie-Britannique, le sentiment de désespoir des ménages qui s’accrochent à leur air conditionné comme si leur vie en dépendait, les difficultés de la sécurité civile pour répondre à une crise dont l’ampleur n’a d’égale que la vélocité, l’impossibilité de dompter les forces de la nature déréglée : voici l’avenir que nous léguerons à nos enfants. »
Bryan Miles enfonce ainsi le clou : « Les sécheresses, les feux de forêt, les pénuries d’eau pour les agriculteurs, l’érosion des berges, les inondations saisonnières, les ouragans, les tornades (même à Mascouche), la hausse du niveau des mers : voilà autant de signaux d’alarme. Ces cataclysmes existaient auparavant, mais les voilà amplifiés par le réchauffement climatique, tant en récurrence et en intensité qu’en distribution géographique. »
Et son éditorial du 3 juillet cite Alain Webster, professeur à l’Université de Sherbrooke et président du comité consultatif sur les changements climatiques du gouvernement du Québec, qui vient de déclarer au Téléjournal de Radio-Canada : « Il n’y a pas un secteur qui est à l’abri de ce volet changement climatique. »
Certes, les signaux demeurent contradictoires. La coroner en chef de la Colombie-Britannique, Lisa Lapointe, par exemple, a livré des données faussement rassurantes – sinon cyniques – sur les morts sous l’effet de la chaleur : « La plupart étaient des personnes âgées vivant seules dans des habitations peu ventilées. » Cependant, l’état d’esprit général va vers une prise de conscience universelle, là encore concomitante à la pandémie de Covid-19 : chacun, où qu’il se trouve, quelle que soit sa fortune ou son niveau d’éducation, est concerné ou finira par l’être. Il n’y aura pas de passe-droit, la solution sera globale ou ne sera pas. « Nous sommes tous à quelques degrés près d’entrer dans la vallée de la mort », conclut Bryan Miles dans son éditorial du Devoir – titre de presse qui prend tout son sens…
Antoine Perraud