SonSon féminisme, Pascale Martin l’emporte partout avec elle. Longtemps militante de terrain, engagée dans la lutte contre les violences de genre, elle est désormais députée à l’Assemblée nationale, élue La France insoumise (LFI) dans un groupe qui s’est déchiré face à l’affaire Quatennens. La parlementaire de Dordogne a été l’une des rares à s’opposer vivement à la défense de son collègue, récemment condamné pour violences conjugales, et au soutien que lui a apporté Jean-Luc Mélenchon.
Dans son bureau, en face du Palais-Bourbon, le livre imposant coordonné par l’historienne Christelle Taraud, Féminicides. Une histoire mondiale (Seuil, 2022), trône en bonne place, à côté des œuvres de Jean Jaurès et de l’ouvrage collectif Penser Salman Rushdie (L’Aube, 2022). Sur une table, traîne un courrier envoyé par des militant·es anti-avortement, sur lequel est scotché un petit fœtus en plastique. Une conséquence du débat pour la constitutionnalisation de l’IVG, auquel Pascale Martin a pris une part active. Entretien.
Mediapart : Le 10 janvier, la première ministre Élisabeth Borne a insisté sur la meilleure prise en compte des carrières hachées, typiques de la vie professionnelle des femmes, dans son projet de réforme des retraites. Qu’en pensez-vous ?
Pascale Martin : Elle ment ! Les femmes reçoivent déjà entre 18 et 25 % de salaire en moins, puis 40 % de retraite en moins que les hommes. Elles ont des carrières hachées. Ce sera donc encore plus difficile pour elles avec cette réforme.
Une grande partie de la gauche s’est opposée à toutes les réformes précédentes sur le régime des retraites. Le système existant est pourtant très inégalitaire. Peut-on s’en satisfaire ?
Non ! D’abord, si les femmes étaient payées autant que les hommes, cela engendrerait plus de cotisations, et cela permettrait de combler le prétendu déficit des caisses de retraite. Cela implique de pénaliser les entreprises qui n’appliquent pas l’égalité salariale. Enfin, il faut proposer aux femmes des emplois à temps plein, alors qu’elles occupent 80 % des emplois à temps partiel.
À la fin, on arrivera à des retraites plus satisfaisantes pour les femmes.
En attendant, j’espère qu’elles vont se mobiliser. Debout les femmes ! Mais évidemment, quand on a un salaire partiel et des enfants à charge, faire grève est compliqué. Localement, les députés de mon groupe s’engagent à soutenir les caisses de grèves et j’y tiens beaucoup.
Lors de la manifestation syndicale du 19 janvier, on a vu une très forte mobilisation dans des petites villes ou des villes moyennes. Comment l’expliquez-vous ?
À Périgueux [en Dordogne – ndlr], il y avait 10 000 personnes. C’est du jamais-vu. Il y a un vrai ras-le-bol des conditions de travail. Le travail tue, et beaucoup de femmes et d’hommes salariés sont à la limite du burn-out.
Samedi 21 janvier, alors que LFI appelait à défiler « pour nos retraites » à Paris avec des organisations de jeunesse, vous êtes restée à Périgueux. C’est là que va se jouer le rapport de force selon vous ?
Les gens n’ont pas forcément la force d’aller manifester à Paris. Mais localement, ils ont envie de dire : « On ne veut plus de ça. » Et puis, ces manifestations locales retissent du lien entre les gens. Après plusieurs années de Covid, où le lien social a été cassé, c’est important.
Aujourd’hui, les gens pensent qu’il n’y a plus de qualité de vie, qu’il n’y a plus de bonheur à vivre. C’est ce qu’il faut retrouver. Parfois, il suffit de choses modestes pour le retrouver, on n’a pas besoin des milliards de Bernard Arnault ! En attendant, c’est ce monde-là, le monde du gouvernement Macron.
Selon vous, les ministres, l’exécutif voient-ils cette réalité, dure, que vous décrivez ?
Je pense qu’ils s’en foutent. Je viens d’un milieu modeste. Je n’ai pas connu de grandes difficultés dans ma vie. Quand on débarque à l’Assemblée nationale, et qu’on voit qu’il y a 19 ministres millionnaires au gouvernement, on se rend compte qu’on n’a pas vécu dans le même monde. Ils ne voient pas cet écart. Eux, ils n’ont pas envie de redonner du bonheur à vivre aux gens.
Récemment, vous avez dit lors de vos vœux en circonscription que « le travail de député se mène à l’Assemblée et dans la rue » : qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Si on n’est qu’à l’Assemblée, on n’est plus en contact avec la réalité humaine. Il faut rencontrer les gens dans la rue, dans nos circonscriptions… Mon ADN, c’est la relation humaine, l’accompagnement, c’est ce que j’ai fait toute ma vie, y compris professionnelle. Ça me paraît naturel. Mais ça ne l’est pas pour notre gouvernement et pour un certain nombre de députés ici…
Qu’est-ce qui vous a le plus marquée en arrivant à l’Assemblée pour la première fois il y a quelques mois ?
C’est quand ils ont ouvert le grand portail, place du Palais-Bourbon, la première fois que nous avons siégé… Après, ils ne le font que pour l’entrée des ministres le mardi.
Cet accueil est assez surprenant. Il est fait pour nous montrer la grandeur de notre mandat. Au début, tous les dix pas, on nous dit : « Madame la députée »… On veut nous faire prendre la mesure de notre mandat.
Après, tout va très vite. Il faut apprendre le travail législatif. C’est assez complexe. Avec des délais très courts. Ce qu’on décide est important et grave, et c’est parfois très rapide.
En même temps, pour la population, le temps législatif semble parfois très long…
C’est vrai. D’ailleurs, quand j’étais en dehors, je me demandais parfois où étaient les députés, ce qu’ils faisaient, pourquoi ils n’étaient pas dans l’hémicycle. Maintenant, je sais ! On travaille ailleurs, en commission, en réunion… On travaille beaucoup en réalité.
Et parfois, je me demande : à quoi on sert ? Le gouvernement fait passer ce qu’il veut. Il nous fait travailler, en y passant parfois la nuit, ou une partie de la nuit. Pour finalement tout balayer par un 49-3.
Ça ne sert à rien d’être parlementaire finalement ?
Lors du mandat précédent, les élus LFI étaient 17. Aujourd’hui, on est 75. Alors quand on se décourage, ils nous rappellent ce qu’ils ont vécu. Ils ne gagnaient jamais rien. Là, on y parvient de temps en temps…
Un exemple ?
Le texte sur la constitutionnalisation de l’IVG. C’était un grand moment.
Arriver en étant une femme à l’Assemblée, c’est encore difficile ?
On reste dans une institution voulue et vécue par les hommes pendant longtemps. Dès le début, l’histoire de cravate qu’a soulevée Éric Ciotti pour la rendre obligatoire était franchement réactionnaire, ringarde, rétrograde.
Quand certaines femmes prennent la parole, quand elles ont des voix parfois un peu aiguës, elles subissent les moqueries de certains hommes. C’est plus que regrettable. Mais il y a une solidarité entre nous, avec Marie-Charlotte Garin ou Sandrine Rousseau par exemple… Il y a de la sororité à l’Assemblée.
Vous êtes militante féministe et, à peine arrivée à l’Assemblée nationale, vous avez été confrontée à l’affaire Éric Coquerel, puis surtout à l’affaire Adrien Quatennens. Vous avez été surprise d’être aussi vite confrontée à ce sujet des violences sexistes et sexuelles en politique ?
Oui ! J’aurais même préféré que ça n’arrive pas. Cela n’a pas été un épisode facile, et rien n’est vraiment réglé.
C’est-à-dire ? Quel regard portez-vous sur cet épisode aujourd’hui ?
Les hommes violents, même quand ils plaident coupables, n’arrivent pas à dire publiquement : « Oui, j’ai été violent. » C’est le constat que je fais après des années de militantisme et d’accompagnement de femmes qui subissent des violences.
Adrien Quatennens en fait la démonstration : il n’y a pas de déconstruction chez lui.
J’ai eu un entretien avec lui avant son « plaider-coupable » [il a été condamné en décembre à quatre mois de prison avec sursis pour violences conjugales – ndlr]. Je lui ai dit que ce serait très maladroit qu’il se victimise dans cette affaire. Et la première chose qu’il a faite, c’est de se victimiser dans ses interviews à La Voix du Nord et sur BFMTV. Il y a fait un grand déballage public de sa situation personnelle, et il a donné à entendre un discours viriliste et machiste.
Il a prétendu que vous l’aviez assuré de votre soutien lors de cet échange…
Je ne l’ai pas assuré de mon soutien, je lui ai dit que c’était un gros effort pour moi d’avoir un entretien avec lui en face à face, car je suis habituée à entendre des victimes, et pas des agresseurs. Entendre des agresseurs, ce n’est pas mon sujet. Alors que je lui ai conseillé de ne pas se victimiser, il a pris le chemin classique des agresseurs dans cette situation.
Avant cette affaire, il était le coordinateur de la principale formation politique de gauche, il a défendu un programme féministe pendant la présidentielle… Comment expliquez-vous cette dissonance ?
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes vient de sortir son baromètre annuel sur le sexisme. L’état de la société est très affolant, et en particulier dans sa tranche d’âge, de 25 à 34 ans, qui est imprégnée de stéréotypes sexistes. Adrien Quatennens n’échappe pas à ça. Il a même fait l’inverse de ce qu’un programme féministe préconise.
Adrien Quatennens est revenu siéger à l’Assemblée nationale en non-inscrit. Vous avez pris la décision de le suspendre de votre groupe pendant quatre mois (la durée de sa peine de prison avec sursis), jusqu’au 13 avril. Une décision que vous avez qualifiée « d’erreur politique ». Comment voyez-vous la suite ?
Personnellement, je pense qu’il faudra rediscuter de son retour. Personnellement, je n’imagine pas qu’il puisse revenir le 13 avril s’asseoir et discuter avec nous comme avant.
J’ai vu aussi qu’en circonscription il a participé à une cérémonie de vœux, qu’il s’affiche avec des militants. Sa condamnation aurait nécessité de la modestie, une certaine humilité de sa part. Il fait l’inverse.
Si Adrien Quatennens s’est senti assez légitime pour avoir ces expressions, et s’il y a eu une mauvaise gestion de cette affaire, c’est parce que Jean-Luc Mélenchon a pesé de tout son poids pour le soutenir…
Bien sûr, il en aurait été autrement s’il s’était agi d’un nouveau député. Là, c’était comme le « fils spirituel » de Jean-Luc Mélenchon. Dès le départ, dans son premier tweet, il ne dit pas un mot de la victime. À ce moment-là, j’ai sorti un communiqué de presse pour le dénoncer, et je ne le regrette pas.
Quand on arrive avec mon bagage dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et qu’on se retrouve confrontée à cette gestion, c’est assez insupportable.
Quelles procédures internes faut-il mettre en place pour éviter que cela se reproduise ?
Les violences envers les femmes dans le monde politique existent depuis que les femmes ont voulu se mêler de la politique – Olympe de Gouges a été décapitée. J’ai pour projet d’organiser un colloque pour faire avancer les choses sur le plan intellectuel, avec les autres partis de la Nupes.
On a eu une formation à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles à l’échelle du groupe LFI, mais pas contre les violences conjugales. Or beaucoup de mes collègues ne connaissent pas toujours très bien le sujet. On a eu la base, il faut maintenant des modules complémentaires.
Pour l’instant, nous sommes tournés vers le mouvement contre la réforme des retraites et notre réorganisation. Tout va très vite, et je sens qu’il va être compliqué de ne pas lâcher cette question. À nous, dans la délégation aux droits des femmes à l’Assemblée, de continuer à le porter.
Le baromètre sur le sexisme recommande aussi de créer une Haute Autorité indépendante pour lutter contre les violences sexistes en politique.
C’est aussi une demande de l’Observatoire sur les violences sexistes et sexuelles en politique. Vous la soutenez ?
Oui. Bien sûr, les groupes politiques peuvent être réticents à cette idée, car ils n’ont pas envie d’être égratignés, mais il faut une autorité indépendante, neutre, pour éviter les traitements différenciés selon la notoriété ou le niveau de soutien politique dont bénéficient les personnes mises en cause.
Vous êtes à LFI depuis sa création en 2016. C’est un mouvement qui a beaucoup grandi et qui vit ce que le sociologue Razmig Keucheyan appelle « une crise de maturité ». Il vit une grave crise démocratique aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ?
Depuis le début de LFI, il y a toujours eu un débat sur l’adhésion des militants, les cotisations, les cartes. C’est une demande de la part de certains militants. Et de fait, il y a bien un « parti », puisque LFI va récolter un important financement public lié aux élections législatives. L’association de financement de LFI en sera destinataire.
Même si je comprends pourquoi on n’a pas voulu ressembler à un parti jusque-là, je pense qu’il faut bien que des instances décident et valident l’utilisation qui sera faite de cet argent. Cela va nécessairement amener la question de la démocratie. Autrement, la coordination des espaces déciderait de tout, pour tout le monde ? Ça ne marchera pas. On est dans un temps de crise, j’espère qu’on la réglera.
Après #MeToo, un leadership féminin et féministe pourrait-il changer la donne dans les partis de gauche ?
En tout cas, ça me paraîtrait bien qu’on soit dirigés par un binôme paritaire. On l’a fait dans certains espaces, mais pas partout. À l’heure actuelle, ce sont deux hommes qui dirigent le mouvement : Jean-Luc Mélenchon et Manuel Bompard. Un homme et une femme, ce serait bien.
Mathieu Dejean et Lénaïg Bredoux
Boîte noire
Cet entretien a été réalisé le 23 janvier dans le bureau de Pascale Martin, à l’Assemblée nationale. La députée l’a relu et amendé à la marge.