La semaine dernière, dans les provinces de Khyber Pakhtunkhwa et du Punjab, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI ou Mouvement du Pakistan pour la justice) – la formation politique de l’ancien Premier ministre Imran Khan contraint à la démission au printemps dernier – et ses alliés ont annoncé mettre un terme à leur participation au gouvernement de ces deux provinces sensibles à bien des égards. Un retrait ourdi de longue date par l’ancien capitaine de l’équipe nationale de cricket ouvrant mécaniquement la voie, selon la lettre d’une Constitution qui fêtera cette année son soixantième anniversaire, à l’organisation d’ici fin avril d’un scrutin législatif dans ces deux provinces du nord et de l’est du pays. Évoquée il y a quelques semaines, cette décision prise par l’ancien chef de gouvernement ne prend personne de court au Pakistan et s’inscrit dans la stratégie d’Imran Khan reconvertie en politique visant à pousser son successeur Shebhaz Sharif (PML-N) à convoquer de manière anticipée un scrutin législatif général, que le PTI et son chef estiment être en bonne position de remporter à nouveau [1].
Par ailleurs, depuis la démission précipitée [2] du gouvernement Khan en avril dernier, les élus du PTI et ses alliés boycottent les bancs de l’Assemblée nationale. Le week-end dernier, le 22e chef de gouvernement pakistanais avait laissé entendre que les élus de son parti pourraient à court terme réintégrer les bancs du parlement, ce qui mettrait à l’épreuve le bon fonctionnement du pouvoir législatif et éprouverait les nerfs – déjà fort émoussés – du fébrile gouvernement Sharif. Du reste, en début de semaine, le président de l’Assemblée nationale « acceptait » la démission des 35 députés du PTI présentées neuf mois plus tôt, en avril dernier. Une validation impliquant que des élections partielles pour ces sièges parlementaires aujourd’hui officiellement vacants devront être organisées en même temps que les scrutins au Punjab et en Khyber Pakhtunkhwa.
Ce contexte politique et institutionnel fébrile se superpose dans la douleur à un cadre économique et comptable éminemment sinistré et à un environnement sécuritaire toujours fort dégradé par l’inflation terroriste. Il y a deux semaines, les autorités révélaient que les réserves de changes du pays avaient atteint début janvier leur plus bas niveau historique, la State Bank of Pakistan disposant d’à peine plus de 4 milliards de dollars dans ses registres. De quoi tout juste financer l’équivalent de trois semaines d’importation. Dernièrement, la Banque Mondiale estimait que « la croissance économique pakistanaise n’était pas seulement en déclin, mais faisait également baisser le taux de croissance régional », attribuant une partie de ces tourments aux incidences considérables des inondations historiques dans près du tiers du territoire national. « Les besoins en matière de redressement et de reconstruction devraient représenter 1,6 fois le budget de développement national pour l’exercice 2022-23 » redoute l’institution multilatérale, ce, dans un contexte persistant d’inflation rédhibitoire (25 % en décembre 2022, selon un ancien ministre pakistanais des Finances).
Quant aux longues négociations menées depuis des mois entre des représentants du gouvernement et la direction du Fonds Monétaire International (FMI) en vue d’obtenir une aide financière d’urgence de plusieurs milliards de dollars, le moins que l’on puisse dire est qu’elles tardent à se traduire par un résultat comptable concret pour les finances exsangues pakistanaises. « Le FMI s’est certes engagé sur un prêt de 7 milliards de dollars, mais celui-ci n’a été versé qu’à moitié à Islamabad, le gouvernement pakistanais rechignant à respecter les conditions de l’institution de réduire les subventions au secteur de l’énergie et d’augmenter les recettes fiscales », précisait utilement ces derniers jours la presse de l’Hexagone.
OFFENSIVE MILITAIRE ANTITERRORISTE EN VUE ?
Sans réelle surprise, dans ce panorama général préoccupant à tous les égards ou presque, la bouffée d’air ne viendra hélas guère en ce début d’année 2023 du champ sécuritaire, lui aussi sinistré à répétition. Ainsi lors de la première quinzaine de janvier, les talibans pakistanais (Tehrik-e-Taliban Pakistan ou TTP) auraient revendiqué rien de moins que 23 attentats terroristes au niveau national. Ces derniers jours, à Islamabad et Rawalpindi, siège de l’omnipotente Pakistan Army et des services de renseignements (ISI), face à cette volumétrie préoccupante [3] à plus d’un titre on évoque de plus en plus fréquemment le possible lancement à court terme par l’armée d’une vaste offensive antiterroriste ciblant à la fois les talibans pakistanais (TTP) dans la Khyber Pakhtunkhwa et les rebelles séparatistes actifs dans une autre volatile province du pays, le Baloutchistan. Une région sous haute surveillance – car étroitement associée aux divers projets sino-pakistanais de développement économique et industriel, comme dans le port stratégique de Gwadar. Projet en lien avec le China-Pakistan Economic Corridor (CPEC) et les très controversées « Nouvelles routes de la soie » (Belt & ; Road Initiative, BRI) chère au président Xi Jinping. Cette dernière est pourtant ciblée de diverses manières (destructions matérielles, assassinats ciblés, attentats et attaques contre les forces de sécurité) et à espace rapproché par une insurrection locale baloutche résiliente et déterminée. Laquelle n’hésite guère à s’en prendre directement aux ressortissants chinois œuvrant sur cette kyrielle de chantiers, voire à Karachi même, comme le 28 septembre dernier. Au point d’agacer très sérieusement les autorités pékinoises.
Porté par un indiscutable soutien populaire, un égo et une confiance en soi défiant l’entendement, animé de la certitude d’un retour au pouvoir par les urnes lors d’un scrutin national organisé au plus tôt, l’ancien Premier ministre Imran Khan est tout à fait capable de pousser la défiance plus loin encore. Non sans danger, car ses rapports sont désormais moins étroits avec la très influente caste des généraux, aujourd’hui très réservée à son endroit.
À Islamabad, Karachi, Lahore ou Peshawar mais également en dehors du pays (Washington, Paris, Londres ou Berlin), certains observateurs redoutent l’instabilité politique actuelle, plus encore aggravée par la dissolution des deux assemblées provinciales et les démissions en masse des élus de l’opposition à l’Assemblée nationale. Provoquera-t-elle à court terme une énième intervention des généraux au pouvoir, sous une forme ou sous une autre ? Doit-on croire les déclarations publiques fin 2022 du chef des armées assurant que l’institution martiale en avait une fois pour toutes terminé avec l’ingérence dans la gestion des affaires politiques nationales ?
Olivier Guillard