Aujourd’hui 1er mai débute en Suisse la période officielle de récolte des signatures pour une initiative populaire qui doit faire rêver de Villiers ou Le Pen. Si 100000 électrices et électeurs donnent leur nom avant le 1er novembre 2008, les autorités auront l’obligation de soumettre au peuple [1] le texte suivant : « Initiative populaire fédérale “contre la construction de minarets”. La Constitution fédérale du 18 avril 1999 est modifiée comme suit : Art. 72, al. 3 (nouveau) 3 : La construction de minarets est interdite. »
On ne sait ce qu’il faut admirer le plus, l’économie de moyens dans la rédaction, l’hypocrisie de la proposition ou, peut-être, la manière finalement apaisée dont les institutions de la démocratie directe canalisent et ordonnent un débat passionnel qui fait actuellement rage dans une bonne partie des pays occidentaux (au Royaume-Uni, c’est le changement d’affectation d’une église méthodiste en mosquée qui a fait jaser récemment), et qui déborde évidemment la seule question des lieux de culte pour poser celle de la compatibilité avec les droits fondamentaux de la personne humaine des usages et règles respectés ou prônés au nom de la religion musulmane. Précisons, pour le contexte, que les deux premiers alinéas de l’article 72 ont le texte suivant : Art. 72 Eglise et Etat [2]. 1 : La réglementation des rapports entre l’Eglise et l’Etat est du ressort des cantons. 2 : Dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons peuvent prendre des mesures propres à maintenir la paix entre les membres des diverses communautés religieuses.
Ironie de l’histoire, si elle était adoptée, l’initiative prendrait la relève dans l’intolérance d’un alinéa 3 abrogé en votation populaire le 10 juin 2001 : la soumission de l’érection d’évêchés à l’autorisation de la Confédération. Alors avait disparu le dernier de ce qu’il était convenu d’appeler pudiquement les « articles confessionnels » ; les autres étaient l’interdiction de l’abatage des animaux sans étourdissement préalable (visant l’abatage rituel juif) [3], la proscription de l’ordre des jésuites et l’interdiction des couvents (déjà une forme architecturale à fonction religieuse).
Qu’est-ce qu’un minaret ? Ce n’est pas une mosquée (et par exemple, dans ce communiqué, on se rend bien compte que ce n’est pas le minaret qui gêne...). La Wikipédia, le résumé de l’Encyclopédie Universalis et le Portail religion.com le confirment avec un bel ensemble : c’est une tour utilisée par un dignitaire religieux pour l’appel à la prière. En d’autres termes c’est un accessoire, certes symboliquement et visuellement important, mais ni nécessaire ni suffisant de l’exercice de la religion musulmane [4]. Et rien d’autre. Donc en théorie pas du tout le débat sur l’intégration possible ou non de l’islam dans un ordre libéral et démocratique, alors qu’il était au départ question, avec les articles confessionnels de formaliser la reconnaissance du monopole de la force légitime par l’Etat ou de l’égalité des filles et des garçons dans l’éducation.
Au demeurant, cela suffit pour qu’une telle initiative, qui se limite à désigner un bouc-émissaire en exutoire à des peurs irraisonnées qui se mêlent à des préoccupations légitimes, soit combattue parce que contraire à cet ordre libéral et démocratique. On peut simplement reprendre les arguments de la commission du Conseil national et du gouvernement à l’appui de l’abrogation de la disposition sur les évêchés : discriminatoire, contraire à la liberté religieuse, contraire au droit international (la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre cette liberté même si la Constitution fédérale ne le faisait pas).
La contrariété au droit international dépasse la seule controverse politique et pourrait même conduire le parlement à invalider l’initiative, car l’article 5 alinéa 4 de la Constitution fédérale proclame le principe de la supériorité du droit international [5] ; et même le peuple souverain est lié par cette règle qu’il a approuvée. C’est moins satisfaisant qu’un rejet de l’initiative en votation. Mais c’est moins ambigu qu’une éventuelle acceptation suivie de controverses sans fin sur l’application de la disposition [6]...
Et comme tout ce qui précède est diablement sérieux, signalons pour terminer que si la croix figurant sur le drapeau suisse est pour certains un argument en faveur de cette initiative, d’autres la mettent volontiers ailleurs également !